Bernard Delvaux, le risque de désindustrialisation et la procrastination européenne
Le CEO d’Etex lance un cri d’alarme : les industries risquent de se délocaliser. L’Europe tarde à réagir, en raison de divisions et de la durée de l’effort. Somme toute, c’est le même débat épineux que celui posé par la livraison de tanks à l’Ukraine.
Bernard Delvaux, CEO d’Etex, est un patron qui scrute le monde et est conscient de ce que l’économie peut apporter à la collectivité. Lorsqu’il était à la tête de la Sonaca, n’avait-il pas consacré temps et énergie à tenter de développer e-Change, un mouvement politique tentant de jeter des ponts entre les partis? Devenu responsable d’une société internationale, qui développe des solutions en plâtre et fibro-ciment pour la construction, il est forcément conscient de l’impact de la crise énergétique et de la guerre en Ukraine sur l’industrie.
Fidèle à lui-même, c’est toutefois en tant qu’observateur, encore, qu’il s’exprime, ce mardi matin, dans Le Soir et L’Echo. “C’est davantage en tant que citoyen qu’en tant que patron d’Etex que je veux tirer la sonnette d’alarme, dit-il. Nous sommes face à un vrai risque pour l’industrie en Europe.” En clair: “La désindustrialisation menace clairement l’Europe et la Belgique.”
Protectionisme, délocalisations et tribalisme
Cette préoccupation vient de l’explosion des coûts de l’énergie et de l’inflation qui a suivi. Les prix actuels ont certes baissé, mais il restent trois à quatre fois plus élevés qu’en 2021. “La hausse n’est donc pas de 10 ou 15%, mais de l’ordre de 300à 400%. Quelle entreprise peut faire face, sur le long terme, à une telle explosion des coûts?”
La position concurentielle de la Belgique et de l’Europe est, en outre, désastreuse face aux Etats-Unis ou à la Chine: les prix de l’énergie y sont moins élevés et les aides publiques y sont plus importantes. “L’Inflation Reduction Act du président Biden est un plan protectionniste, qui prévoit notamment de forts incitants pour investir aux Etats-Unis, souligne le CEO d’Etex. On voit que certains industriels européens ont d’ores et déjà décidé de suspendre des investissements prévus en europe, parfois pour privilégier les USA. Autrement dit, les circonstances actuelles poussent à la désindustrialisation.”
Son propos fait écho à la sortie forte de notre Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), qui dénonçait une campagne “agressive des Etats-Unis”. Il renvoie aussi à l’enquête Noir Jaune Blues du Soir qui évoque les volontés protectionniste et le retour du tribalisme. Même l’Allemagne, en Europe, a froissé ses partenaires avec son plan d’aide à hauteur de 200 milliards d’euros.
La réponse européenne
Alexander De Croo était un peu plus soulagé à son retour du forum économique de Davos. Si cette “démondialisation” était au centre des débats, il s’est dit encouragé par les volontés européennes de répondre à cette pression américaine. La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a plaidé… fin de l’année dernière pour un “fonds de souveraineté européen” mutualisant les coûts d’un soutien à l’industrie. La Commission doit faire des propositions d’ici la fin du mois et un Sommet est annoncé pour les 9 et 10 février.
Le tout est de savoir quelle sera encore la capacité européenne d’intervenir alors que les taux d’intérêt remontent et que les endettements préoccupent à nouveau. Certaines sources européennes évoquent des réallocations de fonds, ce qui ne serait pas de nature à rassurer. “Un plan d’aide comparable à celui de l’Allemagne coûterait à la Belgique de l’ordre de 35 milliards d’euros, souligne Bernard Delvaux. Le chacun pour soi ne peut pas fonctionner dans un monde où le rapport de force prime, plus que jamais.”
La procrastination européenne s’explique par les divisions et par la durée de l’effort. Somme toute, c’est le même débat épineux que celui posé par la livraison de tanks à l’Ukraine. Or, dans un cas comme dans l’autre, le temps presse.
La décision, comme toujours, finira-t-elle par tomber?
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