France : les marchés ont plutôt bien réagi au second tour, mais pour combien de temps ?

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Baptiste Lambert

Malgré quelques grosses surprises, c’est bien l’incertitude qui a gagné les élections législatives françaises. L’absence de majorité absolue, tant du RN que du NFP, rassure les marchés. Mais le blocage à long terme des institutions pourrait les faire rapidement déchanter, pense Eric Dor, directeur des études économiques, à l’IESEG School of Management de Lille.

Les élections législatives françaises ont eu beau couronner le Nouveau Front Populaire, à la surprise générale, le bloc de gauche ne dispose d’aucune majorité, relative ou absolue. Il en est de même du Rassemblement national, dont la vague du premier tour n’a pu être confirmée. Le bloc central Ensemble, composé entre autres du parti d’Emmanuel Macron, a limité la casse, mais, lui non plus, ne peut pas gouverner seul. Bref, comme cela a déjà beaucoup été dit, nos amis français devront devenir un peu belges : les invectives devront laisser place au compromis. La France va apprendre les joies et les peines d’une coalition.

Eric Dor
Eric Dor (IESEG School of Management) : “La nervosité des marchés peut vite revenir.” © D.R.

Sur le plan économique, l’incertitude a paradoxalement rassuré les marchés. Dans la lignée de l’entre-deux tours : aucun des blocs ne disposant de majorité, personne ne pourra appliquer complètement son programme. Ceux du NFP et du RN rendaient les marchés très nerveux. Lundi matin, les voyants étaient plutôt au vert : aucun effondrement du CAC40, les actions des grandes banques étaient dans le vert, l’euro progressait par rapport au dollar, et le spread du taux à 10 ans se résorbait entre la France et l’Allemagne. Pas de panique alors ? Tout pourrait rapidement basculer si les marchés se rendent compte que la politique française est incapable de réaliser des compromis. Dette, productivité, compétitivité, déficit commercial, attractivité… la France fait face à de nombreux défis, dont celui de ne pas voir toute la politique d’Emmanuel Macron détricotée, notamment en matière de retraite.

TRENDS-TENDANCES. L’incertitude politique a été plutôt bien accueillie par les marchés, lundi matin. Ce n’est pas paradoxal ?

ERIC DOR. Effectivement, ça s’est plutôt bien passé. Les marchés ne voulaient pas du programme du RN ou du NFP. Pour eux, l’épouvantail, c’était une majorité absolue pour l’un des deux camps. C’était très clair pour celui du NFP, qui était contre les entreprises, pour une taxation importante des profits, pour le retour d’un impôt sur la fortune, pour l’augmentation du SMIC, et évidemment, pour l’abrogation totale de la réforme des retraites qui aurait coûté des dizaines de milliards d’euros. Un programme incroyablement coûteux. Sans oublier le refus d’appliquer le pacte de stabilité. C’était écrit noir sur blanc dans le programme.

Pourtant, Jean-Luc Mélenchon réclame déjà un Premier ministre qui appliquera son programme…

Désolé, mais ça n’a pas de sens. Le NFP, qui est déjà une alliance très hétérogène, n’a obtenu que 16,17% des électeurs inscrits et 25,68% des suffrages exprimés. La réalité, c’est que moins d’un Français sur cinq ayant le droit de vote s’est déplacé pour soutenir le programme du NFP. Et encore, beaucoup ont uniquement voulu faire barrage au RN. Tout le monde devrait avoir plus d’humilité. Dans tous les autres pays d’Europe, on a un Parlement fragmenté. Personne n’a de majorité absolue. Il faut donc faire une coalition et chacun doit mettre de l’eau dans son vin. En Allemagne, on a vu les écologistes siéger avec les libéraux, en Belgique pareil. On a beaucoup entendu les mélenchonistes, car voir une coalition se réaliser sans eux leur fait peur.

Et concernant le programme du RN ?

C’était plus flou, mais le programme était très protectionniste. Pour les grandes entreprises françaises, c’était perçu comme très dangereux. Dans les deux cas, les marchés en actions ont donc été soulagés.


Les marchés obligataires aussi d’ailleurs. Car, là encore, il n’existe pas de majorité absolue pour réaliser un programme de défi des règles budgétaires européennes. Alors que l’on sait que c’est tout l’inverse qu’il faut faire. La France, comme la Belgique, vient d’être épinglée par la Commission européenne dans une procédure pour déficit excessif. Et les nouvelles règles du Pacte de stabilité impliquent un effort assez considérable.

Justement, la France (la Belgique aussi) doit proposer une trajectoire pour le 20 septembre. Il est peu probable qu’il y ait un gouvernement…

La nervosité des marchés peut vite revenir. L’immobilisme nous tend les bras. Qui va voter un budget qui va satisfaire les règles budgétaires ?

Avec un risque de baisse de la notation de la dette française ?

S’il n’y a pas de majorité autour d’un programme qui soutient la baisse de la dette française, la note de la France est appelée à se dégrader. C’est une certitude. Mais cela peut prendre du temps, car les marchés restent friands de la dette française. On parle ici des grands fonds souverains, des grands fonds de pension ou autres BlackRock et Amundi, sans oublier les compagnies d’assurance ou même les banques. Tous ont besoin d’acheter beaucoup, mais les triple A n’émettent pas assez pour assouvir leur appétit, donc ils se rabattent sur des pays comme la France et la Belgique. En outre, et c’est de plus en plus souvent le cas, les agences de notation réagissent aux marchés et non l’inverse. Elles et leurs experts ne jouent plus leur rôle de lanceuses d’alerte.

On peut se dire aussi : pas de gouvernement, pas de bêtises, comme en Belgique à une certaine époque…

On n’est pas dans les mêmes conditions. Cette procédure pour déficit excessif nécessite de faire quelque chose. Et la Belgique, terre de compromis, a une interprétation assez extensive d’un gouvernement en affaires courantes. La Belgique a un pragmatisme que la France n’a pas encore.

D’un point de vue purement économique, la France ne peut pas non plus se permettre une trop grande vacance du pouvoir.

Les problèmes sont effectivement connus. Outre la dette, il y a la baisse de la productivité depuis 2019, contrairement aux autres pays européens. Cela s’explique en partie par un taux d’absentéisme plus important qu’ailleurs, et en corollaire, un mal-être au travail. Mais aussi par le manque de qualification de la main-d’œuvre. A cet égard, la réforme d’apprentissage d’Emmanuel Macron a eu un effet pervers : plus 1 million d’apprentis ont intégré les entreprises, ce qui a nécessairement fait baisser la productivité. On peut citer aussi les aides qui ont maintenu en vie trop d’entreprises zombies. On attendait d’un gouvernement de plein exercice qu’il puisse résoudre ces problèmes.

Sans parler de la compétitivité…

Le déficit commercial français n’arrête pas de se dégrader, au niveau des biens. Emmanuel Macron avait commencé des réformes, en baissant notamment des impôts liés à la production. Mais on voit aujourd’hui que c’est contesté par des partis qui ont gagné. Mais si on ne fait rien, tous ces problèmes vont se rappeler au bon souvenir des marchés. Et le soulagement qui est né de l’absence de majorité absolue pour les extrêmes laissera vite place à des préoccupations.

L’incertitude peut-elle aussi porter un coup à l’attractivité de la France ? Les investissements étrangers étaient pourtant nombreux.

Absolument. Emmanuel Macron a fait de gaffes, mais il a fait aussi de bonnes choses. Toutes ses initiatives liées à Choose France, par exemple, ou la French Tech, cela allait dans la bonne direction, mais ça ne plaît visiblement pas à la gauche.

“S’il n’y a pas de majorité autour d’un programme qui soutient la baisse de la dette française, la note de la France est appelée à se dégrader.”

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