Trump, un empereur à la Maison Blanche: les conquêtes en plus de l’isolationnisme

Après la stupeur, le Danemark a rappelé que le destin du Groenland serait décidé par ses habitants. © Getty Images
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Groenland, canal de Panama, Canada, etc. Avant même d’entrer en fonction, le nouveau président américain a surpris en développant une rhétorique de conquête en plus de son approche isolationniste habituelle. Les États-Unis ont-ils élu “un Poutine”?

Donald Trump veut redessiner le monde. Avec lui, des milliardaires devenus empereurs de ces temps chaotiques se penchent-ils autour d’une carte pour modifier les frontières?, comme le regrette notre ancien Premier ministre, Guy Verhofstadt. C’est le risque du nouveau désordre mondial.

Le président élu, dont l’investiture officielle aura lieu le 20 janvier, fait feu de tout bois. Trump a menacé de faire usage de la “force économique” contre le Canada. Et ce, après avoir affirmé la veille qu’il était dans l’intérêt de cet allié des États-Unis de devenir le “51e État” américain. Rien de moins. Avant cela, il avait menacé d’acheter ou de conquérir le Groenland, territoire autonome constitutif du royaume du Danemark, vital à ses yeux pour la sécurité des États-Unis. Ainsi que le canal de Panama, vital pour son économie et le transport maritime mondial.

“Une rupture fondamentale”

Si la prétention à l’égard du Canada est étonnante, l’appétit du républicain pour le Groenland et le Panama s’inscrit dans la lignée de son premier mandat présidentiel et avait déjà été invoqué historiquement par des leaders américains. Une différence de taille, cependant: Donald Trump a refusé d’écarter l’idée d’avoir recours à la force pour annexer ces territoires. “Je ne peux pas vous l’assurer”, a-t-il répondu lors d’une conférence de presse.

“Nous nous trouvons face à une rupture fondamentale, estimait Gilles Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent et président du Groupe d’études géopolitiques, interrogé par La Libre. C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que le président souhaite élargir le contrôle territorial direct des États-Unis. Donald Trump, qui voulait ‘rendre à l’Amérique sa grandeur’, veut à présent la rendre plus grande territorialement.”

Dans ses menaces, le président élu ajoute une rhétorique isolationniste dont il est le fervent défenseur, menaçant ses “adversaires” de rétorsions sous la forme de barrières douanières très élevées. “On connaît la méthode de Donald Trump, prolonge Gilles Gressani. C’est une personne transactionnelle, unilatérale et obsédée par le fait d’être au cœur de l’attention publique planétaire. Menacer de sanctions, être brutal, humilier avec des déclarations, c’est plus ou moins grave, mais il y a une continuité dans ce domaine, même s’il y a une gradation.”

Une carte des USA incluant le Canada

Sur les réseaux sociaux, Donald Trump a déjà publié une carte des États-Unis incluant le Canada. Inutile de dire que cela fait grincer des dents chez son voisin. “Jamais, au grand jamais, le Canada fera partie des États-Unis”, s’est indigné Justin Trudeau, le Premier ministre libéral canadien, qui vient d’annoncer sa prochaine démission. “Les commentaires du président élu Trump démontrent une incompréhension totale de ce qui fait du Canada un pays fort, appuie Mélanie Joly, ministre canadienne des Affaires étrangères. Notre économie est forte. Notre peuple est fort. Nous ne reculerons jamais face aux menaces.”

En ce qui concerne le Groenland, après la stupeur, le Danemark a rappelé que le destin de ce territoire serait décidé par ses habitants. Avant de tendre la main: “Nous convenons que les Américains ont certaines préoccupations concernant la situation de sécurité dans l’Arctique, que nous partageons, et par conséquent, en étroite coopération avec le Groenland, nous sommes prêts à poursuivre les discussions avec le président américain entrant, afin de garantir les intérêts légitimes des États-Unis”, a déclaré Lars Lokke Rasmussen, ministre danois des Affaires étrangères.

Les partenaires des États-Unis marchent sur des œufs, même si le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a affirmé que l’on ne toucherait pas aux “frontières souveraines” de l’Union européenne.

“Qui défendra l’ordre post-1945?”

“Les Américains ont élu un Poutine, par deux fois”, alerte un journaliste du quotidien canadien Globe and Mail. Avec son allié, l’entrepreneur Elon Musk, Donald Trump multiplie les provocations susceptibles de bousculer l’ordre mondial. Il a également affirmé son souhait de rebaptiser le “golfe du Mexique” en “golfe de l’Amérique”. Le fondateur de Tesla s’en prend, lui, directement aux pays européens: il ne cesse de vilipender le Premier ministre britannique, Keir Starmer, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, deux personnalités de gauche. Face à eux, il mène campagne pour soutenir l’extrême droite, Reform UK au Royaume-Uni et la sulfureuse Afd, alors que des élections législatives ont lieu en Allemagne le 23 février.

Notre ancien Premier ministre Guy Verhofstadt, désormais président du Mouvement européen international, met en garde: “Trump veut acheter le Groenland, Musk veut décider qui gouverne l’Allemagne et le Royaume-Uni. Poutine envahit les pays européens. Les milliardaires étrangers regardent une carte, avec le rêve de se diviser le monde. Qui défendra l’ordre d’après-1945?”.
Comparant la logique du président américain à celle du chinois Xi Jinping ou du russe Poutine, il prolonge: “R.I.P. le président US en tant que ‘leader du monde libre’. Nous pouvons rire, ou pleurer. Mais le besoin d’une armée européenne ne semble plus aussi stupide désormais !”

“Un univers transactionnel”

Les réactions officielles émanant de l’Union européenne sont bien plus mesurées. “Les États-Unis restent notre grand allié, comme ils l’ont toujours été”, insiste Kaja Kallas, haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères. Elle salue “l’intérêt du président élu pour l’Arctique, parce que cette région est très importante en termes de matières premières critiques, de routes commerciales et de sécurité”, tout en rappelant que “les États-Unis respectent la Charte des Nations unies qui stipule que l’intégrité territoriale et la souveraineté des pays doivent être respectées. Je suis donc certaine qu’ils suivront également ces principes à l’avenir”.

Affaiblie par une pneumonie, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été largement absente de cette séquence. Elle se contente de saluer “un agenda positif avec la prochaine administration américaine, fondé sur nos valeurs communes et nos intérêts partagés”.

Outre des intérêts commerciaux importants, l’Union compte sur Donald Trump pour faire bloc face à Vladimir Poutine dans le dossier ukrainien. Là aussi, c’est loin d’être gagné vu la sympathie naturelle de l’Américain pour le Russe et son désir de ne plus soutenir l’Ukraine, un souhait exprimé à géométrie variable. La peur monte.

“Donald Trump voit le monde comme un terrain de jeu pour promoteurs immobiliers, résume au Monde Zaki Laïdi, professeur de relations internationales à Sciences Po et ancien conseiller spécial de Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne. Son retour nous mènera un peu plus encore d’un monde multilatéral régi par des règles vers un univers transactionnel fait d’accords, parfois sordides, souvent imprévisibles. Donald Trump, comme Vladimir Poutine, pense que la vocation des forts est de dévorer les faibles.”
Voilà qui promet.

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