Une démocratie en Asie par le peuple, pour le peuple?

Avant d’être ministre de la Défense, et désormais président de l’Indonésie, Prabowo Subianto a été général et accusé d’avoir commis des atrocités au Timor oriental. (Photo by Li Zhiquan/China News Service/VCG via Getty Images) © China News Service via Getty Images

La démocratie est sous pression dans toute l’Asie, comme le montrent différents signes inquiétants.

Les partisans de la démocratie en Asie ont poussé un soupir de soulagement en juin 2024, lorsque les électeurs indiens ont reconduit Narendra Modi, le Premier ministre, au gouvernement avec un mandat affaibli. Modi visait une victoire écrasante pour son troisième mandat, se vantant à l’avance que son parti remporterait 400 des 543 sièges, ce qui lui aurait donné les coudées franches pour faire passer des lois.

Mais son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP), n’a finalement obtenu que 240 sièges, ce qui a contraint Narendra Modi à gouverner au sein d’une coalition, tempérant ainsi son programme nationaliste hindou et certains de ses instincts autoritaires. En août, de vastes manifestations ont conduit à l’éviction de Sheikh Hasina, Première ministre du Bangladesh, qui était devenue de plus en plus autocratique.

Ces deux événements semblaient de bon augure pour la lutte entre la démocratie et l’autocratie en Asie. Un tel optimisme est-il susceptible de s’étendre en 2025 ?

Le Sud rassure un peu

Prenons d’abord le cas de l’Inde. La plus grande démocratie d’Asie semble s’épanouir, jusqu’à un certain point. À première vue, Narendra Modi agit comme si peu de choses avaient changé depuis son humiliation dans les urnes : sa rhétorique combine toujours le nationalisme hindou et le développement. Son gouvernement n’a pas beaucoup changé depuis les élections.

Mais l’opposition s’est enhardie et la société civile est devenue plus confiante, ce qui a obligé Modi à faire une série de volte-faces sur des questions telles que les associations caritatives musulmanes et un projet de loi controversé sur la radiodiffusion.

La Cour suprême a également empêché les États dirigés par le BJP d’introduire des mesures qui auraient pu être utilisées pour cibler les musulmans. D’autres volte-faces sont à prévoir en 2025, notamment parce que Narendra Modi est de plus en plus critiqué par le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), une organisation nationaliste hindoue liée au BJP.

Plusieurs élections d’État se sont récemment déroulées mieux que prévu, le parti ayant notamment remporté une victoire inattendue dans l’État d’Haryana, mais elles ont aussi laissé penser que Modi n’était pas si populaire que cela. Dans l’Haryana, par exemple, les questions locales ont prédominé.

Mise en place d’institutions démocratiques

Dans le reste de l’Asie du Sud, la mise en place d’institutions démocratiques se poursuivra. Au Bangladesh, le processus de mise en place d’une société stable après le départ de Sheikh Hasina se poursuivra sous la direction de Muhammad Yunus, économiste et pionnier du microcrédit, qui a été nommé chef du gouvernement intérimaire.

Des tensions subsisteront avec l’Inde, où Sheikh Hasina s’est réfugiée, alors que le Bangladesh a émis en octobre un mandat d’arrêt à son encontre. Leurs relations tendues ont été attisées par des informations selon lesquelles des membres de la minorité hindoue ont été attaqués au Bangladesh et par la décision de son gouvernement de supprimer l’inspection physique de toutes les importations en provenance du Pakistan, ce qui fait craindre l’entrée d’armes illégales dans le pays.

Au Sri Lanka, où le nouveau président Anura Kumara Dissanayake est issu d’un parti qui a vu le jour en tant que mouvement marxiste-léniniste révolutionnaire, les prochaines années risquent d’être difficiles. Connu sous le diminutif AKD, le dirigeant n’est pas un fanatique marxiste. Il a atténué la rhétorique de son parti et a insisté sur la nécessité de réformer le marché.

Mais il n’a pas l’expérience du pouvoir, n’ayant été que ministre de l’Agriculture il y a 20 ans. Il sera probablement à la tête d’une coalition instable qui devra entreprendre des réformes économiques douloureuses.

Le Sud-Est inquiète beaucoup

C’est donc en Asie du Sud-Est que les exemples les plus inquiétants de politique antidémocratique semblent devoir émerger, en particulier en Indonésie, où Prabowo Subianto a prêté serment en tant que président le 20 octobre. Ministre de la Défense de Joko Widodo, son prédécesseur, il a été avant cela général et accusé d’atrocités dans l’ancien territoire du Timor oriental (ce qu’il nie), devenu indépendant en 2002.

Prabowo Subianto a commencé sa présidence par un rituel d’initiation excentrique : les membres de son gouvernement pléthorique (plus de 100 personnes, le plus important depuis le retour de la démocratie en 1998) ont été convoqués à un camp d’entraînement à l’académie militaire, cinq jours après la prestation de serment de Prabowo Subianto en tant que président. Plus inquiétant encore, Tom Lembong, un membre de l’opposition très en vue, a été arrêté peu de temps après. Les procureurs insistent sur le fait que les accusations portées contre lui ne sont pas motivées par des considérations politiques, mais cette arrestation n’en constitue pas moins un signal pour les opposants au président.

Mais ce n’est pas seulement le fait que Prabowo Subianto puisse avoir des instincts autoritaires qui rend sa récente accession à la présidence inquiétante. C’est aussi parce qu’il risque d’être éclipsé par Joko Widodo, qui est arrivé au pouvoir en 2014 en promettant de s’opposer à la politique dynastique d’antan. Pourtant, son propre fils est aujourd’hui le vice-président de Prabowo Subianto, tandis que les institutions ont été affaiblies sous le règne de celui qu’on surnomme Jokowi.

C’est en Asie du Sud-Est que les exemples les plus inquiétants de politique antidémocratique semblent devoir émerger.

Thaïlande et Myanmar aussi…

La situation est également sombre en Thaïlande. En août, Pita Limjaroenrat et son parti Move Forward, qui avaient remporté les législatives de 2023, ont été mis au ban par la Cour constitutionnelle. Pita Limjaroenrat et d’autres dirigeants du parti se sont vu interdire toute participation à la vie politique pendant une décennie. La Cour a estimé que les projets de Move Forward visant à réformer la sévère loi de lèse-majesté du pays constituaient une menace pour la monarchie thaïlandaise. De nombreux manifestants qui étaient descendus dans la rue en 2020, lorsque le prédécesseur du parti Move Forward avait été dissous, sont toujours en prison. Même si d’autres manifestations ont lieu à l’avenir, l’absence de légitimité démocratique est évidente.

Au Myanmar enfin, où une junte militaire a pris le pouvoir par un coup d’État en 2021, les espoirs d’une percée démocratique des forces rebelles luttant contre l’armée semblent plus ténus que jamais. La junte ne tombera probablement pas. Et il est peu probable que les groupes rebelles armés qui gagnent du terrain soutiennent un régime démocratique, eux qui continuent à être soutenus par la Chine.

Tel est le constat accablant sur la situation de la démocratie en Asie en 2025.

Par Emma Hogan, rédactrice en chef pour l’Asie de “The Economist”

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