Israël: derrière la start-up nation riante des inégalités criantes

Israel pauvreté

En 75 ans d’histoire, Israël s’est hissé parmi les économies les plus prospères de la planète, et les succès de ses entreprises sont nombreux, de l’agriculture aux techniques de pointe, mais c’est aussi un pays aux inégalités criantes. Plus de 27% de la population vit dans la pauvreté.

Israël, qui se qualifie volontiers de “start-up nation”, occupe la 14e place du classement 2022 des pays en fonction de leur PIB par habitant, devant les quatre premières économies européennes (Allemagne, Royaume-Uni, France et Italie), selon les dernières statistiques du Fonds monétaire international (FMI).

Mais “il y a la start-up nation et la soup kitchen (soupe populaire, NDLR) nation”, résume Gilles Darmon, président de Latet, la principale ONG de lutte contre la pauvreté et d’aide alimentaire en Israël.

“D’un côté, le centre du pays autour de Tel-Aviv et de la high-tech, où en termes de prospérité on doit être dans les villes les plus riches du monde (…) et de l’autre côté plus de 312.000 familles (9,7% des familles, sur une population d’environ 9,7 millions d’habitants) en situation d’insécurité alimentaire sévère”, ajoute-t-il.

Du côté de ses succès, Israël, qui a vu le jour le 14 mai 1948, peut mettre en avant des performances macroéconomiques enviables. La croissance économique a été de 6,5% en 2022, en baisse par rapport aux 8,6% de 2021, mais bien supérieure à la moyenne (2,8%) des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’inflation est relativement maîtrisée, et le déficit budgétaire largement contenu. Le domaine de la cybersécurité est devenu un des moteurs de l’économie, avec notamment Check Point, un des leaders mondiaux dans le domaine.

“Esprit commando”

Israël est aussi à la pointe de l’innovation dans le domaine des biotechnologies et de l’agriculture, à l’image de Netafim, qui a commencé à développer des technologies d’irrigation dans le désert du Néguev dans les années 1960 et connaît un rayonnement international. L’industrie d’armement, avec le trio Elbit, Israel Aerospace Industries (IAI) et Rafael, reste un fleuron de l’économie israélienne avec des contrats juteux à l’étranger. L’expertise israélienne se retrouve par ailleurs dans de nombreuses multinationales high-tech, souligne Daniel Rouach, président de la Chambre de commerce franco-israélienne.

“Il y a un savoir-faire israélien dans les composants qu’on retrouve dans les grandes multinationales comme Intel ou Google”, dit-il.  Waze, application d’assistance à la navigation automobile mondialement connue, était israélienne avant d’être rachetée par Google. Selon M. Rouach, ces succès sont liés à une mentalité d’entrepreneurs proprement israélienne: “un esprit commando qui consiste à une utilisation maximale des budgets alloués en un minimum de temps avec une prise de risque parfois énorme, le seul paramètre étant le but à atteindre”.

Mais en marge de cette réussite qui s’étale dans les localités bordées de villas cossues du centre du pays, la réalité est moins rutilante. A Shimshon, quartier du sud de la ville côtière d’Ashkelon, les longues barres d’immeubles au béton décrépi se succèdent. Construites à la hâte à la fin des années 1950 pour faire face à l’immigration massive, notamment en provenance d’Afrique du Nord, elles sont aujourd’hui largement habitées par des immigrants venus d’Ethiopie et de Russie, sans avoir jamais été vraiment réhabilitées.

Manger ou se soigner

Les façades jaunâtres sont parsemées de vêtements en train de sécher, pendus à de petits balcons noirs de crasse, et les papiers gras jonchent les arrière-cours. “On est tous dans le pétrin. Tout le quartier! On survit difficilement avec les allocations de l’assistance publique”, lance Esther Benhamou, retraitée de 73 ans, en montant péniblement les marches raides qui mènent à son appartement. “Je dois choisir: manger ou acheter mes médicaments”, dit-elle dans son salon à peine meublé.

Esther Benhamou
Esther Benhamou © Getty

Plus de 27% de la population vit dans la pauvreté, selon des chiffres publiés par l’association Latet fin 2022. Et Israël affiche le troisième taux de pauvreté le plus élevé de l’OCDE, derrière le Costa Rica et la Bulgarie, devant des pays comme le Mexique ou la Turquie. “En un peu plus de 30 ans on est passé d’une des sociétés les plus égalitaires au monde (…) à une société fortement inégalitaire et individualiste”, commente M. Darmon: “l’Etat a cessé d’assurer son rôle, d’atténuer les effets du marché et de redistribuer les richesses.”

De nombreuses organisations caritatives tentent de faire face aux besoins des plus démunis, comme à Kiryat Malakhi, petite ville du sud d’Israël où Nikol Jibril, 72 ans, cuisine et distribue de la nourriture aux plus démunis depuis 30 ans. “Dès que tu aides une famille à s’en sortir, il y en a une autre qui arrive. Ca ne s’arrête jamais, il y en a toujours davantage qui nous sont envoyées”, déplore-t-elle: “nous sommes une dizaine de bénévoles à cuisiner toute la journée et nous avons besoin de toujours plus de quantités (…). La situation ne fait que s’aggraver”.

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