Inde: l’avenir avec Modi inquiète

Fête ­anniversaire de l‘indépendance, le 15 août dernier. L’an prochain, le pays sera à un tournant.

Les projets du Premier ministre Narendra Modi en cas de victoire électorale suscitent de nombreuses inquiétudes. Y compris en Occident.

Dans un discours prononcé le jour anniversaire de l’indépendance de l’Inde en août 2023, son dixième en tant que Premier ministre, Narendra Modi a déclaré que le pays se trouvait à un tournant. Un nouvel ordre mondial, a-t-il déclaré à la foule, est en train d’émerger dans le sillage de la pandémie du covid. L’Inde est prête à façonner ce nouvel ordre, grâce à sa “trinité” que sont la démographie, la démocratie et la diversité. “Le monde peut voir une étincelle pour lui-même dans ce faisceau de lumière qui émane de l’Inde”, a-t-il déclaré.

L’Inde se trouve en effet à un tournant, à l‘approche des élections générales de 2024, mais pas tout à fait de la manière suggérée par Narendra Modi. Depuis son entrée en fonction, l’Inde est passée de la dixième à la cinquième économie mondiale. Elle est devenue un partenaire clé de l’Amérique dans sa lutte contre la Chine. Mais l’inquiétude grandit dans le pays et à l’étranger face aux efforts de Narendra Modi pour supprimer les opposants politiques et marginaliser les musulmans indiens. L’année à venir pourrait décider de l’avenir non seulement de la démocratie indienne, mais aussi de ses relations avec l’Occident.

Le Premier ministre et d’autres dirigeants du Bharatiya Janata Party (BJP) rejettent toute suggestion d’érosion de la démocratie indienne. Ils affirment que le parti est populaire en raison du leadership de Narendra Modi et des résultats de son administration dans la lutte contre les infrastructures, la corruption et d’autres problèmes qui ont entravé la croissance pendant des décennies sous le parti du Congrès national indien, qui a gouverné pendant 54 des 76 années écoulées depuis l’indépendance.

Fin d’une démocratie laïque ?

Selon le BJP, son idéologie “Hindutva” ne vise pas à marginaliser les musulmans, mais à restaurer une identité nationale réprimée pendant des siècles sous les régimes impériaux moghol et britannique. Ils remettent également en question les références démocratiques du Congrès, citant sa domination continue par la dynastie Gandhi et la suspension des libertés civiles par Indira Gandhi en tant que Premier ministre pendant l’état d’urgence de 1975 à 1977.

Les opposants de Narendra Modi affirment qu’il sape la constitution laïque de l’Inde en se pliant aux exigences de la majorité hindoue (80 %) tout en encourageant la discrimination – et souvent la violence – à l’encontre de la minorité musulmane (14 %). Ils l’accusent de harceler les opposants politiques, de museler les journalistes et d’éroder l’indépendance de la justice. Ces abus et d’autres, selon les critiques, masquent une série d’échecs, notamment des réformes agricoles bâclées et un déclin des emplois à temps plein pour les travailleurs urbains.

L’année à venir pourrait décider de l’avenir non seulement de la démocratie indienne, mais aussi de ses relations avec l’Occident.

Les inquiétudes de l’opposition ont été récemment exprimées par Rahul Gandhi, parlementaire du Congrès (et petit-fils d‘Indira) qui a été condamné en mars à une peine de deux ans de prison, suspendue par la suite par la Cour suprême, pour s’être moqué du nom du Premier ministre. “Le concept de l‘Inde, le concept des élections libres, le concept de la liberté d‘expression : ils sont désormais menacés de mort, a déclaré Indira Gandhi. Nous nous battons maintenant pour l’âme de l’Inde.”

Le BJP va-t-il rempiler ?

Une victoire du BJP n’est pas acquise. Lors des dernières élections générales de 2019, il a remporté 303 des 542 sièges de la chambre basse du Parlement, avec 37 % des voix. Il contrôle désormais le gouvernement central et environ la moitié des 28 Etats indiens et des huit territoires de l‘Union. Mais il a connu des difficultés dans les Etats plus riches du sud. Il a perdu le Karnataka, un centre technologique, au profit du Congrès en mai.

Il est également confronté à un défi national plus concerté depuis que 26 partis d’opposition, dont le Congrès, ont formé une coalition en juillet, appelée Indian National Developmental Inclusive Alliance, ou INDIA (Alliance nationale indienne pour le développement et l‘inclusion). Néanmoins, elle aura du mal à rivaliser avec la puissance de feu électorale du BJP qui, selon les sondages d’opinion, remportera une nouvelle majorité ou dirigera un gouvernement de coalition.

Quoi qu’il en soit, l’opposition craint que le BJP ne fausse encore davantage la donne politique avec la révision des circonscriptions électorales prévue pour 2026. Cette révision pourrait porter le nombre de sièges de la chambre basse à environ 753, la plupart des nouveaux sièges étant attribués aux Etats peuplés du nord, où le BJP est bien implanté. Narendra Modi a également proposé d’organiser simultanément les élections nationales et locales, ce que ses détracteurs considèrent comme une nouvelle tentative de centralisation du pouvoir.

Jusqu’à présent, les Etats-Unis et d’autres démocraties ont été réticents à critiquer le Premier ministre indien en public. Les Etats-Unis, en particulier, considèrent l’Inde comme un partenaire dans leurs efforts pour faire contrepoids à la Chine. Lors de la visite de Narendra Modi aux Etats-Unis en juin, le président américain, Joe Biden, a donné la priorité aux accords de défense.

Inquiétudes occidentales

En privé, cependant, certains responsables occidentaux craignent qu’en ne défendant pas les valeurs démocratiques en Inde, ils ne sapent leurs propres efforts pour défendre l’ordre fondé sur des règles face à la Chine, à la Russie et à d’autres autocraties. La réticence de l’Inde à condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie suscite également des inquiétudes.

Les craintes occidentales se sont encore accrues en septembre lorsque le Canada a accusé des fonctionnaires indiens d’être impliqués dans l’assassinat de Hardeep Singh Nijjar, militant sikh et citoyen canadien, à Vancouver. Le gouvernement indien nie toute implication, mais accuse le Canada d’abriter des terroristes sikhs séparatistes.

Dans son discours du mois d’août, Narendra Modi a promis que l’Inde serait un pays développé d’ici 2047, année du centenaire de l’indépendance. Pour ses détracteurs nationaux comme pour ses partenaires étrangers, la question est de savoir s’il s’agira encore d’une démocratie. z

Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”.

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