Foire du Livre: Madame la commissaire

Réputée pour son intransigeance, Ana Garcia règne depuis 16 ans sur la Foire du Livre de Bruxelles dont l’édition 2013 ouvre ses portes ce 7 mars à Tour & Taxis. Portrait d’une femme dynamique aussi respectée que contestée.

C’est un petit bout de femme au caractère bien trempé. Un mètre 63 de forte personnalité qui veille jalousement sur la Foire du Livre de Bruxelles et qui semble avoir beaucoup d’ennemis. Non pas les éventuels allergiques à l’écrit, mais bien – et c’est tout le paradoxe – des écrivains, des éditeurs et des amoureux du livre. Mais Ana Garcia s’en moque éperdument et se fiche encore plus des menaces qui pèsent sur son titre de commissaire générale de la Foire du Livre. “Je n’ai peur de rien ni de personne, dit-elle d’emblée avec une certaine sérénité. Je n’ai peur que de la mort.”

Mais que reproche-t-on finalement à cette native des Asturies espagnoles qui a plutôt bien mené sa barque depuis son arrivée en Belgique à l’âge de quatre ans à peine ? En vrac : sa fâcheuse tendance à être “dictatoriale”, son penchant pour “un certain népotisme” ou encore son “absence totale de vision stratégique au niveau de son métier”, comme l’écrivait encore Alain Van Gelderen, administrateur délégué des éditions La Renaissance du Livre, dans une lettre adressée récemment au journal Le Soir qui avait “osé” donner la parole à l’intéressée.

Mis à part les jaloux qui rêvent à sa perte, force est de constater que certaines critiques à l’égard d’Ana Garcia peuvent malgré tout tenir la route, même si l’on trouvera tout aussi rapidement un paquet de supporters prêts à la défendre becs et ongles. Mais ce qui semble poser problème, dans ce jet massif de pierres et de fleurs, réside surtout dans le télescopage de deux notions qui, quoi qu’il advienne, ne réuniront jamais les protagonistes autour d’un sage compromis : business et culture. Car lorsque l’on demande à Madame la commissaire générale si elle se considère comme la chef d’une petite entreprise baptisée Foire du Livre, la réponse fuse, sans équivoque : “Oui, tout à fait. J’aime les chiffres et je suis capable de faire un plan financier sur trois ou quatre ans, affirme-t-elle. Car l’essentiel de mon travail consiste à gérer la partie commerciale d’un événement dont le budget tourne autour de 1,5 million d’euros, mais dont la finalité est culturelle et où le relationnel prend beaucoup de place. Car chez les auteurs comme chez les éditeurs, il faut gérer énormément d’egos”. Un aveu prévisible, certes, mais qui a évidemment le don de faire des étincelles chez les puristes de l’écrit…

Le livre, par hasard

Mais comment une petite immigrée espagnole, fille d’un père jardinier devenu chauffeur de bus à Liège et d’une mère contrainte de faire des ménages s’est-elle retrouvée à la tête d’un grand événement francophone qui consacre, chaque année, le livre en Belgique ? Le parcours d’Ana Garcia est d’autant plus étonnant que l’adolescente rêvait d’entrer au Conservatoire – “caprice” rejeté par ses parents – et qu’elle a finalement opté pour des études en Histoire de l’Art à l’Université de Liège.

Diplômée en 1983, c’est tout naturellement à l’Académie des Beaux-Arts de la Cité ardente que la jeune femme débute sa carrière, avant de se retrouver happée par un projet communal visant à promouvoir le “passeport culturel liégeois” au milieu des années 1980. C’est là que la connexion avec le monde d’édition s’opère alors de manière indirecte. Contactée par un certain Luc Pire dont le projet était à l’époque d’étendre le concept bruxellois de la Carte Jeunes à tout le territoire, Ana Garcia rejoint l’équipe de celui qui, plus tard, fondera sa propre maison d’édition et relancera surtout, en 1997, une Foire du Livre de Bruxelles plus que moribonde.

Nommée commissaire générale adjointe de l’événement dès 1998, puis commissaire générale l’année suivante, l’Hispano-Belge est, depuis 2006, salariée de l’ASBL Foire du Livre de Bruxelles dont la 43e édition s’ouvre précisément au grand public ce jeudi 7 mars. Réparti sur 20.000 m² d’exposition au coeur de Tour & Taxis, la manifestation accueille désormais un bon millier d’auteurs et autant de maisons d’édition pour un public curieux qui, l’année dernière, gravitait autour des 70.000 visiteurs.

Roberto, Bart et les autres

Dans son bureau de l’avenue Louise où le rose optimiste domine franchement les murs, le plan de la répartition des stands y est d’ailleurs ostensiblement épinglé. Un schéma “mis en scène” depuis de nombreuses années par Roberto Cassol, architecte d’intérieur indépendant… et compagnon d’Ana Garcia. D’où les accusations récurrentes de népotisme colportées par les détracteurs de Madame la commissaire.

Et c’est en fonction de ce plan que s’organise précisément les rencontres, animations et autres débats, puisque la priorité des tribunes est souvent donnée aux participants qui ont un stand en nom propre et non pas une vitrine sur l’espace d’un distributeur, comme c’est la cas cette année pour les maisons d’édition belges Le Cri et La Renaissance du Livre. Deux éditeurs qui viennent chacun de consacrer un ouvrage à Bart De Wever et qui avaient émis le souhait d’organiser un débat avec le président de la N-VA en pleine Foire du Livre. Mais Ana Garcia a finalement refusé cette tribune le dimanche des festivités, suscitant le courroux des intéressés et gonflant ainsi un peu plus le rang de ses détracteurs, mais aussi de ses supporters.

Si, pour elle, l’incident est clos, la polémique De Wever a toutefois fortement énervé la commissaire générale. “Ces derniers jours, j’ai été dégoûtée de la manipulation qui a été faite autour de ‘l’événement’ De Wever, confie Ana Garcia. Cela a occulté l’intérêt de la Foire du Livre qui doit garder son côté festival et qui est surtout un événement utile à la profession, ceci dit sans forfanterie, car le secteur est en difficulté.”

Femme de poigne

Mais c’est justement ce côté “trop festival”, “trop grand public” et surtout “l’absence d’espaces réservés strictement aux professionnels” qui lui sont reprochés par certains acteurs de l’édition belge. Une critique que la commissaire générale balaie d’un revers de la main, préférant diriger, comme bon lui semble, le paquebot de la Foire du Livre.

“C’est une femme qui a du caractère, confirme Agnès Dumont, son amie de 20 ans, professeur dans l’enseignement supérieur et auteure de nouvelles à ses heures. Evidemment qu’elle a une personnalité forte et qu’elle prend de la place, mais c’est surtout une passionnée qui défend vraiment la littérature et qui prend son métier à coeur.”

Mère de deux grandes filles de 24 et 21 ans, Ana Garcia ira sans doute se ressourcer du côté de Londres ou de Venise après la Foire du Livre, deux villes qu’elle aime notamment pour les comédies musicales de la première et pour la Biennale d’art contemporain qu’elle ne manque jamais au sein de la seconde. Deux villes qu’elle adore autant que Liège, “sa” Cité Ardente où elle habite toujours et où elle se sent autant chez elle que dans les Asturies où elle naquit jadis dans la maison de sa grand-mère. Mais même ce “couplet habituel de l’étrangère qui a réussi son assimilation” lui est aujourd’hui reproché par l’un de ses plus grands ennemis. C’est dire…

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