L’Allemagne doute de son frein à l’endettement

Olaf Scholz © Getty Images

Faut-il le desserrer, le désactiver, le laisser bloqué ? Le frein à la dette, symbole de la rigueur budgétaire en Allemagne, est au coeur des débats après un camouflet judiciaire et politique infligé au gouvernement Scholz.

De plus en plus de voix appellent à réformer cette règle constitutionnelle, qui interdit au gouvernement d’emprunter plus de 0,35% de son PIB chaque année, afin de limiter le poids de la dette. La vertu budgétaire allemande, autrefois louée, est désormais montrée du doigt, alors que la première économie européenne doit dépenser massivement pour transformer son appareil productif. “Freiner l’endettement aujourd’hui est un acte pervers d’automutilation”, a tancé récemment The Economist, le très libéral hebdomadaire britannique. Principal conseiller économique de Joe Biden jusqu’à début 2023, Brian Deese ne mâche pas ses mots non plus, parlant, dans une interview à l’hebdomadaire Die Zeit, d’un mécanisme ayant mené l’économie allemande à “un point bas autodestructeur”. Même si le débat est vif en Allemagne aussi, une majorité sera difficile à trouver pour réformer cette règle, défendue comme un totem par les libéraux du FDP et leur chef de file, le ministre des Finances Christian Lindner.

Mains liées

La Cour constitutionnelle allemande de Kalrsruhe a considéré, dans un retentissant arrêt en novembre, que le gouvernement contournait le frein à l’endettement en transférant dans un fonds “pour le climat et la transformation” un reliquat de 60 milliards d’euros destiné initialement à amortir les effets de la pandémie de Covid-19. Berlin a dû élaborer en urgence un budget rectificatif pour l’année 2023. Celui-ci sera discuté jeudi à la Chambre haute du Parlement, dernière étape avant sa validation.

La coalition du chancelier social-démocrate Olaf Scholz doit se résoudre à suspendre de nouveau la règle du frein à l’endettement, au nom d’une “circonstance exceptionnelle”, liée à la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine. Mais pour le budget 2024 -auquel manque désormais 17 milliards d’euros-, cette suspension devrait être plus difficile à justifier, au point de questionner le sens d’une limitation aussi drastique de l’endettement. La première économie européenne doit dépenser des milliards pour conduire la transition climatique et la transformation de son industrie, plombée par des prix élevés de l’énergie et bousculée par la concurrence américaine et chinoise.

“L’Allemagne, contrairement à d’autres pays européens, dépend fortement de son industrie, et si elle veut maintenir son avantage face à ses concurrents, elle devra investir beaucoup plus”, déclare à l’AFP l’économiste Marcel Fratzscher, président de l’institut DIW. Avec le frein à l’endettement, le gouvernement s’est “volontairement attaché les mains derrière le dos avant d’entrer sur le ring”, a résumé le ministre de l’Économie, l’écologiste Robert Habeck, qui a donc appelé à “repenser” la règle. Les représentants au Bundestag du SPD, le parti d’Olaf Scholz, jugent une réforme “incontournable”. Mais un tel changement nécessiterait l’accord d’une majorité des deux tiers au Bundestag, ce qui implique un soutien de l’opposition, qui y est défavorable.

Gravé dans la constitution depuis 2009, le frein à l’endettement est une “histoire à succès” qui a sauvé le pays de “l’augmentation chronique de la dette”, a récemment affirmé M. Lindner. “Nous ne devrions ni l’abolir ni l’atténuer, mais nous y tenir”.

Réforme

Les tenants de la réforme ont engrangé un autre soutien cette semaine, avec la publication d’un rapport d’économistes proches du ministère de l’Economie. Ce groupe d’experts a proposé un assouplissement de la règle, afin de “faire la distinction” entre les types de dépenses, pour lâcher du lest sur celles liées aux investissements. “Il s’agit de donner plus de marge de manœuvre pour les investissements, sans le faire pour les dépenses courantes”, a expliqué Klaus Schmidt. Avec un ratio de dette publique de 66,4% du PIB l’an dernier, bien en-dessous de la moyenne de la zone euro, l’Allemagne en a la latitude.

Dans un rapport de juillet, le Fonds monétaire international (FMI), pas un adepte des déficits publics, estimait que Berlin devrait augmenter son plafond d’endettement pour “rendre la règle plus réaliste”. Le temps presse. Plombée par la crise du secteur manufacturier, l’économie tourne au ralenti. Le pays est attendu en récession cette année, avec une chute de 0,4% de son PIB.

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