Des enjeux planétaires pour l’élection présidentielle US: l’incertitude américaine

L’élection présidentielle de ce mardi 5 novembre est un rendez-vous majeur et l’incertitude est absolue.
Olivier Mouton

L’élection présidentielle s’annonce ultra-serrée entre Kamala Harris et Donald Trump. Le chaos est possible : des recours, voire des violences, ne sont pas à exclure après le scrutin. Sur le plan économique, les programmes des deux candidats, Trump en tête, comportent de sérieux risques. Analyse d’un danger mondial.

Le monde retient son souffle. L’élection présidentielle de ce mardi 5 novembre est un rendez-vous majeur et l’incertitude est absolue. Nul ne peut prédire qui de la démocrate Kamala Harris ou du républicain Donald Trump l’emportera. Une ombre plane, en outre, sur ce bras de fer: le risque, réel, de violences de la part du mouvement Maga (Make America Great Again) en cas de victoire démocrate ou de dérive autocratique en cas de victoire républicaine.

Les marchés et les entreprises sont soit directement impliqués, à l’image du soutien actif d’Elon Musk pour Donald Trump, soit spectatrices attentives d’un scrutin qui impactera directement leur avenir.

Tanguy Struye suit de près cette joute dantesque. Professeur de relations internationales à l’UCLouvain, il prépare un livre consacré à l’administration Biden, à paraître au début de l’année prochaine. Pour Trends-Tendances, il décode les enjeux de cet événement XXL.

TRENDS-TENDANCES. Cette élection présidentielle américaine sera-t-elle plus serrée que jamais ?

TANGUY STRUYE. Cela s’annonce effectivement très serré, les sondages ne permettent pas de prédire qui va l’emporter. Certains disent que la candidate démocrate, Kamala Harris, est en légère perte, mais il ne faut pas oublier d’où elle vient. En juin, quand le président sortant Joe Biden était encore candidat, personne ne donnait la moindre chance aux démocrates. Elle a réussi à remobiliser leur camp et à le rendre à nouveau compétitif, ce qui est déjà un exploit en soi. Cela ne sous-entend pas qu’elle va gagner. On peut spéculer, mais on ne sait pas du tout qui va gagner. Dans les Swing States (les six États qui basculent d’une élection à l’autre, ndlr), c’est 50-50.

C’est le reflet d’un pays fracturé, avec deux mondes qui ne se parlent plus…

Exactement. D’ailleurs, à mon avis, on ne saura pas qui a gagné le 6 novembre au matin. J’ai refusé toutes les demandes des médias audiovisuels pour les matinales ce jour-là. On va se retrouver dans la situation de 2020, cela va prendre des heures et des jours avant de calculer les votes par correspondance. En outre, les deux camps risquent de demander que l’on recompte des bulletins, il y aura des recours, certains sont déjà annoncés… La tension sera à son comble.

Le risque existe-t-il d’avoir des troubles ou des violences après le scrutin ?

Une frange du parti républicain, incarnée par ces fameux Maga (Make Americain Great Again), pourrait susciter des troubles, oui. Ces radicaux sont imprégnés par les théories complotistes et cultivent un conservatisme complètement rétrograde : ils veulent revenir à une Amérique qui n’existe plus depuis au moins 60 ans ! Quand on les écoute, c’est le blanc qui est menacé et doit rester supérieur, alors que cela s’enracine sur de fausses informations. Parmi les supporters de Trump, certains sont persuadés que les ouragans des dernières semaines ont été fabriqués parce qu’ils passaient par la Floride, fief de leur candidat, par exemple. C’est vous dire où ils en sont… Le danger est réel que dans cette partie-là de l’opinion publique, certains soient prêts à prendre les armes. On a déjà eu un avant-goût de ce dérapage potentiel avec l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021. Si Kamala Harris venait à gagner, on peut s’attendre à des tensions très importantes dans le pays, il faut s’y préparer. Trump va refaire le scénario de 2020, et les dégâts risquent d’être plus importants au vu de cette radicalisation.

Si Kamala Harris venait à gagner, on peut s’attendre à des tensions très importantes dans le pays, il faut s’y préparer.

Tanguy Struye

Professeur de relations internationales à l’UCLouvain

Bilan socio-économique de Biden

Le bilan socio-économique du président sortant, Joe Biden, n’est pas mauvais, mais une partie des Américains ne veut pas l’entendre. C’est étonnant, non ?

C’est tout le paradoxe. Je termine un livre sur l’administration Biden que je publierai au début de l’année prochaine et je suis frappé de voir tous les efforts réalisés en matière de politique étrangère, de défense, de politique économique… Certains fruits seront récoltés plus tard, mais ils ont réussi à contrôler l’inflation, la croissance se situe à 2%, le chômage est à 3-4%… c’est fabuleux ! L’inflation, c’est vrai, a impacté une classe ouvrière qui vote en grande partie Maga. Mais au-delà de cela, des médias comme Fox News ont insisté sur le fait que la situation économique était mauvaise, contre toute objectivité. Nous en sommes arrivés à un stade où les faits ne jouent plus aucun rôle, c’est la perception qui compte. On va vous faire croire qu’un chien est un chat et à force de le répéter, vous voyez le chien comme un chat. C’est affolant. Les gens ne lisent plus, ils s’informent par les réseaux sociaux et les influenceurs. Un républicain ne va jamais lire le New York Times ou le Washington Post.

Donald Trump dénonce ce bilan, mais ne porte-t-il pas lui-même un programme menaçant sur le plan économique?

Quand Trump a quitté le pouvoir, il avait créé 8.000 milliards de dollars de dettes supplémentaires. Certes, il y avait eu le covid, mais cela n’explique pas tout. Et cela va se répéter : son programme annonce des diminutions fiscales, notamment pour les grandes entreprises. C’est très étonnant que les républicains acceptent l’idée d’une nouvelle augmentation de la dette, alors que c’est le gros point noir de l’économie américaine : elle s’élève à 35.000 milliards de dollars. Les intérêts payés par les Américains sont plus élevés que le budget de la Défense, qui est de 850 milliards!

Donald Trump face à Kamala Harris L’unique débat de la campagne entre les deux candidats, a eu lieu le 10 septembre dernier. (Photo by SAUL LOEB / AFP) (Photo by SAUL LOEB/AFP via Getty Images) © AFP via Getty Images

Y a-t-il une vraie menace économique pour les États-Unis et pour le monde ?

Clairement. Si Donald Trump applique sa politique, l’inflation sera plus importante. Donald Trump prévoit une augmentation très importante des tarifs douaniers qui va susciter des rétorsions d’autres pays… Ce sera catastrophique pour la population et les entreprises américaines. La politique de Biden était protectionniste aussi, il ne faut pas se leurrer, mais cela se faisait avec beaucoup plus de concertation avec les Européens. Donald Trump va créer crise sur crise, ce qui sera préjudiciable pour un ordre économique mondial déjà fragilisé.

Si Donald Trump applique sa politique, l’inflation sera plus importante.

Tanguy Struye

Professeur de relations internationales à l’UCLouvain

Incertitudes…

La politique promise par Kamala Harris est-elle forcément meilleure avec ses promesses de subsides et d’aides sociales?

Son programme n’est pas parfait, il est fortement interventionniste, c’est vrai. Mais je ne la vois pas détruire tout ce que Joe Biden a construit: l’Inflation Reduction Act, le Chips Act… Ce sont des acquis, cela fonctionne. Grâce à cela, beaucoup d’entreprises, même européennes, viennent s’installer aux États-Unis pour investir. Le seul problème que Donald Trump pourrait résoudre, c’est qu’il y a trop de régulation aux États-Unis. Ce n’est pas pour rien qu’Elon Musk le soutient: il n’y aurait plus de barrières, ce qui ne serait d’ailleurs pas sans danger pour l’intelligence artificielle, par exemple.

Vous seriez une entreprise à la veille de cette élection, jugeriez-vous que c’est une incertitude trop importante pour investir aux États-Unis ?

C’est une énorme incertitude, ce qui n’est jamais bon pour l’économie. Mais les conditions pour s’installer aux États-Unis restent favorables pour les entreprises. Les avantages économiques et fiscaux sont là et pourraient s’accroître pour ceux qui sont installés sur place. Il y aura beaucoup moins de régulation si Trump est élu. En outre, l’énergie est nettement moins chère que chez nous. Une entreprise qui raisonne de façon purement économique a intérêt à y aller. En revanche, géopolitiquement, cela peut nous être préjudiciable. L’Europe est en retard à de nombreux égards, le rapport Draghi vient encore d’en témoigner. Or, on le met sous le tapis…

Les conditions pour s’installer aux États-Unis restent favorables pour les entreprises.

Tanguy Struye

Professeur de relations internationales à l’UCLouvain

Les conflits au Proche-Orient ou en Ukraine pèsent-ils dans ce scrutin? Donald Trump parle de risque de troisième guerre mondiale…

La place des États-Unis sur la scène internationale est un enjeu majeur. Une fois de plus, Kamala Harris devrait suivre la même logique que Joe Biden parce qu’elle a été formée en politique étrangère sous son administration. Son conseiller personnel, Philip Gordon, est dans la même logique transatlantique que l’administration actuelle. Il y aura un focus important sur la Chine, le soutien à l’Ukraine sera préservé et, potentiellement, il y aura un peu de critique à l’égard d’Israël.

En revanche, Donald Trump a l’impression qu’il peut tout résoudre.

Avec des risques à la clé?

Donald Trump voudra trouver une solution à la guerre en Ukraine en 24h, mais en exerçant des pressions sur les Ukrainiens et en faisant des cadeaux aux Russes. Ce seront des accords similaires aux accords d’Abraham, conclus en septembre 2020 au Proche-Orient entre les Israéliens et les pays du Golfe, ou aux accords de Doha avec les talibans, en février de la même année, pour sortir d’Afghanistan. Dans les deux cas, la plupart des acteurs importants n’avaient pas été impliqués, que ce soient les Palestiniens au Proche-Orient ou le gouvernement afghan de l’époque dans le second cas. Ce ne seront jamais des solutions de long terme.

Concernant Taïwan, le candidat républicain envoie des signaux disant qu’il n’interviendrait pas en cas d’agression chinoise. En outre, le risque est grand de ne plus avoir de garde-fous: on risque bien d’avoir des trumpistes aux commandes des Affaires étrangères et pas des républicains conservateurs traditionnels, comme ce fut le cas durant son premier mandat.

L’approche désinhibée constitue-t-elle une menace ?

Il suffit de lire le projet 2025 de l’Heritage Foundation qui est proprement insensé. C’est un petit manuel pour devenir un régime autoritaire. Il évoque, par exemple, le remplacement de milliers d’administrateurs et de fonctionnaires par des loyalistes. On politiserait les juges, le FBI, le Homeland Security… L’armée serait au service du parti et pas des États-Unis. Je ne parle même pas de la politique sur l’avortement ou à l’égard des minorités. Donald Trump est en contact permanent avec les initiateurs de ce projet qui est dangereux pour la continuité de la démocratie. Le candidat républicain n’hésite plus à dire que la menace intérieure est plus grave que la menace extérieure, et laisse entendre qu’il pourrait envoyer l’armée pour s’occuper de la gauche radicale et des wokistes.

De la rhétorique électorale?

En partie, mais s’il est élu, il va clairement mettre un certain nombre de choses en place, et ce ne sera pas bon pour l’image des États-Unis et leur implication dans le monde. Ce n’est pas bon pour nous non plus parce que si les États-Unis perdent de l’influence dans le monde, nous sommes incapables de prendre leur place au vu de notre complexité politique, de nos soucis économiques ou de notre faiblesse militaire.

Nous vivons une époque vertigineuse!

Oui, mais depuis deux ou trois ans, le contexte international commence vraiment à devenir trop chaud. Les crises s’accumulent et il y a trop d’éléments que l’on ne contrôle plus. Il n’y a plus de période de répit. C’est un vrai danger.

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