Commission Européenne : où sont les “milliards disponibles” pour la défense ?

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Il reste beaucoup d’argent dans les fonds de cohésion européens, mais aussi dans le fonds destiné à la relance post Covid. La Commission européenne souhaite « recycler » ces fonds pour les dépenses de défense.

Lundi soir le Premier ministre polonais Donald Tusk a révélé, un peu malgré lui, que la «Commission a promis de présenter rapidement un plan précis pour la défense. Nous parlons de plusieurs milliards d’euros qui peuvent être débloqués immédiatement ». Mais de quels fonds parle-t-il ?

Trois niveaux de financement pour la défense

La Commission européenne travaillerait actuellement sur trois niveaux pour financer ce paquet de défense au niveau européen, précise De Standaard.

Le premier niveau est national. Les États membres pourraient exclure les dépenses supplémentaires de défense de leur budget national. Cette « clause de dérogation » permettrait aux pays d’éviter des sanctions pour déficit public excessif.

Le second est celui du Fonds de cohésion. Selon Tusk, la majorité du financement proviendrait de ce fonds qui ne peut aujourd’hui être utilisé pour la défense.

Le fonds de cohésion

Pour rappel, tous les 7 ans, l’Union européenne fixe son budget à travers un “cadre financier pluriannuel”. Chaque État membre y contribue chaque année, en fonction de son niveau de richesse nationale. Le budget de l’UE pour 2021-2027 s’élève à 1 074,3 milliards d’euros. Parmi ces fonds, environ 379 milliards d’euros sont alloués à la politique de cohésion pour la même période, ce qui représente un tiers du budget de l’UE. Ces fonds ont pour objectif de réduire les disparités économiques entre les régions de l’Union. Ils financent des projets variés dans les 27 États membres, qu’il s’agisse de transports, d’environnement ou d’emploi des jeunes, partout sur le territoire européen.

La politique de cohésion comprend quatre principaux fonds spécialisés :
– Le Fonds européen de développement régional (FEDER) : 226 milliards d’euros pour soutenir la recherche, le numérique, les PME et l’environnement.
– Le Fonds social européen (FSE+) : 88 milliards d’euros pour l’emploi, la formation et l’inclusion sociale.
– Le Fonds pour une transition juste (FTJ) : 20 milliards d’euros pour la transition énergétique.
– Le Fonds de cohésion (FC) : 39 milliards d’euros pour les États membres les moins développés.

Une manne d’autant plus facile à potentiellement libérer que la politique de cohésion est souvent critiquée, en particulier parce qu’elle représente une part majeure des dépenses de l’UE. Certains lui reprochent d’accentuer les disparités : dans les régions les moins développées, les fonds servent surtout à financer des infrastructures essentielles, tandis que dans les régions plus riches, ils vont vers l’innovation et le capital humain, sans résorber le retard.

Une manne aussi disponible puisque le Financial Times, révélait en novembre que seuls 5 % des fonds de cohésion auraient été utilisés avec des dépenses encore plus faibles en Pologne, Italie et Espagne, les principaux bénéficiaires. La priorité de ces pays a été d’utiliser les fonds de relance mis en place après la pandémie, qui expirent en 2026.

Une réaffectation des fonds de relance post Covid

Outre les fonds de cohésion, une autre option serait de réaffecter les fonds de relance post-COVID. Ce fonds de relance, d’une valeur de plus de 800 milliards d’euros et nommé NextGenerationEU a été créé en réaction à la pandémie de Covid-19. La Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), établie en février 2021 avec une dotation maximale de 723,8 milliards d’euros, en constitue l’élément central. Établie en février 2021, la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), dont la dotation maximale s’élève à un total de 723,8 milliards d’euros, en constitue la pièce maîtresse.

Moins d’un tiers des 723,8 milliards d’euros du FRR a été utilisé par les États membres à la fin de 2023. Or, ces fonds doivent être utilisés avant fin août 2026. Dans un rapport publié le 2 septembre 2024, la Cour des comptes européenne a estimé que beaucoup de pays seraient dans l’incapacité d’utiliser ces fonds à temps. La Belgique par exemple a droit à 4,5 milliards d’euros à récupérer avant 2026. Il s’agit là de l’enveloppe totale des Fonds de relance alloués à la Belgique et à ses régions. Sauf que pour récupérer ne fût-ce que la première tranche, de 847 millions d’euros, notre pays doit répondre à certaines conditions. Et on n’y est toujours pas. Petite consolation, on n’est pas les seuls. Au sein de l’UE, la Hongrie et la Pologne n’ont-elles non plus pas reçu la première tranche du plan de relance.

Quoi qu’il en soit, il y aurait là aussi quelques milliards à grappiller. Sauf que pour les débloquer il faudrait l’unanimité des États membres, ce qui n’a rien de gagné.

La BEI à la rescousse

Une troisième piste envisagée par la Commission Européenne est la Banque européenne d’investissement (BEI). Une vingtaine de pays, dont la Belgique, poussent déjà la banque à modifier encore davantage ses règles internes pour faciliter l’octroi de prêts à des projets de défense.

La Commission Européenne envisage également de solliciter la BEI pour financer des projets de défense. Elle peut en effet aider de plusieurs manières. Par exemple en assouplissant des règles de financement. Cela a même déjà fait en partie puisqu’en mai 2024, la BEI a supprimé les restrictions sur le financement des biens et infrastructures à double usage (civil et militaire).

La BEI peut aussi accorder des prêts aux petites et moyennes entreprises (PME) qui développent des technologies à double usage (cybersécurité, intelligence artificielle, drones, etc.), favorisant l’innovation et la compétitivité européenne. Elle a la possibilité de financer des infrastructures critiques, comme les centres de communication et de données, nécessaires à la sécurité et à la défense européennes.

Enfin, elle peut faciliter les partenariats public-privé, et ainsi mobiliser des capitaux privés pour soutenir des projets de défense, réduisant ainsi la charge financière sur les budgets publics.

Pas pour autant carte blanche

La Commission veut investir les budgets libérés non pas à l’aveugle, mais dans des « projets importants d’intérêt européen commun ». Parmi les priorités figure la construction d’un bouclier de défense aérienne, à l’image de  l’« European Sky Shield Initiative » (ESSI), lancé en 2022 à l’initiative de l’Allemagne.

Toujours selon la note de Tusk, l’objectif est de finaliser les détails d’ici le sommet européen des 20 et 21 mars. Histoire de permettre aux dirigeants de cesser de tergiverser et d’enfin prendre des décisions concrètes. Mais cela va-t-il suffire ?

Le temps presse

Il se joue en Ukraine des choses plus grandes que l’Ukraine, à commencer par notre sécurité. Face à l’offensive diplomatique américano-russe visant à mettre fin à la guerre en Ukraine, les Européens vivent en ce moment une phase clé de leur histoire. Et il est tout aussi vrai que le temps presse.

Pourtant malgré les efforts annoncés, il est peu probable qu’il suffise à combler le retard de l’Europe sur des puissances comme la Russie ou la Chine. Selon Andrius Kubilius, commissaire européen à la Défense, les pays de l’UE auraient sous-investi d’environ 1 000 milliards d’euros en comparaison avec ces deux nations, et cet écart se creuse chaque jour. On estime que rien qu’en 2025, la Russie pourrait investir, en termes de parité de pouvoir d’achat, davantage dans sa défense que tous les pays de l’UE réunis.

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