« On voit déjà les premiers signes de la crise de la mer Rouge se manifester en Belgique »
La crise de la mer Rouge n’a pas encore trop perturbé le commerce mondial, mais si elle se prolonge la croissance européenne pourrait s’affaisser de 0,9%, avertit Johan Geeroms (Allianz Trade).
Les attaques des Houthis en mer Rouge ont perturbé une route commerciale vitale ; elles ont allongé et renchérissent le transport des marchandises qui doivent désormais contourner l’Afrique. « Les prix du transport maritime, y compris le fret par conteneur, ont augmenté de 240 % depuis novembre 2023, atteignant les niveaux observés au quatrième trimestre 2022 », observent ainsi les économistes d’e l’assureur crédit Allianz Trade.
Les prix de l’énergie
Pour l’instant, poursuit l’assureur dans une étude, l’impact reste limité cependant, car dans une économie à la croissance relativement modeste, les stocks restent élevés et les marges des entreprises industrielles peuvent absorber les hausses des prix des intrants.
« Mais si la crise dure plusieurs mois, ce sera différent », affirme Johan Geeroms, Director Risk Underwriting Benelux chez Allianz Trade.
L’assureur prévoit en effet qu’une crise plus longue provoquerait un doublement des prix du transport maritime, entraînerait une hausse de l’inflation mondiale de 0,5 point de pourcentage, et réduirait la croissance mondiale de 0,4 point. Les prix de l’énergie sont les plus vulnérables, car 12 % du pétrole maritime et 8 % du gaz naturel liquéfié passent par le canal de Suez.
C’est en Europe que l’impact de l’augmentation des coûts de transport est le plus important. « Et si la crise dure deux ou trois mois, l’économie européenne commencerait à souffrir beaucoup », souligne Johan Geeroms. Si le conflit persiste, selon notre enquête, l’inflation augmenterait en Europe de 0,7 point de pourcentage et si la croissance restait encore légèrement positive, elle subirait néanmoins une baisse de 0,9 point de pourcentage ».
L’exemple Volvo
On observe déjà des conséquences directes pour l’économie belge de ce qui se passe en mer Rouge, ajoute-t-il. « Prenons l’exemple de Volvo, dit-il : le constructeur a été obligé de mettre ses travailleurs au chômage technique pendant trois jours. Certaines pièces n’étaient plus disponibles. Alors bien sûr, 2023 était une année de rattrapage pour l’industrie automobile après plusieurs années difficiles, en raison de la crise du coronavirus, puis de l’hésitation des consommateurs qui s’interrogeaient : « Dois-je acheter une autre voiture à essence, ou une voiture hybride, ou une voiture électrique ? » Maintenant, une prime de 5 000 euros a été accordée et cela a fait basculer l’achat. Volvo est également la voiture la plus vendue en Belgique. Mais oui, les premiers signes sont évidents après trois semaines. Si cela devait durer deux ou trois mois, ces effets seraient certainement très importants ».
Johan Geeroms ajoute : « d’une manière un peu plus générale, les problèmes géopolitiques s’aggravent. C’est la moitié de la population mondiale, qui se rendra aux urnes en 2024 : Union européenne, États-Unis, Inde… Il va donc se passer beaucoup de choses. Par exemple, si Trump arrive au pouvoir en Amérique, le soutien à l’Europe sera beaucoup moins important et les États-Unis n’aideront plus l’Ukraine. Cela va donc changer la donne. En 2024, nous nous dirigeons vers un nouvel ordre mondial ».
Nouvel ordre mondial
Et cette nouvelle donne ne sera pas sans répercussions économiques. « Les problèmes géopolitiques entraînent des perturbations économiques, et les perturbations économiques créent la géopolitique, rappelle Johan Geeroms. La relation est souvent à double sens. Je pense ainsi à la bataille mondiale pour les métaux rares, les puces, le lithium, les batteries, où l’Amérique latine et la Chine jouent un rôle de premier plan. Ce qui se passe en mer Rouge est donc un symptôme d’une transition sous-jacente beaucoup plus profonde. »
Dans ce contexte plus difficile, Allianz Trade s’attend, dans notre pays, à une hausse des faillites de 4%. La Belgique devrait retrouver les chiffres de la période 2010-2019 avec 10 500 faillites en 2024 et 10 000 en 2025. « C’est donc une hausse relativement faible, mais nous sommes déjà en Belgique à un niveau relativement élevé », note Johan Geeroms.
Et quels conseils donner aux entreprises ? Certes, les entreprises n’ont pas la main sur les problèmes géopolitiques. Mais ces perturbations pourraient entraîner des hausses de prix à l’avenir, si l’on veut pour des raisons de sécurité stratégique raccourcir notre chaîne d’approvisionnement et, par exemple, ne plus passer par la Chine. Cela coûtera plus cher, « mais les entreprises seront-elles prêtes à payer ? », s’interroge Johan Geeroms.
Diversifier et assurer
Dans l’environnement actuel, le conseil à donner, pour les entreprises exportatrices, est surtout de diversifier leur portefeuille de clients et de marché à l’exportation, observe le responsable d’Allianz Trade.
« Si vous faites des exportations, vous devez évidemment veiller à avoir un portefeuille très diversifié. La plus grande cause de faillite reste la défaillance de l’un de vos principaux clients, souligne Johan Geeroms. Et puis, je ne veux pas faire de publicité pour nos produits, pas du tout, mais bien sûr il y a les polices d’assurance-crédit qui couvrent les fournisseurs contre la faillite ou le défaut de paiement de leurs clients dans le monde entier. Le monde est en feu, et dans un tel monde, beaucoup d’entreprises, qui n’avaient pas d’assurance-crédit auparavant, s’adressent à nous. Car les gens sont de moins en moins sûrs d’eux », ajoute Johan Geeroms.
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