Trump est-il vraiment un bon négociateur ?

Trop fort Trump ! Voilà l’affirmation ahurissante que je vois relayée sur la plupart des réseaux sociaux. En obtenant de l’Europe un accord à 15%, il aurait manifesté tout son talent de fin négociateur. Vraiment ?

Sous la vidéo du président orange, donnant une petite tape ravie sur le dos de la main d’Ursula von der Leyen, on lit “Trop fort Trump” entrecoupé de “Démission Ursula”. Polarisation des émotions. Simplifications à l’extrême. Binarisation totale. On respire et on réfléchit quelques secondes ?

La négociation, ce n’est pas gagner contre un débutant

D’abord, avoir battu un débutant au tennis ne fait pas de vous un joueur professionnel. C’est pareil en négociation. Trump n’est absolument pas un génie en la matière. Les Européens ne sont pas du tout habitués à négocier de cette façon, c’est certain. Mais si vous trouvez qu’UVDL a été “mauvaise”, alors ce n’est pas tant Trump qui a été brillant, c’est juste nous qui avons été faibles. Évidemment, il est toujours plus rassurant de considérer qu’on a perdu face au meilleur, mais regardons plutôt comment les Chinois et les Canadiens vont jouer leur partie sur le moyen terme… On verra à ce moment comment le “génie” de notre ami Donald s’exprimera.

Ensuite, il ne faut pas confondre attitude et stratégie, méthode et comportement. J’encourage tout le monde à lire The Art of the Deal pour se rendre compte à quel point ce livre n’est PAS un manuel de négociation, mais juste une forme de légitimation des comportements brutaux et de l’abus de position de force opérés par Trump, comme je l’avais déjà écrit dans la chronique “Négocier en Paix” parue en avril dernier. Le mode opératoire de Trump n’est pas de la négociation mais bien de l’imposition par la violence.

Pour la petite histoire, Trump n’a pas écrit une traître ligne de The Art of the Deal : c’est Tony Schwartz, un journaliste, qui l’a rédigé contre paiement, après avoir accompagné Trump sur le terrain. Tony Schwartz a dit de ce bouquin (qu’il regrette d’ailleurs d’avoir écrit) que c’était comme avoir mis du “rouge à lèvres à un cochon”. Par conséquent, trouver Trump “génial” est une forme de banalisation et de normalisation grave de la violence qui reviendrait à admirer publiquement le harceleur de l’école quand il menace et rackette, avec succès, les autres gosses, en le trouvant trop fort et tellement cool ! Est-ce vraiment cela que nous souhaitons ? Voulons-nous réellement créer du “renforcement positif” sur les comportements qui sont socialement et humainement les plus délétères ?

Trouver Trump “génial” est une forme de banalisation et de normalisation grave de la violence qui reviendrait à admirer publiquement le harceleur de l’école quand il menace et rackette les autres gosses.

Et si c’était plus subtil ?

Peut-être y a-t-il un plan plus long terme derrière l’accord d’UVDL. Bien sûr, il nous faudrait connaître le dessous des cartes plutôt que de s’en tenir aux premières apparences. Mais il est évident qu’une approche frontale avec un narcissique pathologique (à tendance mégalomaniaque et probablement perverse) comme Trump ne fait qu’amplifier les conflits et la rage. Prenez de vrais négociateurs qui ont dû travailler toute leur vie avec des personnages et des situations d’une brutalité extrême, comme Chris Voss, ancien négociateur en chef du FBI, Bernard Meunier et David Corona, ex-négociateurs du GIGN, et Christophe Caupenne, ex-chef des négociateurs du Raid. Quand on croise leurs apports pour en dégager les lignes essentielles (merci Perplexity), voici les principes communs qui font l’unanimité de ces auteurs :


• Écoute active et empathie : Tous insistent sur une écoute profonde et l’importance de faire preuve d’empathie (parfois tactique) pour établir un rapport avant de chercher la solution.
Gradation de la relation : Construction progressive de la confiance : écouter, comprendre, faire preuve d’empathie, bâtir une relation, influencer, puis guider vers la résolution.
• Maîtrise émotionnelle : Contrôle sur soi-même, gestion du stress, et décryptage des émotions de l’autre.
• Séparation de la personne et du problème : S’attaquer à la situation, pas à l’individu, tout en étant “doux avec les personnes, dur sur les problèmes”.
• Adaptabilité et personnalisation : Savoir ajuster ses méthodes à la situation et à l’interlocuteur. Cela suppose un arsenal d’outils et un regard pluridisciplinaire.
• Collaboration et sens du collectif : Cohésion et coordination des équipes pour sécuriser la gestion de la situation.

En d’autres termes, aucun de ces principes n’est appliqué par Trump, qui se cantonne à pratiquer du carpet bombing, du harcèlement, de la violence pure et dure. Pas de la négociation.

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L’art de ne pas nourrir le monstre

Notre cerveau primaire, avide de sensation, de démonstration de force, de drame et de grand spectacle, adorerait voir nos dirigeants européens tenir la dragée haute à l’autocrate-président, lui mettre une “raclée”, négocier dur avec lui dans une espèce de bras de fer viril. Mais c’est oublier que la logique primaire de ce genre d’adversaire narcissique est la domination et qu’installer un rapport de force dur mènera à coup sûr à une escalade particulièrement dangereuse.

On verra dans les faits s’il s’agissait d’une vraie “défaite” ou du choix délibéré d’une posture juste destinée à flatter un temps son ego pour ensuite travailler en double discours (ce que les pervers ont du mal à appréhender). Regardez d’ailleurs comment Poutine se comporte en la circonstance ! Il exploite à fond le double discours : en apparence soutenant, aimable et acceptant dans ses échanges avec Trump, et pratiquant totalement l’inverse sur le terrain, au point que Trump lui-même avoue se sentir baladé… au bout de six mois.

N’oubliez pas vos classiques : le roseau plie mais ne cède point. L’avenir nous dira si nous avons réellement assisté à une capitulation européenne ou à un mouvement qui initie une contre-manipulation tactique dans les coulisses de ce qu’on appelle le “Théâtre de l’Influence”, dont nous ne percevons, tout spectateurs que nous sommes, que l’avant-scène médiatique.

Notre vraie force : l’unité

En attendant, la seule façon d’arriver à solidifier notre propre position européenne vis-à-vis du retour des grands blocs est de travailler à notre croissance, à notre développement, à nos zones d’excellence et à notre cohésion. Au contraire la critique, les railleries et les échanges véhéments d’opinion sur les réseaux sociaux fragilisent et fracturent ce qui pourrait être le socle même de notre propre puissance.

États-Unis, Chine et Russie le savent très bien : notre véritable force réside dans notre potentielle unité. C’est précisément pour éviter cela qu’ils déploient des efforts colossaux pour la saper en finançant, soutenant et diffusant toutes les influences nationalistes, anti-européennes. S’ils brisent le collectif, les rapports de force seront totalement à leur avantage et nous aurons, en lieu et place d’un espace d’échange et de coopération commun, un territoire d’États théoriquement souverains (et tellement fiers de l’être) mais réellement vassalisés.

Nous avons là l’opportunité historique de consolider une équipe qui mutualise les efforts et les risques et collectivise les gains et les progrès. Mais si nous loupons ce rendez-vous nous serons probablement rapidement réduits à l’état d’une gigantesque basse-cour où se pavaneraient 27 coqs indépendants se disputant chacun leur coin de fumier.

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