Comment la recherche des causes du blackout donne lieu à une bataille d’experts


Si la gigantesque panne électrique qui a complètement paralysé l’Espagne est terminée, la recherche des causes ne fait que commencer. Une bataille qui est devenue très politique, certains experts accusant rapidement les énergies renouvelables. D’autres préfèrent attendre avant de se prononcer. Il faudra être patient. L’enquête indépendante de la Commission européenne ne livrera pas ses résultats avant 6 mois.
C’est une panne générale aussi rare que soudaine. En quelques secondes, le système électrique de la péninsule ibérique s’est effondré, privant des millions de personnes d’électricité pendant de nombreuses heures. “Les techniciens rapportent que 15 gigawatts ont soudainement disparu du système en l’espace de cinq secondes. Cela n’était jamais arrivé auparavant. Cela équivaut à 60 % de la demande du pays”, a avancé le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, lundi soir.
À l’heure du retour à la normale, tout le monde veut savoir ce qu’il s’est réellement passé.
Très vite, une cyber-attaque est évoquée dans la presse. Mais cette piste est rapidement écartée par le gestionnaire de réseau Red Electrica de España (REE). La piste de fortes variations atmosphériques n’a pas tenu très longtemps non plus. Elle a été rejetée par un nombre important d’experts et est finalement, elle aussi, invalidée par le gestionnaire.
Les ENR
Tout aussi précipitamment, ces mêmes experts ont mis un suspect sur le banc des accusés : l’imprévisibilité et l’intermittence des énergies renouvelables. D’autres y ont ajouté l’isolement et la vétusté du réseau électrique de la péninsule ibérique. Il est vrai que l’Espagne, en particulier, a boosté ses énergies renouvelables à une vitesse impressionnante. En deux ans à peine, entre 2022 et 2024, le parc solaire est passé de 17 à 35 gigawatts, tandis que le parc éolien s’est étendu de 22 à 32 gigawatts. Aujourd’hui, 56% de son électricité provient du solaire, de l’éolien et de l’hydraulique, mais il n’est pas rare que 100% de l’électricité soit produite par des ENR à l’instant T.
Le problème, avancent certains experts, c’est que le réseau n’a pas vraiment été adapté au même rythme et qu’il gère mal les variations de production et de consommation. En cas de pic de production, l’Espagne compte peu de capacités de stockage et l’isolement du réseau électrique de la péninsule ne lui permet pas de se “décharger” auprès de ses voisins. Seules quelques connexions le relient à la France et au Maroc.
La bataille
Pour d’autres experts, la précipitation avec laquelle on recherche des coupables masque un autre agenda. Celui d’assoir ses croyances ou de valider ses idées politiques. Le secteur de l’énergie suscite de nombreux débats et oppositions. On ne compte plus les batailles entre les pro et anti-nucléaire ou les pro et anti-énergies renouvelables.
Maxence Cordier, expert en énergie auprès de l’Institut Montaigne, très suivi sur les réseaux sociaux et chroniqueur dans plusieurs médias, a fait part de son malaise. “Je suis effaré de voir la multiplicité des réactions de spécialistes autoproclamés du réseau électrique à un problème dont on ne connait pas encore avec certitude l’origine à l’heure actuelle. Quand on ne sait pas, il faut savoir se taire plutôt que de dire n’importe quoi pour profiter du buzz.”
Et d’ajouter : “Quand je vois certains militants (notamment anti-EnR) autoproclamés “experts” profiter de l’occasion pour prendre la lumière sur les plateaux télé sans même savoir si les EnR sont ou non à l’origine de la panne, je me dis qu’il y a un problème. Certains sont prêts à tout pour passer à la télé, y compris à commenter des sujets sur lesquels ils n’ont aucune compétence, mais qui leur permettront de pousser leurs pions.”
Pas de rapport officiel avant des mois
L’expert renvoie vers les gestionnaires de réseaux espagnols, qui sont, selon lui, la seule source fiable actuellement. Plusieurs heures après son message, le directeur des Services à l’exploitation de l’opérateur espagnol REE, Eduardo Prieto, refusait de trop spéculer, mais il avançait un premier élément. L'”effondrement total du système électrique” aurait été généré par “une forte oscillation des flux d’énergie accompagnée d’une perte de production très importante“.
Il a évoqué deux épisodes de “déconnexion de la production”, probablement liés à la production d’énergie solaire. “Cette perte de production a dépassé la perturbation de référence avec laquelle les systèmes électriques sont conçus et exploités dans toute l’Union européenne et, par conséquent, le système électrique de la péninsule espagnole a été déconnecté du reste du système européen. Autrement dit, l’interconnexion avec la France a été interrompue”, a-t-il expliqué.
Les générateurs synchrones (généralement des centrales au gaz ou nucléaires) qui jouent le rôle de tampon et sont en première ligne lors de pic de consommation ou de production ont visiblement été débordés, a avancé l’expert belge Damien Ernst. Mais il est difficile d’en savoir plus à ce stade.
Il faudra de la patience. Beaucoup de patience. En tout cas si l’on compte sur la Commission européenne. Elle mènera une enquête indépendante, mais ne livrera pas ses résultats avant six mois. Un autre rapport qui sera agrémenté de recommandations n’est lui pas attendu avec septembre… 2026.
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