François Gemenne: “Le pacte migratoire traduit bien l’échec de l’Europe à déployer une vraie politique commune d’immigration”

Des migrants à Lampedusa.

Le Parlement européen a adopté ce mercredi une grande réforme de la politique migratoire en Europe qui durcit les contrôles des arrivées aux frontières et met en place un système de solidarité entre Etats membres. François Gemenne, politologue belge spécialisé dans la question migratoire, se penche sur le contenu de ce “Pacte sur la migration et l’asile”.  

Quel est votre avis sur ce “pacte migratoire”?  

Malheureusement, ce pacte traduit bien l’échec de l’Europe à déployer une vraie politique commune d’immigration. L’Europe essaie d’imposer une forme de solidarité, mais va surtout vers davantage d’externalisation. Elle va confier à des pays tiers, comme la Tunisie ou l’Egypte, le soin de faire des choses qu’elle refuse de faire elle-même. L’Europe va de plus en plus devenir une forteresse, davantage de murs et de clôtures vont s’élever aux frontières. Ce pacte va sans doute renforcer les situations de chaos humanitaire, aux endroits vraiment problématiques de l’Europe.  

Est-ce qu’il pourrait avoir un impact sur l’afflux de main-d’œuvre dont la Belgique a besoin notamment dans les métiers en pénurie ?  

Ce n’est, en tout cas, pas comme ça que ce pacte est conçu. Ce n’est pas un pacte migratoire, mais un pacte d’asile. Son but essentiel est d’organiser davantage de solidarité entre les États membres et d’essayer de réduire le nombre de personnes en situation irrégulière. Les travailleurs migrants belges (NLDR: en Belgique, il y a environ 40.000 migrants sur le marché du travail et 11.000 demandeurs d’asile) n’arrivent pas par les mêmes voies. Ils sont recrutés pour l’immigration de travail et ne sont pas concernés par le pacte. Ici, on vise uniquement les personnes qui arrivent pour demander l’asile. Ce n’est pas un pacte qui va chercher à déployer une vraie politique d’immigration économique. Il y a d’autres textes de migration économique, par exemple la carte bleue européenne dans ce but.  

Vous déplorez tout de même le peu de liens entre les différents textes de loi européens

C’est en effet dommage que les dossiers ne sont pas liés, que la carte bleue n’est pas davantage articulée avec le “pacte asile immigration”. On fait comme si les demandeurs d’asile étaient une sorte de catégorie de migrants à part qui n’allaient pas travailler. Alors qu’en réalité, on sait pertinemment bien qu’ils travaillent, mais de façon irrégulière. Il faudrait davantage de cohérence entre ces différents dispositifs légaux. Il règne toujours une certaine forme d’hypocrisie par rapport à l’immigration de travail, à l’immigration économique. Le souci est que tout le monde essaie de venir par la procédure d’asile, mais que ces gens en sont déboutés, car ils ne rentrent pas dans les conditions. Ils sont alors nombreux à travailler dans l’illégalité. Il faut plus de régularisation pour ces personnes qui peuvent bénéficier à l’économie belge. 

Quels bénéfices l’Europe peut-elle tirer de l’immigration économique?  

Il est important de reconnaître que l’Europe a besoin de cette main-d’œuvre économique. L’immigration économique est bénéfique à la Belgique, comme pour l’ensemble des pays européens. On a aujourd’hui plusieurs secteurs économiques en pénurie qui dépendent largement de la main-d’oeuvre migrante, c’est le cas du secteur du transport, ou de celui du bâtiment pour réaliser la transition énergétique, de la surveillance, des soins de santé… La demande est énorme. On pourrait partir sur une vision plus libérale de la migration, en évoquant par exemple des allers-retours avec des pays partenaires, via des visas, pour une durée limitée.  

Le pacte a été adopté sans encombre, malgré les craintes exprimées la veille par les différents rapporteurs de ne pas pouvoir récolter un soutien suffisant pour certains chapitres. Le feu vert définitif des eurodéputés signifie la fin des travaux au Parlement européen pour le pacte, après des années de négociations difficiles. La réforme devra encore être entérinée au Conseil, qui rassemble les États membres. Un vote pourrait avoir lieu le 29 avril sous le régime de la majorité qualifiée.

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