Les sanctions américaines contre les firmes pétrolières russes Lukoil et Rosneft entrent en vigueur ce vendredi. Leur annonce, il y a un an, a fait énormément de bruit : elles sont censées vraiment faire mal à Moscou. Maintenant qu’on y est, la réalité semble pourtant différente.
Le 22 octobre dernier, Donald Trump annonçait des sanctions contre Rosneft et Lukoil, respectivement en charge de 40% et 15% de la production russe de pétrole. Elles sont effectives depuis ce vendredi. Les entreprises américaines sont désormais interdites de commercer avec les deux firmes russes. Les sociétés non-américaines sont concernées également. Si elles font toujours affaire avec Rosneft et Lukoil, elles risquent de faire l’objet de mesures de rétorsion et se voir par exemple privées d’accès aux banques, négociants et assureurs américains. L’objectif de l’administration Trump ? Réduire les revenus des deux géants du pétrole, et ainsi mettre à mal la “machine de guerre” russe.
Pour mesurer l’efficacité de ces mesures, il faut regarder vers l’Asie. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Chine et l’Inde sont devenues les principales clientes du pétrole russe. Moscou leur a offert d’intéressantes ristournes afin de compenser les pertes liées au recul des achats européens. Et a priori, les deux puissances asiatiques semblent avoir entendu le signal américain. Ces dernières semaines, les annonces se sont multipliées : des raffineurs chinois et indiens ont indiqué arrêter leurs importations de brut russe. “Ils sont réticents à prendre des risques, reconnaissent l’importance des relations avec l’Occident et s’efforcent de s’y conformer”, s’est réjoui jeudi un responsable du Trésor américain auprès de Reuters.
“Les acteurs privés chinois et indiens n’ont aucune raison de se priver de pétrole russe”
Bernard Keppenne, chief economist chez CBC, n’a toutefois pas la même vision de la situation. Selon lui, l’impact de ces sanctions est en réalité bien moins important qu’il n’y paraît. “Globalement, je suis très sceptique. Quand on regarde de plus près ce qu’il se passe en Chine et en Inde, on remarque que ce sont surtout les raffineries liées au gouvernement qui modifient leurs flux. C’est assez normal. Pour le symbole, ces entités doivent montrer qu’elles participent à l’effort. Et comme elles sont en relation avec des sociétés américaines, elles ne peuvent de toute façon pas se permettre d’être sanctionnées”, analyse-t-il.
Les acteurs privés, eux, n’auraient que faire des sanctions américaines. “Que ce soit en Chine ou en Inde, ces sociétés travaillent surtout sur les marchés locaux. Les éventuelles mesures de rétorsion américaines ne les effraient pas. Il n’y a donc pas de raison qu’elles arrêtent d’acheter du pétrole russe. L’impact pour Moscou en ressort relativement limité”, estime-t-il.
L’économiste pointe également du doigt un effet pervers des sanctions américaines. “Cela va pousser la Russie à renforcer sa flotte fantôme. Nous allons perdre encore davantage de visibilité sur ces flux”, souligne-t-il.
Pas de hausse des prix du pétrole
Après l’annonce de Trump, certains analystes avaient craint que ces sanctions ne fassent grimper les prix mondiaux du pétrole. Une hausse qui aurait pu être provoquée par un afflux d’acheteurs chinois et indiens sur les marchés non-russes. Un mois plus tard, il n’en est rien. Entre le 21 octobre et aujourd’hui, le prix du baril de Brent n’a augmenté que de 1,7%. Ces derniers jours, il a même enregistré une baisse.
“Sur l’ensemble de la semaine, on devrait enregistrer une chute de 4%. C’est essentiellement lié au plan de paix pour l’Ukraine proposé par Trump. Il s’agit bien sûr d’une tendance à court terme. Mais cela montre que les sanctions contre Rosneft et Lukoil n’ont finalement pas eu d’effet sur les prix. Plus globalement, rappelons aussi que l’OPEP+, l’Arabie saoudite en tête, augmente sa production depuis environ un an. Si on y ajoute le petit ralentissement de l’économie mondiale, et donc une baisse de la demande, on comprend pourquoi le prix du baril ne s’envole pas”, fait valoir Bernard Keppenne.
Et en Europe ?
À l’échelon européen, les sanctions américaines contre Rosneft et Lukoil ont surtout fait frémir à l’Est, certains pays étant toujours très dépendants du pétrole russe. Là aussi, il apparaît que les craintes ont sans doute été quelque peu exagérées.
La Hongrie, par exemple, a reçu une dérogation de la part des États-Unis : elle a au moins un an pour diversifier ses approvisionnements. “On connaît l’attachement de Viktor Orban à la Russie. S’il est bien sûr compliqué de changer rapidement de stratégie énergétique, il n’y a de toute façon pas de volonté hongroise de se détourner du pétrole russe. À mon avis, la Hongrie espère simplement que, d’ici un an, le problème soit réglé et qu’on continue de la laisser acheter en Russie. Notons tout de même qu’il y aura entretemps des élections : ça pourrait changer la donne”, précise l’économiste de CBC.
Parmi les autres pays européens particulièrement concernés par les sanctions américaines, la Bulgarie. Le pays abrite la plus grande raffinerie de l’Europe de l’Est, propriété, jusqu’à tout récemment, de Lukoil. Les autorités ont trouvé une première parade la semaine dernière. Elles ont mis l’entité sous tutelle et nommé un administrateur pour en céder les actifs. Les États-Unis ont accordé à Sofia la possibilité d’y poursuivre les activités sans risquer de sanction jusqu’au 29 avril. Lukoil ne se laisse toutefois pas faire, menaçant de saisir la justice si Sofia ne la laisse pas gérer la vente de sa raffinerie, de son réseau de station-services et de ses autres actifs bulgares.
“La Bulgarie adopte une approche bien différente. Elle a vraiment la volonté de se détacher de la Russie. Mais ce n’est pas le genre de chose qui se fait du jour au lendemain. Quoi qu’elle fasse, elle restera encore dépendante du pétrole russe. Cela reste d’ailleurs vrai pour l’Europe dans son ensemble : par un effet de détournement, le pétrole russe continue toujours de finir sur le Vieux continent”, conclut Bernard Keppenne.
Rappelons enfin que les dérogations américaines se sont multipliées ces dernières semaines : Lukoil a encore jusqu’au 13 décembre pour vendre ses filiales à l’étranger.