La course aux matières premières critiques s’engage

La mine d'uranium Ranger est une mine d'uranium dans le Territoire du Nord en Australie. © Getty Images/iStockphoto
Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Il y a des matières premières essentielles dans le sous-sol de la planète, mais il faut beaucoup de temps pour les extraire. La demande augmente rapidement, tandis que l’offre est entre les mains d’un groupe limité de pays sur d’autres continents. L’Europe doit se préparer à la pénurie.

1. Quelles sont les matière premières critiques les plus exposées au risque de pénurie ?

En réalité, il n’y a pas de pénurie de matières premières essentielles. L’écorce terrestre contient beaucoup de nickel, de lithium, de cobalt, de cuivre et toute une série de terres rares aux noms exotiques, comme le néodyme. Tous ces métaux sont utilisés dans les batteries et les moteurs des voitures électriques, les éoliennes et de nombreuses autres applications dans le domaine des énergies renouvelables. C’est là que se pose un premier problème : en raison de la lutte contre le réchauffement climatique, la demande de matières premières critiques augmente à une vitesse inédite.

“Un exemple : dans 10 ans, la production de véhicules électriques passera de 2 millions à 50 millions par an”, explique Michel Van Hoey, senior partner du consultant McKinsey, spécialisé dans les matières premières et l’exploitation minière. “Dans les secteurs solaire et éolien, on observe des taux de croissance similaires. Les technologies climatiques ont également une intensité matérielle beaucoup plus élevée que les technologies conventionnelles. Un mégawatt d’électricité produit avec des éoliennes offshore nécessite six fois plus de matériaux qu’un mégawatt produit avec des combustibles fossiles.”

Selon Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo, la numérisation de la société est également à l’origine de la ruée sur ces matériaux. “La numérisation nécessite des semi-conducteurs, qui contiennent des matières premières essentielles. La géopolitique est également un facteur. L’Europe ne veut plus être économiquement dépendante d’un nombre limité de pays et veut reconstruire son industrie. Elle a besoin d’être approvisionnée en matières premières critiques.”

Mais comme nous l’avons dit, il y a beaucoup de matières premières critiques dans le sol de la Terre. Cependant, il faut beaucoup de temps pour les faire remonter à la surface. “Les nouveaux projets miniers prennent facilement 10 à 15 ans, explique Michel Van Hoey. Cela commence par des forages exploratoires, des études de faisabilité et des demandes de permis. Vient ensuite la construction de la mine et des infrastructures environnantes. On parle de projets de milliards de dollars et qui impliquent parfois des milliers de personnes.”

En ce qui concerne les matières premières critiques, notre dépendance devient beaucoup plus aiguë.” – Nabil Jijakli (Credendo)


Il s’agit de projets gigantesques, mais il n’y aura pas d’autre solution. McKinsey prévoit que les investissements dans le secteur minier devront doubler au cours des 10 prochaines années, passant de 200 à 400 milliards de dollars par an. Pour réaliser cette expansion, le secteur devra rechercher entre 300.000 et 600.000 nouveaux employés, ce qui constituera également un problème. “Dans le domaine de l’éducation, les disciplines minières sont en perte de vitesse, explique Michel Van Hoey. Chaque année, moins d’ingénieurs des mines sont diplômés, même dans des pays miniers comme l’Australie, le Canada et le Brésil.”

En conclusion, l’offre de matières premières critiques ne pourra pas suivre la croissance rapide de la demande. Il en résultera inévitablement une pénurie. Aucune de ces matières premières ne sera épargnée, affirme Michel Van Hoey. “Pour le lithium et le cuivre, cette pénurie atteindra 20 à 30 % de la demande. Pour d’autres matières premières, nous prévoyons une pénurie de 50 %.”

A cette pénurie s’ajoute la concentration géographique des matières premières critiques. L’extraction et le raffinage sont entre les mains d’un petit groupe de pays (voir la carte du monde). “ Prenons l’exemple du cobalt, explique Nabil Jijakli. Le Congo contrôle 52 % des réserves, l’Australie 20 %. Dans le secteur du raffinage, la concentration est encore plus forte, la Chine étant l’acteur dominant: elle contrôle environ les trois quarts du raffinage du cobalt et 65 % du raffinage du lithium. Dans le secteur des terres rares (non mentionnées sur la carte, Ndlr), la part de marché de la Chine s’élève à 90 %. ”

“ Les choses ne s’annoncent pas bien pour l’Europe, conclut le deputy CEO de Credendo. Pour les combustibles fossiles, l’Europe était déjà largement dépendante des autres continents, mais les réserves et le raffinage du pétrole et du gaz naturel sont assez bien répartis dans le monde. En ce qui concerne les matières premières critiques, notre dépendance devient beaucoup plus aiguë.”

2. Existe-t-il des opportunités minières en Europe ?

Le sous-sol en Scandinavie, en France, au Portugal et dans les Balkans recèle des matières premières critiques, mais les projets d’exploitation minière échouent régulièrement en raison des protestations locales. “La Serbie possède l’une des plus grandes réserves de lithium d’Europe, mais début 2022, le gouvernement a dû annuler le projet en raison de l’opposition de la population, explique Raphaël Cecchi, analyste chez Credendo. L’Europe compte relativement peu de zones faiblement peuplées. Près d’une réserve de ressources, il y a toujours un village ou une ville. De plus, en Serbie, la zone en question avait une grande valeur écologique.” Les inquiétudes de la population locale sont compréhensibles. Après tout, une mine a une lourde empreinte écologique, explique Nabil Jijakli. “La demande en ressources hydriques locales est énorme. Sans parler de la poussière et des déchets, ainsi que de l’intense trafic de camions sur les routes locales.”

Un autre inconvénient est que les nouvelles mines produisent moins de matériaux utiles. “Dans le secteur de l’extraction du cuivre, par exemple, les minerais des nouvelles mines contiennent 1 % de cuivre en moins chaque année, précise Michel Van Hoey. Cela se traduit par une augmentation des coûts, car il faut extraire davantage de matériaux du sol chaque année pour obtenir la même quantité de cuivre. En revanche, le coût plus élevé donne naissance à de nouvelles technologies permettant d’exploiter des gisements moins concentrés. Les gisements qui n’étaient pas rentables il y a 20 ans peuvent désormais être réexploités. En ce qui concerne les terres rares, le problème du raffinage se pose. L’Europe a perdu son savoir-faire en matière de raffinage de ces matériaux. Ce savoir-faire s’est complètement déplacé vers la Chine. En ce sens, la récente découverte d’une grande quantité de terres rares en Suède est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. ­L’Europe devra retrouver le savoir-faire nécessaire pour traiter les minerais localement et les transformer en matériaux utiles.”

La Chine contrôle environ les trois quarts du raffinage du cobalt et 65 % du raffinage du lithium.

3. Existe-t-il des alternatives ?

Le recyclage est une évidence, mais ce n’est pas la panacée. “Pour les matériaux matures comme l’acier, l’aluminium et le cuivre, les taux de recyclage sont assez élevés. Dans le monde occidental, par exemple, 50 % de l’acier est fabriqué à partir de matériaux recyclés ou de ferraille, précise Michel Van Hoey. Mais pour les nouveaux matériaux comme le lithium et le nickel, la contribution du recyclage restera inférieure à 10 % de l’offre au cours des dix prochaines années. Pourquoi ? La production de voitures électriques à batterie commence à peine à décoller. Ces batteries ne redeviendront un matériau à recycler que dans 10 ou 15 ans.”

Peut-être devrions-nous commencer à repenser notre mode de vie, selon Nabil Jijakli. “Les voitures électriques sont une bonne idée, mais en raison du poids des batteries, elles pèsent beaucoup plus lourd que les voitures conventionnelles, ajoute-t-il. Nous ne résoudrons pas le problème climatique en remplaçant les SUV d’une tonne par des variantes électriques de 1,6 tonne. Nous devons repenser notre mobilité. Laissons la voiture à la maison lorsqu’il existe d’autres solutions, comme le bus ou le tramway pour les trajets en ville, ou le train pour les trajets vers d’autres villes. Il en va de même pour les vêtements, dont la production nécessite d’énormes quantités d’eau et de matériaux. Les vêtements durables ne suffiront pas à eux seuls à atteindre cet objectif. Nous devons repenser la consommation de la mode.”

Raphaël Cecchi attend beaucoup de la recherche et du développement. “L’entreprise suédoise Northvolt a inventé une batterie qui ne nécessite ni lithium, ni cobalt, ni nickel, dit-il. Cette batterie sodium-ion est trop grande pour une voiture électrique, mais elle peut être utilisée pour le stockage de l’énergie. De plus, le sodium est disponible en abondance.

Selon Michel Van Hoey, la rareté et la hausse des prix des matières premières critiques continueront à alimenter l’innovation. “Le groupe belge Umicore, par exemple, commercialise des cathodes de batterie à forte teneur en manganèse afin de réduire sa dépendance au nickel. De leur côté, BMW et Tesla travaillent sur des véhicules électriques à moteur à induction, qui ne contiennent pas de terres rares. On voit également Tesla, Volkswagen et Stellantis prendre des participations dans des projets miniers ou conclure des contrats d’exploitation avec des mineurs, afin de garantir l’approvisionnement en matières premières.”

4. Qu’en est-il de l’Europe ?

Malgré tout, l’Europe ne peut pas dormir sur ses deux oreilles. La Commission européenne souhaite sécuriser l’approvisionnement en matières premières critiques par le biais de la loi sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act). La question est de savoir si cela servira à quelque chose. “La proposition européenne prévoit par exemple que nous pouvons dépendre d’un pays tiers à hauteur de 65 % maximum pour une matière première donnée, explique Michel Van Hoey. Entre-temps, les Etats-Unis ont voté depuis longtemps leur loi sur la réduction de l’inflation, qui prévoit des allègements fiscaux pour les investissements verts. Au cours des deux dernières années, les Etats-Unis ont attiré plus de 40 milliards de dollars d’investissements dans les matières premières critiques. Sur la base de ces faits, nous devons admettre que l’Europe est à la traîne par rapport aux Etats-Unis.”

Selon Raphaël Cecchi, l’Europe devra passer par les voies diplomatiques. “L’UE devra construire un réseau de partenaires commerciaux fiables dans le domaine des matières premières critiques. N’oublions pas non plus que la pénurie est en partie artificielle. Par exemple, la Chine a déclaré des restrictions à l’exportation de graphite, de germanium et de gallium. Dans un tel cas, seule la politique étrangère est efficace.” Nabil Jijakli estime que l’Europe peut avoir un poids suffisant à cet égard. “Le secteur des énergies renouvelables est largement détenu par des entreprises européennes. Des entreprises belges comme DEME et Jan De Nul sont des leaders mondiaux dans la construction de parcs éoliens terrestres et offshore. L’Europe, et la Belgique avec John Cockerill, compte également des acteurs importants dans le domaine de l’hydrogène vert. Et nous avons toujours notre énergie nucléaire.”

La pandémie de grippe aviaire et la guerre en Ukraine ont été un signal d’alarme pour l’Europe. On prend de plus en plus conscience que l’économie européenne devra prendre soin d’elle-même, à l’instar des autres grandes économies. “Nous devons passer d’un libéralisme naïf à une politique industrielle, conclut Nabil Jijakli. Il n’y a tout simplement rien d’autre à faire.

Les cinq volets de l’Atlas des risques mondiaux, dont est tiré cet article, feront chacun l’objet d’un débat télévisé. Vous pourrez les retrouver en vidéos sur Canal Z ou en podcast sur www.trends-tendances.be

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