Mer Rouge, Canal de Panama: le transport maritime dans la tourmente, les chaînes d’approvisionnement menacées
Le transport maritime mondiale est dans la tourmente. Deux problèmes importants affectent les liaisons maritimes les plus fréquentées. Des centaines de navires de marchandises doivent emprunter des routes datant du XVIIIe siècle. Des pénuries sont annoncées pour le début 2024.
Le commerce mondial a fait un sacré un bon en arrière dans le temps. Un grand nombre de navires transportant des marchandises sont contraints d’emprunter des voies de navigation qui remontent au XVIIIe siècle, ralentissant considérablement la livraison des marchandises. Cette situation découle d’une “double crise des canaux”. Explications.
Le Canal de Suez, traditionnellement le chemin le plus rapide entre l’Europe et l’Asie depuis près de deux cents ans, est devenu un passage risqué à cause des attaques perpétrées par le groupe Houthis. En provenance du Yémen, ces rebelles prennent pour cible le trafic maritime international en utilisant des missiles et des drones. Officiellement, les Houthis ciblent uniquement les navires israéliens, en représailles à la guerre à Gaza. Cependant, ces dernières semaines, leurs cibles semblent être de plus en plus imprévisibles.
Le Canal de Suez évité
La conséquence directe est que la plupart des grandes compagnies maritimes évitent dorénavant la voie qui traverse le canal de Suez, la mer Rouge et le détroit de Bab el Mandeb (surnommé la “Porte des Larmes”), où les Houthis sont en embuscade. Selon les données les plus récentes de Flexport, une entreprise américaine surveillant le transport maritime mondial, 180 navires ont jeté l’ancre en attendant que la situation devienne plus sûre. D’autres ont commencé à contourner l’Afrique, rapporte De Morgen.
La mer Rouge est l’une des routes les plus importantes au monde pour les expéditions de pétrole, de gaz naturel liquéfié et de biens de consommation. Elle est encadrée par le détroit de Bab el-Mandeb, également connu sous le nom de “Porte des Larmes”, au sud près de la côte du Yémen, et par le canal de Suez au nord. Environ 20.000 navires transitent chaque année par le canal de Suez, autre porte d’entrée et de sortie des navires passant par la mer Rouge. Selon l’International Chamber of Shipping (ICS), 12% du commerce mondial transite par la mer Rouge.
Euronav, la plus importante compagnie maritime belge, ne souhaite pas non plus compromettre la sécurité de son personnel en mer Rouge. La société de dragage Jan De Nul a annoncé avoir déployé une sécurité renforcée pour ses navires qui se situent dans cette zone à risque, selon le quotidien flamand.
Sécheresse dans le Canal de Panama
Autre endroit qui suscite des inquiétudes depuis quelques mois pour le transport maritime mondial: le canal de Panama. Cette voie navigable importante entre l’Asie et les Etats-Unis connaît en effet des difficultés liées au changement climatique. Dans la liaison de 81 kilomètres entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique se forment actuellement des files navires de marchandises en raison d’une sécheresse historique en Amérique latine. Le niveau d’eau dans le chenal et le lac artificiel de Gatun est si bas que la circulation dans le canal de Panama doit être sérieusement restreinte.
La mauvaise nouvelle est que la situation ne devrait pas s’améliorer de sitôt, au contraire. Il faudrait attendre la saison des pluies, c’est-à-dire avril ou mai, pour voir les réservoirs se remplir à nouveau et un retour à la normale, selon des analystes cités par Reuters. « Du jamais vu en 50 ans d’expérience dans le milieu », décrit l’un d’entre eux.
De sérieux risques pour l’économie mondiale
Pour l’économie mondiale, les difficultés dans ces deux passages risquent de devenir un sérieux problème. “Les navires transportant toutes sortes de marchandises peuvent se retrouver pris au piège dans cette crise”, annonce Bloomberg. “Cela va des jouets et des pièces automobiles au gaz naturel liquéfié (GNL) et au pétrole. À court terme, cela entraînera une augmentation des coûts de conteneurs, des retards importants dans l’approvisionnement de secteurs économiques et des prix plus élevés pour certains biens.”
Car faire le détour via le Cap de Bonne-Espérance signifie un retard de dix jours pour un navire. 3 500 milles nautiques sont ajoutés au voyage. De plus, sur l’isthme du Panama, l’étroite bande de terre qui sépare l’océan Atlantique à l’est de l’océan Pacifique à l’ouest, il faut actuellement attendre entre dix et trente jours pour obtenir un créneau de passage. Faire le détour par le Chili engendre un retard de vingt jours ou plus.
Le prix des conteneurs en hausse
La période de fin d’année ne pose pas de problème. Les magasins ont déjà fait le plein de leurs stocks pour les fêtes ces dernières semaines. Les rayons sont remplis. Mais janvier est traditionnellement un mois chargé pour le commerce maritime mondial. Les entreprises du monde entier essaient en effet pendant cette période de reconstituer leurs stocks avant que la Chine ne ralentisse pour célébrer le Nouvel An chinois (le 10 février).
Selon l’indice mondial des conteneurs Drewry cité par De Morgen, le coût du transport d’un conteneur de marchandises moyen de l’Asie vers l’Europe du Nord a augmenté de 16 % la semaine dernière. En décembre dans son ensemble, cette hausse a atteint 41 %. Les prix du pétrole et du gaz ne bougent pas pour le moment, mais cela peut changer rapidement. Surtout si un conflit militaire éclate entre les États-Unis et les Houthis du Yémen.
Pénurie chez IKEA
Dans ce contexte, certaines entreprises optent dorénavant pour le transport aérien. C’est le cas notamment, d’Abercrombie & Fitch. Selon un mail interne consulté par Bloomberg, la marque de vêtements cherche à contourner les problèmes en mer Rouge en acheminant directement ses produits depuis l’Inde, le Bangladesh et le Sri Lanka vers l’Occident.
Mais ce n’est pas une option viable pour tout le monde, en particulier pour les entreprises importatrices de biens bon marché en grande quantité. Le géant suédois de l’ameublement, Ikea, a ainsi mis en garde contre “des rayons potentiellement vides dans un avenir proche”. « La situation dans le canal de Suez va entrainer des retards et pourrait entraîner des contraintes de disponibilité pour certains produits Ikea », écrit le groupe suédois dans un message à l’AFP.
Reprise des opérations de Maersk
Ces derniers jours, la situation a évolué. Une opération militaire internationale dirigée par les USA visant à prévenir les attaques contre les navires commerciaux par les rebelles Houthis du Yémen a été déployée.
Suite à cela, la société d’expédition danoise Maersk a déclaré qu’elle se préparait à reprendre ses opérations à travers la mer Rouge et le golfe d’Aden, selon la BBC. Cependant, la deuxième plus grande compagnie maritime au monde a ajouté que bien que des mesures de sécurité aient été mises en place, “le risque global dans la région n’est pas éliminé à ce stade”. “Maersk n’hésitera pas à réévaluer la situation et à relancer des plans de déviation si nous le jugeons nécessaire pour la sécurité de nos marins”.
La société allemande maritime Hapag-Lloyd a déclaré, pour sa part, qu’elle déciderait mercredi si elle reprenait la navigation sur cette voie, selon Reuters. “Nous déciderons demain de la manière dont nous procéderons”, a déclaré un porte-parole d’Hapag-Lloyd mardi, refusant de commenter davantage. La société avait déclaré la semaine dernière qu’elle redirigerait 25 navires d’ici la fin de l’année pour éviter la zone.
D’autres géants du transport maritime, notamment la Mediterranean Shipping Company (MSC) et CMA CGM, évitent actuellement la voie de la mer Rouge en raison de la menace accrue d’attaques.
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