Trump, un coup de semonce pour l’Europe
D’un point de vue militaire, énergétique et économique, l’Europe est en position de dépendance face aux États-Unis, constatent Koen De Leus et Philippe Gijsels, de BNP Paribas Fortis.
Pour Koen De Leus et Philippe Gijsels, respectivement chief economist et chief strategist officer chez BNP Paribas Fortis, le monde volatil que nous connaissons depuis maintenant trois ans, avec des prix des matières premières et des marchés financiers nerveux, ne va pas précisément se calmer en 2025. L’attention première va se porter sur les Etats-Unis. « L’élection de Donald Trump constitue un véritable coup de semonce pour l’Europe qui est depuis longtemps bien trop tributaire des États-Unis en matière de défense », disent les deux économistes, qui ajoutent que cette dépendance s’est encore accrue avec, au niveau énergétique, le remplacement du gaz liquéfié russe par du GNL américain, et par le remplacement de certains produits chinois par des produits américains.
Le quatrième tournant
Koen de Leus et Philip Gijsels se réfèrent au dernier livre de Neil Howe, « The Fourth Turning is Here ». Neil Howe et William Strauss avaient publié il y a plus de 25 ans un livre très populaire aux Etats-Unis, « The Fourth Turning » . L’ouvrage décrivait la structure cyclique, qui passe toujours, sur des périodes s’étalant de 80 à 100 ans, par quatre périodes, quatre tournants : d’abord le sommet, période où l’ordre socio-économique est stable et les institutions fortes. Ensuite l’éveil, période d’émergence d’un nouveau système de valeurs. Puis vient la période du dénouement, au cours de laquelle le nouvel ordre de valeurs commence à supplanter l’ancien renforçant les penchants individualistes des citoyens. Et le quatrième tournant est celui de la crise, qui apporte avec lui de grands bouleversements, des risques de conflagrations importantes qui aboutiront à la victoire du nouvel ordre social sur l’ancien ». Dans son nouvel ouvrage publié l’an dernier en solo (William Strauss est décédé en 2007), Neil Howe annonce donc que nous sommes parvenus à ce quatrième stade.
« C’est typiquement un moment dans l’histoire où il y a malheureusement beaucoup de conflits, souligne Philippe Gijsels. Des conflits internationaux -on voit ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient ou en Ukraine-, mais aussi des conflits internes – on assiste dans de nombreux pays à une montée des extrêmes politiques et à l’affaiblissement du centre. »
Le Trump de 2024 n’est pas celui de 2016
« Des indices comme le World Uncertainty Index (qui calcule la fréquence d’apparition d’une série de mots tournant autour du concept d’incertitude, ndlr), montrent qu’il y a une volatilité énorme au niveau politique mondial, enchaîne Koen De Leus. Cette volatilité, bien plus élevée que la moyenne historique, dure déjà depuis trois ans. Et je ne pense pas que cela va s’améliorer avec la réélection de Donald Trump. D’autant, ajoute le chief economist, que le Donald Trump de 2024 n’est pas celui de 2016. Aujourd’hui, il a rassemblé une équipe de personnes qui lui sont vraiment loyales. »
« L’évolution de l’inflation et surtout de la croissance économique dépendra des mesures concrètes qui seront prises par Donald Trump », poursuit Koen de Leus. Mais les décisions qu’il devrait prendre ne vont pas dans le sens d’un assagissement de l’inflation. « La hausse des droits de douane et des mesures en matière de politique migratoire sont inflationnistes, rappelle l’économiste. C’est aussi le cas d’une politique budgétaire expansionniste, à la différence que celle-ci génère de la croissance. Cela pourrait amener la Réserve fédérale à diminuer le rythme des baisses de ses taux directeurs. » Une tension qui se propagerait aussi aux taux à longs termes. « La dette publique américaine atteint aujourd’hui 99% du PIB, rappelle Koen De Leus. C’est très élevé, et pas si loin du sommet historique que les États-Unis avaient touché au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à 107% du PIB. Nous pensons que ce pic pourrait être atteint, voire dépassé, dans deux ou trois ans, avec pour conséquence que la prime de risque sur les obligations augmentera également. » Et si les taux obligataires à dix ans, qui sont actuellement aux alentours de 4,30%, devaient atteindre les 5%, cela pourrait avoir un impact important sur les marchés des actions, avertit Philippe Gijsels ». Car à 5%, les investisseurs seraient en effet tentés de quitter la Bourse pour se replier vers les marchés obligataires à nouveaux généreux. Mais aujourd’hui, BNP Paribas Fortis reste positif sur le marché des actions, surtout américain, et estime qu’en raison des demandes engendrées par la transition énergétique mais aussi en tablant sur un redémarrage de l’économie chinoise, le marché des matières premières devrait bénéficier à moyen terme, d’une dynamique favorable.
Décrochage des politiques monétaires
Dans ce scénario, la Chine et l’Europe seront au balcon. « La Banque centrale européenne sera en quelque sorte spectatrice de l’augmentation des droits de douane aux États-Unis et surtout de l’incertitude quant à leur concrétisation, ainsi que de la manière dont celles-ci pèseront sur la croissance européenne », dit encore Koen De Leus. « Ces trente dernières années, nous avons eu un cycle économique plus ou moins harmonisé, ajoute Philippe Gijsels. Les économies des principales régions du monde se contractaient ou croissaient ensemble et les banques centrales rehaussaient leurs taux, parfois avec des petites différences, mais généralement dans un ensemble harmonieux. Nous arrivons dans un monde où ce sera moins le cas ».
Cela aura des conséquences, notamment sur la parité euro-dollar, importante pour le commerce transatlantique. « Si l’on regarde ce qui s’était passé en 2016, entre l’élection de Donald Trump et son inauguration, le dollar avait bien monté, rappelle Philippe Gijsels. Mais ensuite, il n’a fait que baisser pendant quasiment les quatre années de sa présidence. Cela montre qu’il est très difficile de faire une prévision sur le dollar. Mais le fait que le dollar monte aujourd’hui ne va pas aider à la résorption du déficit commercial américain. »
Belgique, une démographie négative dès 2025
Dans ce contexte, les dernières projections de BNP Paribas Fortis tablent sur une croissance de 0,3% au dernier trimestre, avec une légère hausse de la confiance des consommateurs et les premiers signes de reprise du marché immobilier. Mais évidemment, notre pays, grand exportateur, sera très dépendant à court terme des décisions du prochain président américain. A plus long terme, les économistes de BNP Paribas Fortis estiment que le potentiel de croissance devrait être affecté par une démographie négative. « Selon les prévisions des Nations Unies, la population active belge diminuera déjà à partir de 2025. Et la forte augmentation du taux d’emploi des dernières années va doucement se tasser. Cette combinaison à elle seule réduit la croissance réelle à 1% par an voire moins alors que le taux de croissance actuel est de 1,4% ».
Pour combler ce déficit de croissance, la solution la plus évidente, mais pas la plus facile, sera de rehausser la productivité qui n’est aujourd’hui que de 0,5% par an. BNP Paribas Fortis table sur « un boost lié à l’intelligence artificielle de 0,5% en moyenne pour une croissance totale de la productivité de 1% par an sur une période de 10 ans point la croissance réelle s’élève ainsi à 1,4%. » A court terme, la banque prévoit une petite hausse de la croissance belge, qui passerait de 1 à 1,2% l’an prochain, portée par la relance monétaire et une conjoncture plus favorable chez nos voisins immédiats.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici