“La diversification des accords est essentielle pour les entreprises dans le contexte de guerres commerciales”

Donald Trump, d'une menace commerciale à l'autre. © Aaron Schwartz/CNP via ZUMA Press Wire)
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La conclusion du Mercosur, traité de libre-échange avec l’Amérique latine, est une bonne nouvelle alors que Donald Trump est plus imprévisible que jamais, souligne Olivier Joris, responsable des questions internationales de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). La stratégie européenne visant à se tourner vers d’autres partenaires est la bonne. Les enttreprises doivent suivre ce mouvement.

Les risques de guerres commerciales menacent la croissance mondiale, avec les menaces à répétition du président américain Donald Trump. En réponse, l’Union européenne évoque des représailles, mais met surtout en place une stratégie de diversification. Olivier Joris, responsable des questions internationales de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) salue cette évolution, ainsi que la conclusion du Mercosur avec l’Amérique latine.

Cela secoue pour le moment au niveau du commerce international, non?

C’est le moins que l’on puisse dire. Chaque jour nous réserve une nouvelle annonce plus tonitruante que la veille. C’est d’autant plus secouant que cela émane de notre principal allié et partenaire commercial, ce qui est quand même particulier.

Ce contexte est-il préjudiciable pour les entreprises?

Très clairement. La politique commerciale est de plus en plus utilisée pour d’autres finalités, avec des taxes à l’importation ou à l’exportation vsant à atteindre d’autres objectifs. Cela brouille considérablement la visibilité. Tout cela est également lié aux grands enjeux géopolitiques et technologiques. Le monde est devenu de plus en plus instable. Il y a également la question des sanctions ou des contrôles des exportations pour les biens à double usage, à utilisation cibile et militaire. Les deux cumulés rendent la vie de nos entreprises difficiles, alors que nous sommes une des économies les plus ouvertes au monde. C’est difficile pour elle de lire la situation et de prendre les bonnes décisions.

Avec ces effets d’annonce à répétition, le cadre devient-il illisible?

C’est vrai, le pire dans cette histoire, c’est que la clé de voûte qui est l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est en grande difficultés, notamment à cause de l’attitude des Etats-Unis. Cela remonte à l’époque de Barack Obama, mais le grand arbitre internationale qu’est l’organisme de règlement des différends est grippé. Le système est plus compliqué, moins lisible et il n’y a plus la garantie qu’on le contrôle.

L’Union européenne veut diversifier les relations commerciales avec d’autres partenaires: Amérique latine, Canada, Inde, Chine… La négociation du Mercosur a été difficile, mais c’est une bonne nouvelle?

Le Mercosur regroupe un ensemble de pays d’Amérique latine à très haut potentiel. Il y avait jusqu’ici des tarifs douaniers de 15 à 35% sur nos exportations. Pour de nombreux secteurs, c’est une très bonne chose que cet accord ait enfin été conclu, que ce soit pour la diminution des barrières tarifaires, la simplification des échanges, l’apparition de nouvelles opportunités, l’accès aux matières critiques nécessaires pour la transition… La nouvelle donne géopolitique ajoute aux arguments nous amenant à saluer cet accord. Les entreprises ont vécu le Brexit, les conséquences de la guerre en Ukraine et des sanctions contre la Russie, s’il y a en plus des obstacles venant des Etats-Unis, cela devient très problématique. Il faut diversifier plus que jamais nos flux commerciaux.

L’Union européenne parle d’intensifier ses relations avec d’autres pays, c’est bienvenu?

Il y a eu des discussions avec l’Inde, l’Australie, l’Indonésie… La meilleure garantie pour nos économies, c’est de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. La stratégie européenne est bonne. Nous continuons à respecter les règles de l’OMC et jouer la carte du commerce régulé par des règles, avec un arbitre en cas de différend. Un chapitre qui a gagné de l’importance dans le Mercosur, c’est l’accès aux matériaux critiques nécessaires pour la transition. Grâce à cet accord, pas mal de restrictions à l’exportation de ces pays vers les nôtres vont ête levées. Il faut diversifier tant nous sources d’exportation que d’importation et le Mercosur s’inscrit dans cette logique.

Tous les secteurs vont-ils bénéficier du Mercosur?

Cet accord est important pour “booster” et diversifier nos exportations de très nombreux secteurs vers ces pays, car cet accord va lever 91% des tarifs douaniers qui frappent les exportations de biens UE ; c’est important car de nombreuses exportations belges sont frappées de droits de douanes importants dans ces pays: automobile (35%), pièces détachées (14%-18%), produits chimiques (18%), produits pharmaceutiques (14%), bière (18%-20%), chocolat (20%), machines et électronique (14-20%), plastique et caoutchouc (14-18%), bois/meubles (+/- 12%), textiles – tapis (20-35%). Ceci est important pour nos entreprises quand on sait que la chimie et le pharma sont le premier secteur d’exportation UE vers le Mercosur, et que 10% de l’exportation de frites surgelées belges se fait à destination du Mercosur. Ces accords de libre-échange permettent de fluidifier des échanges existants. Il faut aller plus loin que la caricature que l’on fait de cet accord, selon laquelle on échangerait des vaches contre des voitures.

Si je suis une entreprise exportatrice, ai-je intérêt à suivre les signaux envoyés par ces négociations pour être moins dépendante à l’égard des Etats-Unis? Est-ce une période d’opportunité, aussi?

Oui, je crois vraiment que nos entreprises ont intérêt à s’inscrire dans cette logique de diversification. Il faut profiter de ces accords qui lèvent la dissuasion de ces obstacles tarifaires. Cela concerne d’ailleurs aussi les marchés publics, dans le cadre de ce Mercosur. Pour des prestataires de services ou de grande entreprises, voilà de nouveaux marchés qui s’ouvrent.

Est-ce suffisant pour compenser l’éventuelle problème causé par les barrières américaines et le bras de fer entamé?

Les Etats-Unis restent notre premier partenaire commercial et la Commission européenne a très bien fait de rappeler que ce bras de fer était un jeu “lose-lose”. Des surtaxes sur l’aluminium et l’acier seraient une mauvaise nouvelle pour les industriels. Pour les Etats-Unis, cela risque d’augmenter l’inflation. L’Europe va devoir réagir de façon très ciblée de façon à ce que l’on ne se tire pas une balle dans le pied et que l’on ne rende pas certaines importations américaines trop chères, ce qui serait une mauvaise nouvelle pour des clients industriels européens, et in fine pour l’inflation. Le contre-exemple, c’est le CETA, l’accord avedc le Canada: la Belgique avait déficit commercial avant la négociation, on a désormais un excédent commercial grâce aux opportunités que cela a créé. Voilà une histoire bien plus vertueuse que le spectre d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis.

La FEB diffuse un numéro spécial de son Focus International Trade à ce sujet.

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