Au-delà de Gaza

Gaza, 1er novembre 2023. © Anadolu via Getty Images

Les conséquences de la guerre de Gaza définiront l’année 2024, et un nouvel équilibre des forces émergera.

Au départ, 2023 était censée être une année de désescalade au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite avait accepté une détente avec l’Iran en mars ; elle discutait également avec l’Amérique d’un accord tripartite qui lui aurait permis de normaliser ses liens avec Israël. Les guerres civiles en Libye, en Syrie et au Yémen étaient dans l’impasse. Prospères et stables, les Etats du Golfe étaient le nouveau centre de pouvoir de la région, et ils voulaient que tout le monde se concentre sur la croissance économique.


Cette idée n’a pas eu le temps de se concrétiser. Un mois après l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le Soudan a basculé dans une effroya­ble guerre civile. Puis vint le terrible massacre du 7 octobre en Israël, perpétré par le Hamas, et la guerre israélienne qui se poursuit à Gaza. Après une longue période de calme relatif, le plus ancien conflit du Moyen-Orient a repris vie et a amené toute la région au bord du gouffre.

Les conséquences de la guerre de Gaza définiront l’année 2024. Certaines d’entre elles semblent contradictoires. D’une part, la fragile détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se poursuivra. Les événements d’octobre ont rappelé l’influence de l’Iran : ses alliés ont tiré des missiles sur Israël depuis Gaza, le Liban et même le lointain Yémen, tandis que d’autres milices ont attaqué des bases américaines en Syrie et en Irak. Les Etats du Golfe ont réagi avec crainte : ils ne voulaient pas être pris pour cible, comme le furent les champs pétroliers saoudiens en 2019. Ils s’efforceront de maintenir la paix avec l’Iran.
Dans le même temps, les efforts de normalisation israélo-saoudienne ont été retardés, mais n’ont pas complètement déraillés. Les négociations se poursuivront, mais elles seront plus calmes et plus compliquées qu’auparavant.

Nervosité partagée

En dehors du Golfe, de nombreux pays arabes seront nerveux en ce début d’année. L’Egypte, par exem­ple. Elle a désormais deux guerres actives à ses frontières (à Gaza et au Soudan) et une guerre gelée mais non résolue (en Libye). Quant au roi Abdallah de Jordanie, il craint qu’un long conflit en Terre sainte ne déclenche des troubles au sein de son importante population palestinienne. Ces régimes se concentreront sur leur survie. Ils essaieront de transformer la crise de Gaza en opportunité. L’Egypte, par exem­ple, pourrait chercher à obtenir une aide financière en compensation de son rôle de fournisseur d’aide humanitaire à l’enclave.

Pendant des années, les pays arabes ont parlé d’un nouvel équilibre dans la région. L’Amérique semblait distante, tandis que la Russie et la Chine tentaient d’accumuler du pouvoir. L’attentat du 7 octobre a provoqué la plus grave crise que la région ait connue depuis des décennies. En conséquence, l’Amérique a envoyé deux porte-avions, des batteries de défense antimissile, des troupes, tandis que son secrétaire d’Etat se lançait dans une diplomatie frénétique. La Russie s’est contentée de dénoncer l’hypocrisie occidentale, tandis que la Chine a semblé confuse et désintéressée.

L’Amérique pourrait souhaiter en finir avec le Moyen-Orient, mais le Moyen-Orient n’en a pas fini avec l’Amérique. Avant la guerre de Gaza, elle discutait d’un pacte de sécurité mutuelle avec l’Arabie saoudite. Ce pacte pourrait désormais sembler beaucoup moins attrayant aux yeux de Washington. Les Saoudiens ont cherché à se tenir à l’écart de tout conflit régional éventuel, ce qui suggère qu’un traité de défense ne serait guère mutuel. Cet accord devra lui aussi faire l’objet de nouvelles négociations, mais le président Joe Biden n’aura guère le temps de s’y atteler. Les Etats du Golfe n’ont pas eu tort de croire que l’économie est une question urgente pour le Moyen-Orient. Mais ils se sont trompés en croyant que les conflits gelés de la région le resteraient.

Gregg Carlstrom, correspondant à Dubaï de “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”

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