Hollywood n’a plus la cote en Chine

Deadpool à l'affiche en Chine. (Photo credit : CFOTO/Future Publishing via Getty Images)

Les blockbusters américains ne font plus recette en Chine. Le public préfère les films locaux, et les tensions entre Pékin et Washington n’arrangent pas les choses.

La Chine est le deuxième marché du cinéma le plus important de la planète. Et Hollywood est en train d’y perdre des parts de marché. Le Box-Office du dernier Marvel, “Deadpool & Wolverine”, est un exemple de cette tendance. Alors qu’il bat des records dans le monde, il n’est pas le film le plus regardé en Chine.

Après 20 jours dans les salles, il a rapporté 57 millions de dollars. Ce n’est pas rien, mais le film chinois “Successor” a rapporté six fois cette somme sur la même période, rapporte CNBC, en se basant sur les chiffres de Maoyan. Ce film est certes à l’affiche depuis une semaine de plus que Deadpool, mais il occupe la troisième place du film le plus vu de l’année en Chine. Tandis que le blockbuster hollywoodien avec Ryan Reynolds et Hugh Jackman se trouve à la quinzième place.

En 2019, un autre Marvel, “Avengers: End Game”, était encore le troisième film le plus vu de l’année en Chine. Mais en 2023, il n’y avait pas un seul film américain dans le top 10, une première en douze ans. Cette année, il y en a un seul jusqu’à présent : “Godzilla x Kong: The New Empire”, à la huitième place.

Préférence des films maison…

Un déclin qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le premier, c’est une préférence pour les films chinois, phénomène qui prend encore plus d’ampleur depuis la pandémie. C’est que ces films deviennent de plus en plus qualitatifs.

“La Chine a appris tout ce qu’elle pouvait de Hollywood. Aujourd’hui, elle produit ses propres superproductions à gros budget, avec de bons effets spéciaux, et même de bons films d’animation… Elle n’a plus besoin de Hollywood”, analyse Stanely Rose, professeur en sciences politiques et en société chinoise à l’Université de Californie du Sud, pour CNBC. “Le public chinois, essentiellement composé de jeunes, veut des histoires qui lui parlent… des films qui se rapportent d’une manière ou d’une autre à ce qui se passe en Chine.”

Voilà un terrain sur lequel Hollywood a plus de mal à jouer, comme le montre la version live-action de “Mulan” (Disney), largement critiquée en Chine lors de sa sortie en 2020. Le film serait plein d’éléments incorrects et représenterait une vision occidentale et stéréotypée de la Chine, selon les réactions du public.

La Chine importe aussi davantage de films d’autres origines, qui grappillent des parts de marché de Hollywood, note Ying Zhu, experte du cinéma chinois. Le public chinois voit donc autre chose et est “fatigué des histoires répétitives” du cinéma américain, ajoute-t-elle.

… dans un contexte de tensions géopolitiques

L’autre raison qui fait que Hollywood performe moins bien et que la Chine préfère les productions nationales sont les tensions entre Pékin et Washington. On n’est pas au même stade que lors de la guerre froide et de l’opposition des doctrines de Jdanov et de Truman, mais il peut y avoir des similitudes avec cette époque. L’industrie du film d’un pays ou d’une région représente les valeurs et la vision du monde de ce pays, consciemment ou inconsciemment. Et quand on rejette l’autre, on rejette aussi ses valeurs, sa culture et sa manière de penser et de voir les choses. Et les films peuvent ainsi vite être vus comme de la propagande.

Tous les Chinois ne réfléchissent pas forcément de la sorte, bien sûr. Mais les films patriotiques font de bonnes recettes. Notamment le film chinois le plus rémunérateur de tous les temps, “La bataille du lac Changjin”, sorti en 2021. Il parle de la guerre de Corée et d’un bataillon de volontaires chinois qui se battent contre l’armée américaine. Le numéro 2 est “Le guerrier-loup 2“, un film d’action à la “Rambo”. Cette saga, “Wolf Warrior” en anglais, a d’ailleurs donné son nom, à une forme de diplomatie plus agressive et plus véhémentement critique des remarques faites à Pékin par l’Occident, que certains politiques chinois ont adoptée depuis la sortie des films.

Et dans l’autre sens, quelle place pour le cinéma chinois en Occident ? Ce type de films patriotiques n’est pas diffusé chez nous. Mais des films d’auteur et des productions indépendantes le sont régulièrement, comme “Only the river flows”, un polar en salles actuellement. “Successor”, mentionné plus haut, est aussi en train d’être lancé à l’internationale. Cependant, des boîtes de production liées au département de la propagande du parti communiste chinois ont contribué à ce film et à sa distribution. Certains s’interrogent donc sur l’accueil qui y sera réservé, et s’il aura le même succès.

Tant pis, ou tant mieux, pour Hollywood

Diffuser un film américain en Chine n’est en réalité pas si simple que cela. D’abord, il y a un quota : il peut y en avoir 34 par an. Et il doit recevoir le feu vert des autorités. Certains sujets doivent donc être pris avec des pincettes par les maisons de production, pour que le film ne froisse pas Pékin. Cela peut leur valoir des critiques ailleurs dans le monde. C’était le cas de “Mulan” de Disney qui a été filmé dans la région du Xinjiang, où la Chine est accusée d’enfermer les Ouïghours dans des camps.

Selon Rosen, avec cette baisse de la demande, les boîtes ne prennent désormais plus ces pincettes. Elles excluent d’ailleurs le marché chinois lorsqu’elles font des prévisions de résultats du film, ou se disent que les estimations ne seront pas fiables. La Chine n’est ainsi plus que vu comme un bonus : “vous faites votre film pour le marché international, et s’il entre en Chine et gagne de l’argent, c’est très bien. Mais ne comptez pas là-dessus”, selon l’expert. De quoi aussi éviter les critiques d’autocensure de la part du public occidental.

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