Toutes proportions gardées, les dirigeants russe et ukrainien jouent à un jeu bien connu en Belgique : faire porter à son adversaire la responsabilité d’un échec politique, en lui refilant le Valet puant (Zwarte Piet, en néerlandais). C’est à nouveau ce qui semble se produire, en amont des négociations d’Istanbul, en Turquie, où Vladimir Poutine ne se rendra probablement pas.
Cette séquence a démarré avec la visite du quatuor européen en Ukraine. Emmanuel Macron, Friedrich Merz, Keir Starmer et Donald Tusk, se sentant sans doute pousser des ailes par le changement d’humeur de Donald Trump à l’égard de Poutine, adresse à la Russie un ultimatum : un cessez-le-feu, maintenant, sans condition, comme préalable aux discussions. Sinon, quoi ? Une nouvelle batterie de sanctions, portées, cette fois, par les Européens et les Américains, comme au bon vieux temps.
Cette proposition a été balayée par le Kremlin, qui, habilement, n’est pas revenu les mains vides. Vladimir Poutine a proposé avant-hier, à 1 heure et demie du matin, après avoir fait poireauter les journalistes pendant huit heures, de reprendre des négociations directes avec l’Ukraine, jeudi, là où elles avaient été laissées, en 2022, en Turquie, à Istanbul.
Qui sera présent à Istanbul ?
Réponse tout aussi habile de la part de Volodymyr Zelensky : OK, mais en présence du chef du Kremlin. “Je ne crois pas que Poutine soit capable de venir, il aura peur. Mais je laisse quand même une petite probabilité qu’il vienne, parce que c’est un dirigeant, il est courageux, je suppose […] Dans tous les cas, si Poutine ne vient pas, cela ressemblera à une défaite totale pour lui”, a lancé le dirigeant ukrainien, lors d’une interview accordée, mardi, à cinq médias européens.
Aujourd’hui, Moscou entretient le flou. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a confirmé que la Russie est prête à discuter avec l’Ukraine à Istanbul, mais il a laissé ouverte la composition de la délégation qui s’y rendra. C’est Vladimir Poutine qui l’annoncera.
Du côté américain, on ne semble pas en savoir beaucoup plus, à ce stade. En marge de sa visite au Moyen-Orient, après sa rencontre avec le nouveau dirigeant syrien, en Arabie saoudite, et avant son départ pour le Qatar, Donald Trump a livré son sentiment : “Il aimerait que je sois là, et c’est une possibilité… Je ne sais pas s’il sera là si je n’y suis pas. Nous allons le découvrir.”
Zwarte Piet
Ce qui se joue depuis plusieurs semaines, voire depuis plusieurs mois, c’est la responsabilité de l’échec de l’issue de la guerre. En se rendant à Istanbul, Poutine pourrait montrer aux yeux du monde, et surtout aux yeux du locataire de la Maison-Blanche, qu’il est celui qui veut mettre fin au conflit.
A contrario, s’il ne se présente pas, il nourrira le narratif de l’Ukraine, qui lui fait porter la responsabilité de la poursuite de la guerre. C’est ce que s’efforce de faire Volodymyr Zelenski, depuis l’épisode lunaire du Bureau ovale et les accusations répétées de Donald Trump sur sa volonté de ne pas accepter la paix.
Après cette rencontre, Donald Trump saura, finalement, ce qui est évident pour beaucoup : qui de Volodymyr Zelensky ou de Vladimir Poutine est celui qui refuse de faire taire les canons, qui du dirigeant ukrainien ou russe détient le Zwarte Piet ?