L’année de Xi Jinping… ou de Donald Trump ?

Le Président chinois Xi Jinping serrant la main de Donald Trump.
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

De l’invasion de l’Ukraine à la guerre entre Israël et le Hamas, le sort des gros points de tension internationale serait chamboulé par une éventuelle nouvelle élection de Donald Trump. Le tout sous le regard de l’inamovible président chinois.

1. Le conflit Israël-Hamas dictera-t-il l’agenda international de 2024 ?

L’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre dernier a brutalement replacé le conflit israélo-palestinien à la première page des agendas internationaux. Et cela ne devrait pas changer dans les mois à venir, surtout si le conflit devait se régionaliser.

“C’est un danger que nous ne pouvons exclure, estime Tanguy Struye, professeur de relations internationales et directeur du Centre d’étude des crises et des conflits internationaux (UCLouvain). Aucun acteur majeur ne semble souhaiter que la situation ne dérive en un conflit régional mais les tensions sont particulièrement vives et je ne suis pas certain que les puissances régionales soient en mesure de contrôler leurs alliés les plus radicaux.”

“Trois pays ont des ambitions hégémoniques dans cette région, ajoute Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo. L’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, qui utilise son rôle de pont entre le monde musulman et l’Occident. Cela ne se traduit pas en affrontements directs mais en conflits indirects, au Yémen par exemple.”

En l’état actuel des choses, deux types de répercussions sont déjà palpables dans les relations internationales. La première, très localisée, c’est la fragilisation de l’économie de certains pays voisins, comme l’Egypte et le Liban, en raison notamment de la chute des revenus touristiques. La seconde est mondiale : les pays du Sud embrassent largement la cause palestinienne, ce qui accentue leurs divergences avec le monde occidental.

“Nous entendons beaucoup de reproches sur un ‘deux poids, deux mesures’ de l’Occident, qui serait plus compréhensif envers Israël, note Tanguy Struye. C’est une belle hypocrisie car nous n’avons guère entendu ces mêmes pays du Sud à propos des traitements infligés aux Ouïghours ou des agissements de la Syrie. En matière de ‘deux poids, deux mesures’, le Sud n’est pas meilleur que le Nord. Dans ce conflit, tout le monde joue sa carte personnelle. C’est dramatique, y a-t-il encore quelqu’un qui recherche vraiment une solution ?”

Nabil Jijakli a envie de croire en cette recherche de solution. “A un moment donné, il faudra passer à cette étape suivante et j’espère que cela poussera à un accord, autour de cette idée initiale de la coexistence de deux Etats, déclare-t-il. Le 7 octobre nous a en tout cas rappelé que mettre un problème sous le tapis, n’est jamais une solution durable.”

Il se dit par ailleurs convaincu que les événements de ces dernières semaines ne remettront pas en cause, à terme, le processus de normalisation des relations avec Israël entamé par l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Egypte, le Maroc et quelques autres Etats du monde arabe, “pour autant qu’une lueur apparaisse dans le conflit actuel”.

2. La guerre entre la Russie et l’Ukraine évitera-t-elle l’enlisement?

Cette guerre n’en finit pas de déjouer les pronostics. L’invasion russe de l’hiver 2022 devait être une offensive éclair. Elle s’est heurtée à une étonnante résistance ukrainienne et a mis en évidence les faiblesses de la Russie, tant sur le plan militaire que logistique. L’été dernier, la contre-offensive ukrainienne devait conduire au retrait total des forces russes mais elle fut loin de produire les effets escomptés.

“La Russie est entre-temps passée à une économie de guerre, souligne Pascaline Della Faille, risk analyst chez Credendo. Elle a pu importer du matériel militaire et tous les produits dont elle avait besoin. ”

“Le temps ne travaille pas en faveur de l’Ukraine, abonde son collègue Raphaël Cecchi. Non seulement la Russie ne s’est pas effondrée mais une certaine lassitude s’installe parmi les soutiens de l’Ukraine et certainement aux Etats-Unis.” Et c’est d’autant plus vrai depuis que le conflit israélo-palestinien est redevenu la préoccupation prioritaire des dirigeants occidentaux.

Non seulement la Russie ne s’est pas effondrée mais une certaine lassitude s’installe parmi les soutiens de l’Ukraine”. – Tanguy Struye (UCLouvain)

Ce conflit en bordure de l’Union européenne risque donc bien de s’enliser dans les prochains mois. “Cette situation nous rappelle que si des sanctions ne sont pas multilatérales, elles n’ont pas beaucoup d’impact, résume Tanguy Struye. Nous l’avions déjà vu il y a quelques années avec les sanctions contre l’Iran. Ce que l’Europe et les Etats-Unis ne lui livraient plus, l’Iran a pu l’obtenir de la Chine et d’autres. Cela a renforcé la résilience du pays. Ici, la Russie a pu continuer à commercer avec l’Inde, l’Asie centrale, l’Amérique latine, l’Afrique.”

Le professeur de l’UCLouvain redoute par ailleurs que cette Russie en mode d’économie de guerre ne se manifeste, au moins de manière indirecte, sur d’autres fronts, en particulier la région Pan Sahel et dans les Balkans, “une région qui reste très instable”.

3. Xi Jinping est-il le nouveau faiseur de paix?

L’un des éléments marquants de la fin 2023 fut la rencontre à San Francisco entre le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping.

“En soi, il n’y a pas eu de grandes avancées mais l’affirmation d’une volonté partagée de mettre les rivalités sous le boisseau et de normaliser les relations, analyse Nabil Jijakli. Nous avons là deux puissances à vocation hégémonique mais elles veulent continuer à se parler.”

“L’élément le plus important pour moi est la réouverture des communications de militaires à militaires entre ces deux pays, précise Tanguy Struye. Cela atteste d’une volonté claire de vouloir rétablir la confiance. Maintenant, si un incident se déclare, il y a une ligne ouverte pour se parler avant de réagir.”

Nos interlocuteurs notent une attitude moins attentiste que précédemment de la part de la Chine. Cela fait de nombreuses années qu’elle place des pions en Afrique, maintenant, elle s’aventure sur le terrain du Moyen-Orient. “ Elle a réussi à conduire à un accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, deux ennemis jurés, relève ainsi Pascaline Della Faille. Certes, le contenu réel de cet accord est faible mais il montre l’intérêt croissant de la Chine pour cette région.” “ Elle grignote également d’anciennes zones d’influence soviétique en Asie centrale, ajoute Nabil Jijakli. Dans tous ces pays en “ stan” (Ouzbékistan, Kirghizistan, etc.) situés sur la route de la soie, elle est en compétition avec la Russie. De manière soft actuellement, mais la rivalité est bien là.”

La Chine est aujourd’hui un incontestable moteur de l’économie mondiale. Mais la démographie pourrait affaiblir sa position.” – Nabil Jijakli (Credendo)

En Asie, Pékin suivra évidemment de près le scrutin électoral à Taiwan en janvier prochain. Les tensions avec la Chine étaient nées dans la foulée de l’élection d’un gouvernement plus nationaliste. Cette fois, un candidat plus proche des vues chinoises pourrait l’emporter, ce qui devrait a priori calmer les craintes de Pékin et préserver le calme dans la région.

“Taiwan a bien diversifié son économie ces dernières années, le pays est moins dépendant de la Chine, assure Raphaël Cecchi. C’est un enjeu crucial car Taiwan demeure le premier producteur de semi-conducteurs et c’est une voie de passage pour de nombreuses routes maritimes.”

“La Chine est aujourd’hui un incontestable moteur de l’économie mondiale, dit Nabil Jijakli. Mais à moyen terme, la démographie pourrait affaiblir sa position. La population chinoise est en effet vieillissante et en diminution, au contraire de l’Inde notamment. Mais l’Inde est l’un des pays les plus vulnérables aux changements climatiques.”

4. Les populismes bousculeront-ils l’échiquier international?

Nous avons bouclé cet atlas peu après l’élection du nouveau président argentin Javier Milei et celle du nouveau Parlement néerlandais, où le PVV de Geert Wilders est désormais le premier parti. Est-ce l’amorce d’un vent de populisme politique sur le monde, avec en toile de fond la possibilité d’un retour au pouvoir de Donald Trump ?

“C’est un peu un ressac, observe Nabil Jijakli. Un regain d’optimisme était né après les départs de Donald Trump, de Jair Bolsonaro ou Boris Johnson. Maintenant, nous semblons repartir dans l’autre sens.”

En juin prochain, le Parlement européen pourrait prendre de toutes autres couleurs, ce qui ne serait pas sans impact sur les relations internationales. Mais resterait bien en deça de l’impact potentiel d’un retour au pouvoir de Donald Trump aux Etats-Unis. “Nous pouvons prendre tous les conflits sur la planète, ils seraient tous influencés par un facteur Trump et sa posture isolationniste”, affirme Raphaël Cecchi. Il note dès à présent la position inconfortable de nombreux pays asiatiques qui se sont rapprochés de l’Amérique de Joe Biden — c’est le cas notamment des Philippines — et qui redoutent de se retrouver isolés demain si la tension devait monter d’un cran en mer de Chine.

“Même l’Arabie saoudite cherche des alternatives à un bouclier américain qui ne paraît plus totalement infaillible”, ajoute Nabil Jijakli. Face à cette instabilité américaine, la Chine peut offrir une certaine stabilité, à défaut de démocratie, et cela suffira peut-être à attirer de nouveaux alliés vers elle.

Les cinq volets de l’Atlas des risques mondiaux feront chacun l’objet d’un débat télévisé. Vous pouvez les retrouver en vidéos sur Canal Z ou en podcast sur www.trends-tendances.be

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