2023, le temps de l’incertitude sur les marchés céréaliers

Céréales
Des employés prélèvent des échantillons de riz nouvellement acheté dans une société du China Grain Reserves Group (Sinograin), à Harbin, dans la province chinoise du Heilongjiang (nord-est), le 28 octobre 2022. © Belga

Un an après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, les cours mondiaux des céréales sont retombés à leur niveau d’avant le conflit, un point d’équilibre précaire dans une “ambiance de guerre froide”.

Alors que le président russe Vladimir Poutine promet de poursuivre “méthodiquement” son offensive, “les craintes d’une réduction significative des livraisons de blé de la mer Noire refont surface”, alerte Jack Scoville, analyste chez Price Futures Group.

Dans le même temps, la profusion de blé promise par des récoltes record en Russie et en Australie tempère la hausse des prix, dans un marché très concurrentiel où les grains russes, vendus nettement moins chers que les blés français ou américains, dominent les échanges.

“Atténuation relative”

De la Bourse de Chicago à Euronext, les prix des céréales sont globalement revenus à leur niveau d’avant-guerre, sous les 300 euros la tonne, le maïs passant même devant le blé mardi sur les marchés européens, signe d’une résistance du grain jaune dans un contexte d’incertitudes en Europe.

Cette “atténuation relative” des chocs inflationnistes de 2022 – qui avaient vu les prix du blé doubler et ceux des engrais tripler – aboutit à une situation “artificiellement rassurante”, pour le chercheur Sébastien Abis, directeur général du club de réflexion sur l’agriculture Déméter et auteur de “Géopolitique du blé”.

Il n’y a certes pas eu de grandes émeutes du pain mais la facture mondiale des importations alimentaires a bondi pour des pays comme l’Egypte, le Nigeria ou le Soudan. “Il y a beaucoup de pays dans le monde où la nourriture coûte aujourd’hui plus cher, où les stocks sont plus bas et où les difficultés structurelles sont encore plus graves qu’il y a un an”, souligne le chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Céréale soja
Un employé prélève des échantillons de graines de soja © Belga

La guerre en Ukraine, super-puissance agricole, a rebattu les cartes. Le pays a perdu un quart de sa surface cultivée, avec une production céréalière en repli de 40% en 2022.

L’ouverture de nouvelles routes terrestres vers l’Europe et surtout d’un corridor maritime – qui a permis de sortir plus de 20 millions de tonnes de produits agricoles des ports ukrainiens depuis le 1er août – a soulagé les Etats importateurs, mais la poursuite des combats et la crainte d’une récession mondiale ont maintenu une forte volatilité sur les marchés.

Pour 2023, “on baigne dans l’incertitude pour le blé et le maïs”, souligne Dax Wedemeyer, de US Commodities. La production de maïs notamment est scrutée dans un contexte de baisse de l’offre mondiale du fait d’un “temps très sec” dans le Midwest américain et en Argentine et des incertitudes sur les capacités de production de l’Ukraine (4e exportateur avant la guerre).

“Salaire de la peur”

Le fragile point d’équilibre trouvé par le marché pourrait être remis en cause si l’accord sur le corridor maritime, signé par Kiev et Moscou sous l’égide de l’ONU et de la Turquie, n’était pas renouvelé le 18 mars prochain.

Ce mécanisme se prolonge par tacite reconduction, sauf s’il est dénoncé par une des parties. Or Moscou multiplie les déclarations hostiles et l’ONU juge la situation “plus difficile” qu’à l’automne, lors du premier renouvellement.

Dans les prochains mois, trois éléments seront essentiels, selon Sébastien Abis. Premièrement, le rôle de la Turquie “qui a été essentiel pour l’accord sur le corridor mais qui pourrait recentrer ses priorités sur son agenda intérieur” après le séisme et avant les élections prévues en mai.

Deuxième point d’attention, “le comportement de la Chine”, qui rouvre son économie et pèsera sur la demande mondiale, et enfin le risque climatique. “Si nous étions confrontés à un accident climatique dans un grand pays exportateur, nous aurions mécaniquement encore plus de besoin de la Russie, qui possède aujourd’hui 30% des stocks mondiaux de blé”, souligne-t-il.

Pour toutes ces raisons, le marché “reste fébrile”, estime Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux & Associés. “Depuis la guerre froide, on n’a pas connu une telle tension. Si le corridor n’est pas renouvelé, cela aura un impact modéré sur les approvisionnements pour le moment, mais le marché pourrait s’emballer. On revivrait alors le scénario du salaire de la peur qu’on a connu au printemps dernier”.

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