Entre Etats-Unis et Chine, une guerre froide non déclarée

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En 2024, les dirigeants du parti communiste chinois chercheront à exploiter les divisions mondiales, tout en prêchant l’harmonie.

En 2024, la Chine poursuivra deux objectifs contradictoires. Xi Jinping et les autres dirigeants du parti communiste chercheront à rallier et à diriger un bloc de pays sceptiques à l’égard d’un ordre mondial dominé par les Etats-Unis. Alors même que les dirigeants chinois se préparent à une ère de division et de concurrence entre grandes puissances, ils présenteront leur pays comme un défenseur de l’unité mondiale.

Pour atteindre leur premier objectif, les dirigeants chinois accuseront l’Amérique et ses alliés d’attiser une nouvelle guerre froide. Ils y verront l’occasion de déloger l’Occident du centre des affaires mondiales. Leurs critiques auront également une composante économique. Face au ralentissement de la croissance mondiale, y compris en Chine, les dirigeants de Pékin accuseront l’Amérique et d’autres riches pays occidentaux d’ériger des barrières protec­tionnistes contraires au libre-échange et de mettre en péril l’avenir de la mondialisation.

Au service de leur deuxième objectif, les dirigeants chinois qualifieront leur pays de défenseur du statu quo. Ils entendent par là que la Chine est un défenseur des “principes fondamentaux” de l’ordre mondial existant, tels qu’ils sont inscrits dans la Charte des Nations unies. Cette lecture sélective des documents fondateurs de l’Onu privilégie les articles qui s’en remet­tent à l’inviolabilité des Etats souverains et minimise ceux qui ont trait aux droits individuels. Les responsables chinois présenteront également leur pays comme un partisan de l’Organisation mondiale du commerce, ou du moins des règles de l’OMC qui ont ouvert les marchés des pays riches à la Chine après son adhésion en 2001.

Parfois, ces deux messages se confondront et se chevaucheront. Parce que le monde riche possède encore un certain savoir-faire dont la Chine a besoin, les dirigeants chinois nieront de temps à autre qu’ils nourrissent une quelconque animosité à l’égard de l’Occident. Ils peuvent proposer de coopérer sur le changement climatique et d’autres biens mondiaux, à condition que les Etats-Unis et leurs alliés cessent d’agir de manière hostile en condamnant les violations des droits des Chinois ou en contrôlant les exportations de semi-conducteurs et d’autres technologies.

Un jeu d’équilibriste

Cet exercice d’équilibre est difficile. En 2024, il sera rendu encore plus difficile par deux éléments :
la guerre en Ukraine et une élection présidentielle aux Etats-Unis.
Pour la Chine, la guerre présente des risques et des opportunités. En 2024, les responsables chinois diront aux dirigeants d’Afrique, d’Asie du Sud et d’ailleurs que les prix élevés des denrées alimentaires et de l’énergie sont dus aux sanctions occidentales, et accuseront les entreprises américaines d’armement et d’énergie de faire des profits aux dépens des Européens. La Chine revendiquera sa neutralité dans le conflit ukrainien (comme elle le fait au Moyen-Orient). Elle renforcera ensuite ses liens avec le régime russe de Vladimir Poutine, un partenaire gênant mais essentiel.

La Chine tire profit d’une Russie isolée, contrainte de se détourner des marchés européens et de se tourner vers l’Est. La Chine est prête à intensifier ses achats de pétrole, de gaz, de minerais et d’armes, en payant avec son propre yuan non convertible. Même si les dirigeants chinois n’humilieront pas Vladimir Poutine et ne défieront pas la Russie en tant que fournisseur de sécurité dans son arrière-cour ex-soviétique, ils peuvent désormais étendre leur influence en Asie centrale ou dans l’Arctique sans craindre un veto russe.

La carte du pacificateur

Si, en 2024, des pourparlers sont engagés pour mettre fin à la guerre en Ukraine, la Chine saisira l’occasion de jouer les pacificateurs. Xi Jinping sera aidé par l’insistance du gouvernement ukrainien pour qu’il soit présent à la table des négociations, en tant que garant de tout règlement possible. Lors de ces négociations, la Chine adoptera une position réaliste, froide et non sentimentale. Xi Jinping ne soutiendra aucune revendication russe sur l’ensem­ble de l’Ukraine. En effet, parce que la Chine prétend accorder une grande importance au principe de l’intégrité territoriale, elle n’a jamais reconnu l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie en 2014. Au lieu de cela, la Chine soulignera la nécessité de prendre en compte les “préoccupations légitimes de la Russie en matière de sécurité”, puis proposera d’aider à la reconstruction de l’Ukraine.

Les élections américaines de novembre posent quant à elles un dilemme. Les dysfonctionnements de la politique américaine renforcent les arguments chinois selon lesquels l’Occident est en déclin et que les valeurs démocratiques libérales sont une impasse. La Chine, comme la Russie, sera ravie de la rhétorique isolationniste des candidats, si elle signale un retour au type d’ordre mondial du 19e siècle qu’elle privilégie, avec des grandes puissances jouissant de l’impunité dans leurs sphères d’influence respectives. Mais une campagne américaine débridée présente des dangers, car les candidats s’affrontent sur la question de la Chine. Le meilleur espoir de Xi Jinping est sans doute que la démocratie américaine fasse piètre figure lors des élections de 2024, mais que la Chine ne fasse pas la une des journaux

Pour ce faire, les chefs de la propagande chinoise et les diplomates “loups guerriers” devront faire preuve de retenue. Le ressentiment partagé à l’égard de l’Occident est la force qui lie la Chine à ses partenaires les plus proches, un groupe par ailleurs hétéroclite. Mais rendre ce mépris trop explicite pourrait se retourner contre la Chine si elle finit par occuper le devant de la scène politique américaine. Bien que la diplomatie de l’ère Xi ne soit pas connue pour sa subtilité, 2024 constitue un test exquis. z

David Rennie, responsable du bureau de Pékin de “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”

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