Nicolas Baygert: “La gauche doit repenser un contre-modèle positif, qui ne soit pas uniquement dans la surenchère anti-fasciste”
La droite a-t-elle gagné la bataille des idées ? Une question provocatrice mais pas illégitime, au vu de la déferlante Donald Trump, mais aussi de la droitisation du spectre politique en Europe et en Belgique. Pour tenter d’y voir plus clair, Trends Talk accueille cette semaine Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’Ihecs, l’ULB et Sciences Po Paris. L’entretien est à voir ce weekend sur Canal Z.
La droite a-t-elle gagné la bataille des idées ou celle de la communication ? “C’est d’abord un succès de communication“, répond Nicolas Baygert. “Mais c’est aussi la victoire d’une bataille culturelle. On le voit avec ce succès inédit de Donald Trump que l’on croyait mort politiquement.”
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Une droite plurielle
Une sorte d’hégémonie narrative qui ne doit toutefois pas nous faire oublier que la droite est plurielle. “Il faut faire attention à ne pas généraliser. En particulier pour la droite américaine. Le mouvement Make America Great Again est lui-même divisé entre les techno-populistes d’un côté et des populistes identitaires de l’autre. Sans oublier les conservateurs plus classiques et les courants religieux.”
Nicolas Baygert estime que l’alt-right et les influenceurs ont joué un grand rôle dans l’élection de Donald Trump. “Notamment les podcasts, avec Joe Rogan. La grande victoire de la droite est d’avoir su toucher une audience qui n’était plus devant son téléviseur, à écouter les legacy media.”
Aujourd’hui, Donald Trump leur renvoie l’ascenseur. Lors de sa première conférence de presse, la jeune porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, 27 ans, a indiqué que le président voulait désormais ouvrir les conférences de presse aux “podcasteurs, influenceurs et créateurs de contenus”, tout en précisant qu’il “n’y aura pas de wokisme ici”.
Le backclash
Le wokisme. S’il y a bien un combat autour duquel se rassemble cette droite diversifiée, c’est celui-là. Le wokisme a pris beaucoup de place aux États-Unis, en s’immisçant parfois très loin dans le monde culturel. Aujourd’hui, il y a un retour de balancier, un backlash, confirme notre interlocuteur. “C’est une forme d’épuisement moral. Dans l’électorat de Donald Trump, on retrouve aujourd’hui des personnes qui n’étaient pas des fervents supporters du mouvement MAGA et des républicains, mais qui sont arrivées au bout d’une certaine exaspération face à ce qu’ils ressentent comme une oppression politique élitiste.”
Le monde du travail n’a, lui non plus, pas été épargné : “Bon nombre d’entreprises ont embrassé cette révolution wokiste. En appliquant les principes DEI (diversité, équité et inclusion), une forme de discrimination positive des minorités. Notamment au sein des conseils d’administration.”
Pour une partie de la population américaine, c’est allé trop loin. “Ils ont trouvé en Donald Trump un croisé qui partait en guerre contre le wokisme“, conclut le professeur sur ce chapitre.
Les démocrates, chaos debout
Face à la déferlante Trump, les démocrates semblent chaos debout. Ils sont devenus inaudibles et ne parviennent pas à se remettre d’une défaite cuisante. C’est aussi le fruit d’une longue agonie, selon Nicolas Baygert.
Une défaite qui s’explique par le manque d’idées : “Le Parti démocrate n’a fait que de l’anti-trumpisme ces dernières années, c’est étrange, parce qu’il était encore au pouvoir. Ils ont choisi une posture défensive, face à un Donald Trump qui présentait une idée par jour et un soutien par jour. Donald Trump a contrôlé le récit médiatique, là où les démocrates ont adopté une posture victimaire. “
MAGA s’internationalise
La droitisation de la politique en Europe, voire sa droite-extrêmisation n’est certainement pas un phénomène nouveau en Europe, mais il y a désormais une impression de socle commun. Une sorte d’internationalisation du mouvement MAGA : “L’idée de Donald Trump, c’est d’aller lui-même choisir ses alliés (…). Il n’est plus seul comme en 2016. Il peut compter sur des relais en Europe, mais aussi en Amérique du Sud, avec un Javier Milei, par exemple.”
Mais plus que Donald Trump, Nicolas Baygert voit en Elon Musk la figure de cette internationalisation du mouvement : “Grâce à X et à sa capacité d’agir en agenda setter, il distille des idées dans les débats nationaux. Il parvient à déréguler le débat public et à faire réagir, y compris la presse nationale. Sur des thématiques qui sortaient du champ du dicible.”
Avec des effets rapides. En Allemagne, le débat sur la migration a repris beaucoup de vigueur. Jeudi dernier, les chrétiens-démocrates de la CDU ont brisé le cordon sanitaire, en s’alliant à l’AfD pour adopter une motion parlementaire sur un durcissement de la législation sur l’immigration.
Une réponse de la gauche qui se fait attendre
La Belgique, et singulièrement la Belgique francophone, n’échappe plus à ce phénomène de droitisation politique. C’est sans doute ce qu’a compris depuis longtemps Georges-Louis Bouchez, président du MR, qui a repositionné son parti à droite, en le portant à 30% en juin dernier. Lui aussi est un agenda-setter, lui aussi est en guerre culturelle contre le wokisme, lui aussi est parfois dans l’outrance et lui aussi impose des débats qui étaient souvent absents.
L’opposition, et en particulier le PS, n’a pas su immédiatement répondre. Une réunion de crise a même été nécessaire chez les socialistes pour savoir comment communiquer pour faire face à Bouchez. Depuis quelques semaines, on voit clairement que le PS insiste sur la droitisation, voire l’extrême-droitisation supposée du Mouvement réformateur.
Il reste à voir si cela peut percoler dans le monde d’aujourd’hui : “La gauche doit repenser un contre-modèle positif, qui ne soit pas uniquement dans la dénonciation et la surenchère anti-fasciste. Parce que c’est un logiciel qui fonctionne très bien, mais le problème, c’est qu’il est beaucoup plus difficile aujourd’hui d’excommunier quelqu’un dans la bulle culturelle actuelle.
L’entretien avec Nicolas Baygert est à voir dans Trends Talk, ce weekend, sur Canal Z.
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