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La BCE devra encore infléchir ses positions

Le vrai problème est que la zone euro a toujours été hétérogène… et qu’elle le devient de plus en plus !

Compte tenu de la situation grecque, on sent de plus en plus que la zone euro est entrée dans une période cruciale pour son devenir. Le problème de base est bien sûr lié aux déséquilibres et errements comptables de la Grèce. Mais le vrai problème est que la zone euro a toujours été hétérogène, et qu’elle le devient de plus en plus. D’un côté il y a l’Allemagne, qui mise tout sur ses exportations, au prix d’une formidable modération salariale… et donc d’une consommation atone. Cette stratégie semble payer dans un contexte où les pays émergents tirent la croissance mondiale et le commerce international à la hausse. De l’autre côté, des pays comme la Grèce, le Portugal ou même encore l’Espagne peinent à sortir de la crise, et sont minés par des finances publiques très précaires. Les déséquilibres de ces pays ne datent d’ailleurs pas de la crise, ils étaient simplement masqués par la bonne conjoncture des années 2000 et ont été exacerbés par la crise.

La BCE n’a pas la tâche facile

On sait que les “paroles” des banques centrales sont suivies de près par les marchés financiers, de manière à anticiper ses actions. Dès lors, les discours, conférences de presse et autres commentaires construisent peu à peu la crédibilité d’une banque centrale. A l’inverse, les hésitations ou changements de cap peuvent être mal interprétés. Je ne saluerai jamais assez les décisions pragmatiques qu’a prises la BCE dans le cadre de cette crise. Néanmoins, force est de constater qu’elle a déjà dû pas mal modifier son discours ces derniers mois. Et elle devra probablement encore le faire à l’avenir, au risque d’y perdre quelques plumes de crédibilité.

On se souviendra d’abord de l’évolution de son discours en matière d’octroi de liquidités. Alors qu’auparavant la BCE ne disait s’intéresser qu’à la stabilité des prix (soit “une inflation proche, mais inférieure à 2 %” pour reprendre les termes bien connus de M. Trichet), elle a dû”avouer” en octobre 2008 le rôle crucial qu’elle allait être amenée à jouer dans la stabilité financière, en octroyant toutes les liquidités demandées par le marché. Soit, assurer la stabilité financière est lié de très loin à la stabilité des prix (dans ce cadre-ci, il fallait éviter une déflation), mais l’objet de ces actions dépasse de loin le cadre confiné des prix.

Son deuxième vrai revers, elle l’a connu récemment. Lors de la conférence de presse suivant la réunion de politique monétaire de mars, interrogé sur la situation grecque, M. Trichet a précisé qu’une solution européenne était souhaitable, et que l’intervention du FMI était inopportune à ce stade… Deux semaines plus tard, le FMI était intégré par les chefs de gouvernement européens au plan d’aide qui serait activé au cas où la situation grecque s’envenimerait.

Bientôt de nouveaux revers ?

La BCE risque d’essuyer un nouveau revers dans les prochains mois. En effet, elle a toujours considéré qu’elle appréciait la situation de la zone euro dans son ensemble, sans s’intéresser aux situations nationales. Cependant, la BCE a déjà annoncé qu’elle accepterait les obligations de dette grecque au moins jusqu’à l’année prochaine, et ce même si le rating de cette dette était abaissé. En clair, la BCE fait une exception sur base nationale, évidemment dans l’intérêt de l’ensemble du système bancaire européen, lui-même partiellement détenteur de cette dette. Mais, sachant que le système bancaire grec est largement tributaire des apports de liquidités de la BCE, comme l’est le système bancaire irlandais, elle devra aller plus loin, et retarder sa stratégie de sortie des mesures exceptionnelles prises en 2008. En d’autres termes, si revenir aux règles d’octroi de liquidités en vigueur avant la crise serait envisageable en deuxième partie d’année compte tenu de la situation de la zone euro prise comme un tout, cela pourrait s’avérer particulièrement dangereux compte tenu de la situation propre à certains pays. La BCE n’osera probablement pas prendre de risque en la matière, et préférera avouer s’intéresser aux situations nationales.

Devra-t-elle faire un ou plusieurs pas supplémentaires ? On pense ici à lutter contre la déflation de certains pays alors que la zone euro serait en situation d’inflation, voire modifier sa notion de stabilité des prix ou pire encore, entrer de plain-pied dans le processus d’aide aux pays en difficulté ? Ce sont là des conjectures et des scénarios catastrophe, car la BCE y perdrait beaucoup de crédibilité, et l’euro serait probablement attaqué de toutes parts sur les marchés des changes. Mais on a déjà vu tant de choses “improbables” au cours des 18 derniers mois…

En conclusion, on voit ici toute la difficulté de la construction européenne. D’un côté, sur le plan monétaire, l’objectif est d’aller vite dans la voie de l’intégration, et de voir la zone euro comme un tout, un peu sur le modèle de la Federal Reserve aux Etats-Unis. De l’autre côté, sur le plan économique et politique, la volonté de marcher tous dans la même direction n’est pas encore acquise, des distorsions se creusent et parfois pire encore, on cache des déséquilibres fondamentaux. Ceci ralentit le processus de cohésion. Malheureusement en la matière, c’est toujours celui qui marche le plus vite qui doit s’adapter.

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