Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban : encensé avant d’être maudit
Architecte du redressement du Liban après la guerre, aujourd’hui accusé d’être un des responsables de son effondrement, le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé aura tenu les rênes des finances du pays pendant 30 ans avant de quitter son poste lundi dans l’opprobre.
“Je vais tourner une page dans ma vie, et je crois que sur les 30 ans, la Banque du Liban a contribué pendant 27 ans par ses politiques monétaires à instaurer la stabilité et la croissance”, a affirmé l’ancien banquier d’affaires franco-libanais, âgé de 73 ans, dans sa dernière interview à une chaîne libanaise.
Riad Salamé, poursuivi par la justice au Liban et dans plusieurs pays d’Europe, a défendu jusqu’au bout ses politiques décriées et nié toute malversation financière, alors qu’il est suspecté de détournement massif de fonds publics et de s’être constitué un riche patrimoine immobilier et bancaire. Son mandat expire lundi sans qu’un successeur lui soit désigné, les divergences politiques dans le pays paralysant toute prise de décision. C’est, selon la loi, le vice-Premier gouverneur Wassim Mansouri qui devrait lui succéder.
Riad Salamé est visé par deux mandats d’arrêt émis par la France et l’Allemagne, mais le Liban refuse d’extrader ses ressortissants. La justice française a effectué 12 saisies sur son patrimoine immobilier et bancaire, d’une valeur de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le gouverneur fait en outre l’objet d’une enquête en Suisse. En 2022, la France, l’Allemagne et le Luxembourg avaient gelé 120 millions d’euros d’avoirs soupçonnés de lui appartenir.
Les années fastes
Depuis le début de l’année, des juges européens se sont rendus à trois reprises au Liban pour l’interroger, ainsi que ses proches, dont son frère Raja. Au Liban, la justice a ordonné la saisie provisoire de biens qu’il est soupçonné d’avoir acquis frauduleusement. Riad Salamé, qui détient l’un des records de longévité à la tête d’une banque centrale, a pourtant été applaudi pour avoir été l’architecte d’une politique financière qui a permis au Liban de rebondir après 15 années de guerre (1975-1990). Mais avec la descente aux enfers du pays depuis fin 2019, beaucoup le rendent responsable, avec les dirigeants politiques auxquels il est étroitement lié, de la ruine du Liban. Le gouverneur se défend et répète avoir amassé sa fortune lorsqu’il travaillait dans la banque d’investissements américaine Merril Lynch, où il gérait le portefeuille d’actifs du milliardaire Rafic Hariri, qui a fait fortune en Arabie saoudite.
Devenu Premier ministre en 1992, Rafic Hariri – assassiné en 2005 – installe Riad Salamé à la tête de la Banque centrale, poste réservé à la communauté chrétienne maronite en vertu du partage confessionnel du pouvoir au Liban. Il fixe alors le taux de change de la livre libanaise par rapport au dollar. Commencent des années fastes pour le Liban, qui attire les capitaux, notamment grâce à des taux d’intérêt très élevés. Riad Salamé accumule les lauriers: il est désigné meilleur gouverneur d’une banque centrale dans le monde par Euromoney en 2006 et par le Banker Magazine en 2009.
“Fuite en avant”
Mais avec la guerre qui éclate en Syrie en 2011, “les signaux rouges” s’accumulent pour l’économie libanaise, explique l’économiste Nicolas Chikhani. Au lieu de restructurer l’économie et d’abandonner sa politique qui commence à coûter cher au Liban, M. Salamé choisit “la fuite en avant”, explique-t-il. Dès 2016, il se lance dans des montages financiers comparés à une “pyramide de Ponzi”, et fin 2019, commence l’effondrement qui fait perdre à la livre libanaise plus de 98% de sa valeur.
Alors que les épargnants n’ont plus accès à leur argent dans les banques, il aide des dirigeants politiques à transférer leurs capitaux vers l’étranger en octobre 2019, juste avant l’effondrement, “pour un total de neuf milliards de dollars”, selon un spécialiste des marchés financiers. Il explique que M. Salamé avait des ambitions présidentielles: “Il ne refusait rien à la classe politique” et “a protégé les banques, dont les principaux actionnaires sont des politiciens”.
Mais après avoir profité de l’appui indéfectible de la classe politique, il a affirmé au cours de sa dernière interview qu’il se considérait désormais comme “un bouc émissaire”.