Banques et armement : le ministre français de la Défense suscite la polémique

Obus munitions
Obus de 155 mm. © Reuters
Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Le ministre français de la Défense Sébastien Lecornu menace de révéler les noms des banques qui refuseraient de financer l’industrie de l’armement. “Une dérive qui en dit long sur les enjeux économiques en présence, y compris en Belgique”, commente Marek Hudon, professeur à Solvay.

“Je ne donnerai pas le nom de la banque, nous sommes en train de lui laisser sa chance … Mais je n’exclus pas le moment venu de faire du ‘name and shame’”. Tel a été l’avertissement lancé sans fard hier par le ministre français des Armées Sébastien Lecornu, devant l’Assemblée nationale.

La raison du coup de sang ? “Vous avez des PME qui se voient refuser des financements par une banque de détail bien connue dans le pays au titre de (leur) sous-traitance pour la dissuasion nucléaire car il s’agirait d’une arme, je cite, controversée”, peut-on lire dans le journal Les Echos, qui rapporte ce matin les déclarations du ministre.

Attentives, voire craintives

Officiellement, Sébastien Lecornu affirme que son avertissement n’a rien à voir avec la défiance des banques et de certains investisseurs dont a fait l’objet dernièrement le groupe EDF dans le cadre de la production d’un armement nucléaire. Ce qui n’empêche pas Sébastien Lecornu d’accuser les procédures internes des banques qui appliqueraient, selon lui, un «surprincipe» de précaution. Info ou intox ? Une chose est certaine. “L’armement est depuis de nombreuses années un des secteurs les plus fréquemment exclus dans les analyses ESG qu’effectuent des banques, situe Marek Hudon, professeur à la Solvay Brussels School et observateur attentif des régulations européennes en matière de normes ESG. Plus largement, l’armement est un secteur particulièrement sensible et touche à des valeurs de paix fondamentales. On peut dès lors comprendre que les banques soient particulièrement attentives, voire craintives, sur ces dossiers.” De fait. Interrogées par nos confrères des Echos, plusieurs grandes banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole…) n’ont pas souhaité réagir aux propos du ministre des Armées.

Marek Hudon © pg

Possible en Belgique ?

Pour Marek Hudon, la polémique est révélatrice des débats des derniers mois autour du financement du secteur de l’armement en Europe et des tensions croissantes qui l’accompagnent, y compris en Belgique. De-là à voir notre ministre de la Défense Ludivine Dedonder imiter son homologue français et menacer le secteur bancaire ? “Théoriquement, oui, c’est possible, dit Marek Hudon. Mais l’attitude du ministre est particulièrement violente dans la mesure où le politique met ainsi de facto la pression sur les entreprises privées pour les forcer à financer des projets qui pourraient être en opposition avec leurs valeurs.” 

Utiliser la dénonciation pour financer l’effort de guerre pose en effet une question d’ordre éthique. Et dans ce contexte, les banques sont mal prises, selon Marek Hudon. “Elles sont aujourd’hui coincées entre deux chaises. D’un côté, elles sont confrontées à des demandes pressantes de certains Etats membres pour augmenter le budget de la défense, vu le contexte de l’invasion russe. De l’autre, elles doivent compter avec les ONG pacifistes et d’autres acteurs qui voient ces demandes d’un très mauvais oeil, et qui pourraient mener des actions contre elles”, précise Marek Hudon, pour qui les propos de Sébastien Lecornu sont également révélateurs de l’importance des enjeux économiques liés au financement de l’industrie de la défense européenne.

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