Paix en Ukraine : les limites du pouvoir de Trump face à Poutine

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Muriel Lefevre

Trump aimerait s’imposer comme l’arbitre ultime du conflit, mais son envie se heurte à une réalité économique implacable. Et alors que le président russe continue d’avancer à reculons, sans rien céder, il aurait tort de complètement ignorer les Européens.

Trump ne peut pas mettre fin à la guerre en Ukraine, et il commence à le comprendre. Alors que les drones russes s’abattent toujours sur les villes ukrainiennes et que les lignes de front s’enlisent dans l’Est, la dynamique géopolitique autour de cette guerre semble secouée d’un léger frisson. Il y a eu la tentative ratée d’un début de négociations de paix la semaine dernière, et la reprise de contact direct entre Trump et Vladimir Poutine ce lundi, via un entretien téléphonique.

À la suite de cet appel, Donald Trump a annoncé le lancement “immédiat” de négociations entre la Russie et l’Ukraine en vue d’un cessez-le-feu et d’un traité de paix. Le président russe s’est dit lui prêt à travailler sur un « mémorandum » avec Kiev, tout en refusant un arrêt inconditionnel des combats. Malgré le peu d’engagement concret de la la part de la Russie, Trump affirme que la discussion s’est “très bien passée”. Il n’a donné aucune précision sur ou et quand se déroulerait de telles négociations, tout en soulignant que ce serait “super” si elles se tenaient au Vatican.

“Le narratif qui l’emporte est celui d’un président russe qui réussit toujours à gagner du temps et éviter une fermeté plus grande”et l’impression générale est que “chaque contact direct entre Donald Trump et Vladimir Poutine semble tourner à l’avantage du Russe, comme si une fascination de l’homme fort s’exercait sur l’Américain”, précise Olivier Mouton dans son analyse sur Trends Tendances.

Avec encore ce même constat: à ce stade, les efforts de Trumpn’ont pas permis d’avancée majeure dans le règlement du conflit, déclenché par l’invasion russe en février 2022.

Trump grogne, mais ne mord pas

En avril, le président américain a menacé d’imposer des droits de douane secondaires. Car si Trump a été très complaisant les premiers mois, il a perdu patience début avril et haussé le ton contre son homologue russe, le menaçant d’imposer des sanctions « secondaires ». Soit des taxes douanières de 25 à 50 % sur toutes les entreprises qui achètent du pétrole à la Russie. Une telle pilule serait amère pour Moscou, mais pénaliserait aussi lourdement des pays comme l’Inde, la Chine ou la Turquie. Faut-il y voir la raison pour laquelle les menaces n’ont pas encore été concrétisées ?

Un autre levier sur lequel Trump peut s’appuyer pour affaiblir la Russie est de faire baisser le prix de l’or noir. Les États-Unis, en tant que premier producteur mondial de pétrole, ont ce pouvoir (par exemple en augmentant la production) et pourraient ainsi faire chuter les revenus d’exportation de Moscou, essentiels au financement de la guerre. Certains n’hésitent pas à qualifier le pétrole de seul véritable talon d’Achille de Poutine. Ainsi, si on avait introduit un plafond de prix inférieur à 30 dollars le baril, cela aurait fait perdre 79 milliards d’euros à la Russie entre décembre 2022 et fin janvier 2025. Et si le plafond à 60 dollars imposé par l’Europe a fait mal, il ne l’a pas fait assez. La faute à la flotte fantôme russe qui a sérieusement émoussé l’arme du pétrole.

Enfin, on notera aussi que Trump n’a pas encore évoqué le point qui pourrait vraiment faire mal. Il est en effet encore nulle question d’utiliser les 300 milliards de dollars d’actifs russes saisis pour aider Kiev (aujourd’hui seuls les intérêts dégagés sont utilisés).

Et suite à l’appel d’hier, aucun durcissement des sanctions a été évoqué.

Les sanctions, véritable levier de l’Europe

De toute façon, et même en admettant que les Etats-Unis sortent le bazooka économique, cela risque de ne pas suffire. Et Trump commence à le comprendre.

Dans ce ballet diplomatique, les Européens s’emploient de leur côté à rester dans la danse. Malgré des débuts difficiles – Trump ayant ostensiblement mis l’Europe à l’écart, notamment lors de la conférence de Munich en février dernier – les dirigeants du Vieux Continent ont su remettre la pression. Et ce en jouant leur carte maîtresse : les sanctions économiques contre Moscou.  Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas les États-Unis qui possèdent l’arme économique la plus dissuasive sur le long terme face à la Russie. Car en ce qui concerne les sanctions, l’Europe dispose de beaucoup plus de leviers vis-à-vis de la Russie que les Américains.

Trump peut bien menacer d’imposer des taxes secondaires ou, dans un grand geste de mansuétude, lever les sanctions américaines. Mais ces mesures n’auraient qu’un impact limité dans le temps.

Les nombreux autres leviers de l’Europe

Ce n’est en effet pas avec l’Amérique que la Russie commerçait principalement. Les échanges commerciaux entre la Russie et les États-Unis ne représentaient que 3,6 % des exportations russes en 2021 (et 5,9 % des importations russes provenaient des États-Unis). À l’inverse, près de 40 % du commerce extérieur russe se faisait avec l’Union européenne. Aujourd’hui 54 % des importations russes depuis l’Europe sont concernées par les sanctions et elles touchent des secteurs stratégiques comme de la technologie de pointe et de l’aéronautique. Elles ont de réelles conséquences comme une industrie affaiblie et des avions cloués au sol.

Les mesures ont aussi fait beaucoup de mal à Gazprom qui était la véritable vache à lait de l’Etat russe et elles plombent les réserves de l’État. Celles-ci ont fondu comme neige au soleil : près de 60 % entamées depuis 2022.  À cela s’ajoute le départ massif d’entreprises occidentales. Deux tiers des entreprises ayant quitté la Russie depuis 2022 sont européennes, contre seulement 18 % d’américaines. Si les sanctions persistent, ces entreprises ne reviendront pas.

Et que dire des avoirs gelés de la Banque centrale russe, que Poutine aimerait récupérer ? La majorité de ces fonds est bloquée chez Euroclear, à Bruxelles. Leur éventuelle libération dépend exclusivement de l’Europe. Poutine peut également oublier toute velléité de reconnexion des banques russes au système Swift — basé en Belgique — qui permet les paiements internationaux.

Trump et l’illusion de toute-puissance

Ce constat offre un paradoxe saisissant. Trump aimerait s’imposer comme l’arbitre ultime du conflit, mais son levier principal -la menace de retrait de l’aide américaine à l’Ukraine – se heurte à une réalité économique implacable. L’Amérique peut faire très mal économiquement à la Russie, mais sans l’appui des Européens, aucune pression durable sur Poutine n’est possible. Seul, il ne peut asphyxier ou soulager économiquement la Russie. Il ne peut donc pas se permettre d’ignorer les Européens s’il veut qu’ils fassent preuve d’un minimum de souplesse.

Or jusqu’à présent, les puissances européennes sont restées unies sur les sanctions contre la Russie et ont déjà voté seize paquets de mesures. La visite, début mai, des dirigeants français, allemands, britanniques et polonais à Kiev, en plein défilé de la victoire à Moscou était aussi l’occasion de passer un message sans ambiguïté. Il n’y aura pas de levée des sanctions sans condition, notamment un cessez-le-feu durable de la part de la Russie. Et si Poutine continue de refuser cette option, les dirigeants européens en rajouteront encore une couche.

Ce week-end encore les sorties européennes se sont enchaînées. Les dirigeants français, britannique, allemand et italien se sont entretenus dimanche par téléphone avec le président américain Donald Trump, sur la nécessité d’un cessez-le-feu inconditionnel et sur celle pour le président Poutine de prendre au sérieux les pourparlers de paix.

Les “Européens et les Américains sont déterminés à œuvrer ensemble, de manière ciblée, pour que cette terrible guerre cesse rapidement”, a encore déclaré dimanche le chancelier allemand, Friedrich Merz, après la messe inaugurale du pape Léon XIV. “Au président Poutine de prouver demain qu’il veut vraiment la paix et d’accepter le cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours proposé par le président Trump, soutenu par l’Ukraine et l’Europe”, a de son côté écrit sur X le président français, Emmanuel Macron.

Trump, jusqu’ici enclin à négocier directement avec le Kremlin, a fini par relayer cette position. Au point de prendre la peine d’informer plusieurs dirigeants européens, dont Macron, Merz et von der Leyen, de la teneur de l’échange téléphonique de lundi, juste après celui-ci.

Premier signe qu’il commence à comprendre qu’il a besoin des Européens pour obtenir des concessions de Poutine ? Peut-être bien, mais avec quelques nuances. Dans le narratif consécutif de l’appel de lundi entre Trump et Poutine, il n’y a aucune mention de sanctions supplémentaires, pas de cessez-le-feu immédiat. Concrètement les conditions posées par les alliés européens sont passées à la trappe, du moins pour l’instant. Poutine joue donc la montre. Et même Trump doit se rendre à l’évidence : cela fait des mois qu’il n’obtient rien. Il est peut-être temps de passer au plan B.

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