Alain Minc: “Trump et Musk? Un jour, ce sera le divorce du siècle”
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Lors de son intervention dans la magnifique salle gothique de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, Alain Minc, essayiste et conseiller, a livré une analyse saisissante des bouleversements mondiaux. Des tensions américaines à la montée en puissance de la Chine, en passant par les défis européens et l’impact de l’intelligence artificielle, ses propos interpellent. Voici les points clés de son exposé.
Pour Alain Minc, un tournant historique s’est produit à Washington. “Ce qui se passe aux États-Unis est fascinant : c’est le premier cyber coup d’État de l’histoire. Jusqu’ici, un coup d’État impliquait des soldats et des tanks. Aujourd’hui, il est numérique. Elon Musk, avec des hackers à son service, a pris le contrôle des systèmes d’information du Trésor américain. Ce genre d’assaut était inimaginable.”
Les conséquences institutionnelles sont graves : “Le système de check and balance, qui faisait la force de la démocratie américaine, est atteint. Ce que je croyais inébranlable vacille. Il y aura des cicatrices.”
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Alain Minc pointe aussi un conflit croissant entre la justice et le pouvoir exécutif américain, amplifié par une polarisation institutionnelle : “La Cour suprême, aujourd’hui composée de six juges conservateurs contre trois progressistes, sera le théâtre d’un affrontement décisif.”
Une nouvelle ploutocratie
L’essayiste et conseiller dénonce par ailleurs l’émergence d’une ploutocratie sans précédent aux États-Unis : “Nous assistons à une concentration de pouvoir économique comparable à celle des barons voleurs du début du 20e siècle. Mais aujourd’hui, ce ne sont plus Rockefeller ou Carnegie, ce sont Amazon, Meta et Alphabet.”
Il déplore l’absence de régulation : “Contrairement à l’époque de Theodore Roosevelt, où les lois antitrust avaient brisé ces monopoles, la tendance actuelle est inverse. Les monopoles technologiques échappent à tout contrôle, aux États-Unis comme en Europe.”
Pour lui, l’histoire finira par réagir. “La ploutocratie amènera des chocs en retour. Mais ces chocs ne renforceront pas la gauche modérée. Ils risquent de favoriser l’extrême gauche.”
La Chine : une énigme stratégique
Alain Minc qualifie la Chine “d’énigme entourée d’un mystère”, citant Bismarck. Il analyse l’évolution stratégique du pays sous Xi Jinping : “Avec Deng Xiaoping, la Chine avait accepté la primauté de l’économie sur la politique, tant que le contrôle du Parti communiste était garanti. Xi Jinping a inversé cette logique. La politique domine désormais l’économie.”
Il souligne le prix de ce choix : “Xi a sacrifié des géants économiques comme Alibaba et Tencent, qui étaient des vitrines de soft power chinois, pour renforcer le contrôle politique. La Chine devient un modèle mercantiliste absolu.”
Les implications pour l’Europe sont claires : “Nous devons comprendre que la Chine n’est plus un simple partenaire commercial. C’est un adversaire stratégique.”
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L’Europe : entre régulation et marginalisation
Minc est sans appel sur l’état de l’Europe : “Nous sommes en train de devenir un musée à ciel ouvert, visité par les classes moyennes chinoises. Pendant que les Américains innovent et que les Chinois avancent à pleine vitesse, nous, Européens, nous réglementons.”
Prenant l’exemple de l’intelligence artificielle, il explique : “Les États-Unis dominent le marché, les Chinois les suivent de près, et nous, Européens, restons sur le balcon avec des réglementations comme le RGPD. Nous créons des lois pendant qu’eux construisent l’avenir.”
Pour autant, Alain Minc reste optimiste : “Si nous réformons nos règles de concurrence et remettons le producteur au centre de nos politiques, l’Europe peut redevenir un acteur stratégique. Mais cela exige une prise de conscience urgente.”
L’intelligence artificielle : la disparition de la vérité
L’intelligence artificielle, selon Minc, représente une rupture bien plus profonde que l’arrivée d’internet. “Avec l’IA, nous faisons face à un phénomène abyssal : la disparition de la frontière entre le vrai et le faux.”
Il cite un exemple récent en Italie : “Une vidéo falsifiée du ministre de la Défense a été envoyée à des entreprises pour leur extorquer de l’argent. Tout semblait authentique : la voix, le ton, la gestuelle. Mais c’était une escroquerie.”
La question est cruciale : “Comment distinguer l’authentique du fabriqué dans un monde où les IA peuvent produire des contenus indiscernables de la réalité ? Cette interrogation reste sans réponse.”
Trump et Musk : une alliance vouée à l’échec
Alain Minc évoque également l’alliance entre Donald Trump et Elon Musk, qu’il considère comme temporaire et explosive : “Un jour, ce sera le divorce du siècle. Ce ne sera pas celui de Harry et Meghan, mais celui de deux ego surdimensionnés.”
Il rappelle que, dans l’histoire, le pouvoir politique finit toujours par reprendre l’ascendant sur le pouvoir économique. “Musk joue un jeu dangereux. Mais tôt ou tard, l’État, quel qu’il soit, imposera ses règles.”
Les États-Unis : une puissance impériale mondiale
Pour Alain Minc, les États-Unis ne sont pas redevenus impérialistes sous Trump, mais leur nature impériale demeure. “Depuis 1945, les États-Unis sont une puissance impériale, mais pas impérialiste. Ce sont deux notions différentes. Leur expansion découle de leur puissance naturelle, pas d’un dessein territorial.”
Il ajoute : “Biden est le dernier des présidents à l’ancienne. Pro-occidental, pro-européen. Mais les États-Unis ne sont plus un pays occidental. Ils sont devenus un pays-monde, un syncrétisme global. Cela doit nous faire réfléchir sur notre positionnement européen.”
Quel avenir pour l’Europe ?
Alain Minc conclut son exposé par un appel à l’action pour l’Europe : “L’Europe est la gardienne d’un modèle unique, qui combine liberté, égalité, redistribution et efficacité économique. Mais pour préserver ce modèle, elle doit redevenir actrice et non spectatrice.”
Il énumère les priorités : “Défendre nos producteurs, investir dans l’innovation, réformer nos règles de concurrence, et ne plus dépendre des États-Unis ou de la Chine. Le temps presse, mais rien n’est encore perdu.”
“Ce qui se passe aux États-Unis est fascinant : c’est le premier cyber coup d’État de l’Histoire”
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