Le vieillissement de la population: une bombe à retardement financière

Le vieillissement de la population s’annonce comme un défi majeur. © Getty Images

Bien que la population mondiale continue de croître, le vieillissement de la population s’impose de plus en plus comme un défi majeur. Augmenter la productivité et organiser une immigration efficace sont essentiels pour préserver notre niveau de prospérité. Sans immigration, la population européenne aurait déjà commencé à décliner.

La planète compte aujourd’hui plus de 8 milliards d’habitants, un seuil franchi en 2022 selon les Nations unies. Cette croissance démographique est loin d’être terminée. “Nous connaissons encore une croissance significative de la population mondiale. Le taux de reproduction reste supérieur à 1, explique Jan Van Bavel, professeur de démographie à la KU Leuven. Cependant, le rythme de croissance commence à ralentir, même en Afrique. Dans la plupart des pays africains, le taux de fécondité est en baisse.” Le vieillissement de la population s’impose de plus en plus comme un défi important.

“Si l’Afrique continue de connaître une forte croissance démographique, la situation est bien plus préoccupante dans d’autres régions du monde, observe Nabil Jijakli, Deputy CEO de Credendo. En Europe, le vieillissement est déjà un phénomène bien établi, particulièrement dans le sud. En Europe de l’Est, il est accentué par l’émigration. En Bulgarie, par exemple, la population a diminué d’un cinquième en 20 ans. D’autres régions connaissent également des urgences démographiques. Si le Japon n’intervient pas, sa population pourrait chuter de 40 millions d’habitants d’ici 2065, soit une baisse de plus de 30 %. En Corée du Sud, la population pourrait s’effondrer de plus de 50 % d’ici 2100. En Chine, une décroissance démographique a déjà commencé, et ce pays risque de vieillir avant de devenir riche. Le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud, eux aussi, voient leur croissance démographique ralentir. Au Pérou et au Chili, le taux de natalité est déjà bien en dessous du niveau de remplacement.”

Avec leur croissance démographique, les États-Unis sont aujourd’hui la puissance mondiale aux perspectives les plus prometteuses.
Raphaël Cecchi

Raphaël Cecchi

Quelles sont les raisons de ce renversement démographique ? “L’émigration joue un rôle, tout comme l’urbanisation, explique Nabil Jijakli. Une population urbaine nécessite moins de main-d’œuvre que les sociétés rurales. Dans les pays en développement, l’éducation, en particulier celle des filles, est cruciale. Les femmes plus instruites ont tendance à avoir moins d’enfants. Un meilleur accès aux contraceptifs prévient les grossesses précoces, et un système de sécurité sociale réduit la nécessité de compter sur ses enfants pour ses vieux jours. Enfin, les coûts élevés liés à l’éducation et au logement dans les sociétés développées dissuadent les familles nombreuses.”

Raphaël Cecchi, Senior Country Risk Analyst chez Credendo, pointe également l’individualisme croissant, notamment dans les pays occidentaux, et le contrôle accru des femmes sur leur propre avenir. “Lorsqu’une femme souhaite avoir deux enfants, elle en aura généralement deux. La corrélation entre ses aspirations et leur réalisation est plus forte. De plus, le comportement d’imitation joue un rôle: dans une société où la plupart des familles ont deux enfants, il est courant de reproduire ce modèle.”

1. L’impact du babyboom

Le vieillissement démographique a d’importantes conséquences économiques, avertit Nabil Jijakli. “Une baisse de la population active entraîne automatiquement un ralentissement de l’emploi, de la croissance économique et donc des recettes fiscales, ajoute le Deputy CEO de Credendo. Parallèlement, les dépenses liées aux pensions et aux soins de santé explosent. Le vieillissement est une bombe à retardement financière. Les responsables politiques doivent faire des choix difficiles: augmenter les impôts, réduire les dépenses publiques, notamment dans les pensions et la santé, ou encore reculer l’âge de la retraite. Mais toutes ces mesures risquent de provoquer des protestations et de nourrir le populisme.”

Une solution relativement indolore pour préserver notre modèle économique réside dans l’augmentation de la productivité grâce à la robotisation, à la numérisation et à l’intelligence artificielle. “En matière de productivité, l’Europe est loin derrière les États-Unis, souligne Pascaline della Faille, Country and Sector Risk Manager chez Credendo. Nous devrons investir massivement dans l’innovation. Mais une population vieillissante est-elle prête à soutenir pleinement l’innovation ?”

Inciter les Européens à avoir davantage d’enfants est-il une solution ? “On entend souvent : ‘Il faut faire plus d’enfants, sinon qui paiera nos retraites ?’ Pourtant, l’une des raisons principales de l’augmentation des dépenses de santé et de pensions est le babyboom d’après-guerre, explique le professeur Van Bavel. Et même si nous augmentons le taux de natalité aujourd’hui, ces enfants coûteront cher pendant leurs 20 premières années. La solution pour la sécurité sociale ne viendra pas de la démographie. Il faut adapter le système aux réalités d’une population vieillissante, avec un financement résilient à toutes les circonstances.”

2. L’immigration, une opportunité

Quant à l’immigration, ce n’est pas une panacée, selon Jan Van Bavel. “Les migrants vieillissent également, et leur taux de fécondité finit par converger avec la norme locale. Cela dit, depuis 1973, le taux de natalité en Europe est inférieur au niveau de remplacement. Sans immigration, la population européenne aurait déjà commencé à décliner, ce qui aurait un impact majeur sur notre prospérité. Allez dans un hôpital ou une maison de retraite, et vous serez probablement pris en charge par une personne issue de l’immigration. Une immigration bien organisée est une opportunité pour l’Europe. Pourtant, le discours politique actuel privilégie la fermeture des frontières, y compris aux États-Unis, où Donald Trump a remporté les élections en jouant sur cette thématique.”

En Chine, une décroissance démographique a déjà commencé, et ce pays risque de vieillir avant de devenir riche.
Nabil Jijakli

Nabil Jijakli

Les États-Unis, où la croissance démographique reste stable grâce à l’immigration, tirent parti de cette situation. “Cela a des implications géopolitiques, ajoute Raphaël Cecchi. Avec sa croissance démographique, les États-Unis sont aujourd’hui la puissance mondiale aux perspectives les plus prometteuses.”
Cependant, les politiques anti-immigration, telles que celles défendues par Donald Trump, compliquent la situation. Cela illustre bien le dilemme auquel font face les décideurs politiques, selon Nabil Jijakli. “Une immigration contrôlée est à la fois utile et nécessaire, mais elle ne rapporte pas de voix électorales, bien au contraire. Prenons l’exemple de la Hongrie, où l’immigration est quasi inexistante. Pourtant, le Premier ministre Viktor Orbán doit une grande partie de son succès politique à son discours anti-immigration.”

Le vieillissement démographique risque par ailleurs de renforcer les populistes, ajoute Raphaël Cecchi. “Une population vieillissante a tendance à se replier sur elle-même et à se protéger des problèmes mondiaux. Mais pourra-t-elle continuer à se refermer si le vieillissement affaiblit davantage son économie ?”

3. Travailleurs saisonniers

Une idée reçue doit être corrigée, selon Jan Van Bavel: “Beaucoup pensent que la pauvreté en Afrique conduira à une immense vague migratoire vers l’Europe. La réalité est que le taux d’émigration africaine, notamment depuis l’Afrique subsaharienne, est l’un des plus faibles au monde en pourcentage de la population. Si nous voyons davantage d’Africains arriver en Europe, c’est en raison de la croissance rapide de leur population. De nombreux Africains n’ont ni les moyens financiers de migrer, ni même une véritable connaissance de notre État-providence.

Le véritable problème réside dans la mauvaise gestion de la migration par les pays européens. “Par le passé, de nombreux saisonniers marocains travaillaient dans l’agriculture et l’horticulture en Espagne. Ils pouvaient voyager librement entre les deux pays. Mais la création de l’espace Schengen et le durcissement des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe ont mis fin à ce modèle. Résultat : l’immigration définitive vers l’Espagne a fortement augmenté, qu’elle soit légale ou non. Depuis, la mer Méditerranée est devenue la frontière la plus meurtrière au monde.” 

Non, le réchauffement climatique n’est pas causé par la surpopulation

“Bien sûr, la taille de la population joue un rôle dans les émissions de gaz à effet de serre, reconnaît Jan Van Bavel (KU Leuven). Mais toutes les études montrent que le mode de vie et la technologie ont une influence bien plus importante. Combien de viande consommons-nous ? À quelle fréquence voyageons-nous ? Prenons-nous l’avion ? Ce sont le mode de vie et la technologie qui constituent les seuls facteurs sur lesquels nous pouvons agir à court terme, pas la démographie. On entend souvent dire : ‘Ce sont les Africains qui ont encore trop d’enfants. Ils devraient vivre davantage comme nous.’ Mais si les Africains adoptaient notre mode de vie, les émissions de CO2 exploseraient réellement.”

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