Matthias Matthijs (Université Johns Hopkins) : “Voici le nouveau visage de l’Amérique”

Trump
Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Lors de sa précédente campagne, Donald Trump a dû s’appuyer sur le vote de l’homme blanc en colère. Cette fois, il a obtenu des soutiens de toutes parts : Noirs, Latinos et femmes. La haine envers l’inflation a été l’élément fédérateur, explique Matthias Matthijs, professeur à l’Université Johns Hopkins à Washington DC. “Le choc sur le pouvoir d’achat a été énorme.”

Les sondages prévoyaient une course serrée entre Donald Trump et Kamala Harris aux élections présidentielles américaines, mais Trump a rapidement été déclaré vainqueur. “Trump progresse partout, des villes de Californie au Bronx, à New York,” déclare Matthias Matthijs, professeur d’économie politique à l’Université Johns Hopkins à Washington DC. “Son électorat est devenu bien plus diversifié. C’est ce que les sondages n’ont pas su anticiper.”

Est-ce que les électeurs de Trump ne sont plus seulement les hommes blancs en colère ?

MATTHIAS MATTHIJS : “En effet. La majorité des femmes blanches, par exemple, ont voté pour Trump, même si les sondages accordaient une grande importance à la question de l’avortement. Trump a également fait des progrès considérables parmi les Noirs et les Latinos, qui lui ont offert la victoire, ce qui est plutôt ironique. Celui que les Démocrates accusent de racisme depuis dix ans est porté au pouvoir par des non-Blancs.”

Qu’est-ce qui a poussé ces groupes variés à voter pour Trump ?

“Tout le monde déteste l’inflation. Les gens sont insensibles aux explications technocratiques des Démocrates. Certes, la hausse des prix est désormais sous contrôle et les salaires réels sont en hausse, mais aujourd’hui, une pizza coûte 35 dollars contre 20 il y a quelques années. Le choc sur le pouvoir d’achat a été colossal, surtout pour ceux dans la moitié inférieure de la distribution des revenus. N’oublions pas : les Américains de moins de 50, voire de 60 ans, ne se souviennent pas de l’inflation galopante des années 80 ni des taux hypothécaires à 13 ou 14 %. Aujourd’hui, ils sont de 7 à 8 %. Les Américains s’étaient trop habitués à la faible inflation et aux bas taux d’intérêt des 20 à 25 dernières années.”

La perte de pouvoir d’achat est-elle la seule explication du succès de Trump ?

“Les Démocrates ont complètement sous-estimé le problème de l’immigration. Les Américains sont exaspérés par l’immigration incontrôlée. Là encore, ils ne veulent pas d’explications technocratiques. Ils veulent un mur et souhaitent que les immigrés illégaux soient expulsés. C’est la grande leçon de ces élections. Les Républicains obtiennent aussi la majorité au Sénat, et probablement à la Chambre des représentants. Trump aura donc tous les pouvoirs. Les États-Unis vont devenir un laboratoire du pouvoir sans limites.”

Cela a au moins le mérite d’être clair...

“On le voit aussi sur les marchés financiers. Les cours des actions américaines montent en flèche. Les marchés anticipent que la déréglementation et les baisses d’impôts vont faciliter les affaires aux États-Unis. Bien sûr, les marchés s’inquiètent de l’indépendance de la banque centrale américaine et de la hausse des droits de douane. Mais au moins, il n’y a pas de violence dans les rues, ce qui est un soulagement.”

La hausse des droits de douane pourrait relancer l’inflation et finalement pénaliser les électeurs

“Les marchés anticipent déjà une inflation plus élevée. Le rendement des obligations d’État américaines à dix ans a grimpé. Les droits de douane plus élevés ne sont pas une fin en soi pour Trump ; il veut réduire le déficit commercial avec l’Europe et la Chine. La question est de savoir comment ces derniers réagiront. Feront-ils des concessions en abaissant les droits de douane sur les produits américains ?”

Vous avez mentionné la position fragile de la Fed, la banque centrale américaine. Doit-on craindre pour son indépendance ?

“Je le pense. Au sein de l’entourage de Trump, la bataille pour contrôler les différents domaines politiques – sécurité, politique étrangère, mais aussi politique monétaire – a déjà commencé. Trump est instinctivement favorable à des taux d’intérêt bas, tandis que la Fed est une institution indépendante. En attendant, le taux des obligations augmente, entraînant également une hausse du dollar. Il est probable que Trump interviendra dans la politique monétaire, ce qui pourrait inquiéter les marchés financiers, qui veulent savoir où se situe le véritable pouvoir.”

Quel avenir pour l’Inflation Reduction Act (IRA), qui alloue des subventions généreuses aux investissements verts sous Joe Biden ?

“L’IRA a déjà distribué énormément de subventions, entraînant un flux massif de capitaux privés vers les investissements verts, ce que Trump ne peut pas annuler. Il dispose toutefois d’un contrôle sur les subventions non encore attribuées. D’un autre côté, Elon Musk, PDG de Tesla, est l’un des principaux conseillers de Trump, ce qui devrait être positif pour la transition écologique aux États-Unis. En tout cas, il n’y aura pas de deuxième IRA. Trump est très lié aux barons du pétrole américain. Sa réélection est donc une mauvaise nouvelle pour la lutte contre le changement climatique.

La stratégie de Biden de canaliser les subventions IRA vers les États républicains n’a donc pas fonctionné ?

“Elle a pris trop de temps. Il aurait fallu deux à cinq ans pour que des groupes d’intérêts émergent autour de l’IRA. Mais le climat n’a pas été un enjeu de cette campagne. Même Kamala Harris a à peine mentionné le réchauffement climatique et les énergies renouvelables. Les débats ont surtout porté sur le pouvoir d’achat et l’immigration. Les investissements dans l’économie verte aux États-Unis n’ont donc pas un avenir prometteur pour les quatre prochaines années.”

Trump devient à nouveau président des États-Unis. Quel impact pour l’Europe ? Une grande prise de conscience ?

“Ce réveil avait déjà eu lieu en 2016, lors de la première élection de Trump. Beaucoup pensaient qu’il s’agissait d’une anomalie, d’une exception dans l’histoire politique américaine, surtout après l’élection du Démocrate Biden quatre ans plus tard. Mais la réélection de Trump clarifie la situation : c’est le nouveau visage de l’Amérique. Et avec JD Vance comme colistier, Trump a déjà son successeur désigné, un homme encore plus éloquent que lui. Le trumpisme est bien implanté. L’Europe devra avancer vers une autonomie économique. J’espère que des poids lourds de l’UE comme l’Allemagne, la France et la Pologne se retrouveront, avec le Royaume-Uni. Les États membres devront également investir davantage dans la défense s’ils souhaitent conserver le soutien américain dans l’OTAN, ou alors ils devront organiser leur propre défense.”

Pour l’Ukraine, la victoire de Trump est une très mauvaise nouvelle.

“Oubliez le soutien américain à l’Ukraine. À moins que l’Europe n’en paie le prix, auquel cas les États-Unis seront ravis de fournir des armes. La question est de savoir si l’Europe assumera le désengagement américain. Les pays scandinaves, les États baltes et la Pologne voudront soutenir l’Ukraine, mais qu’en est-il des autres États membres ? Les leaderships de Berlin et de Paris sont fragiles. Il est probable que Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, devienne la nouvelle alliée privilégiée de Trump. Elle est la seule leader du G7 plus à droite que Trump lui-même. Restera-t-elle aux côtés de l’Ukraine ? Des temps incertains s’annoncent pour l’Europe.”

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