Et si la Chine, la Russie et l’Inde créaient leur propre monnaie pour contrer le dollar
Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – les pays dits BRICS – se réunissent au Cap cette semaine pour discuter de l’introduction d’une nouvelle monnaie mondiale pour remplacer le dollar. Jonathan Holslag, professeur de relations internationales, observe comment les pays BRICS s’efforcent de présenter leur alternative monétaire à l’Occident.
Si les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont des points de vue différents en matière de politique ou d’économie politique, un objectif les unit pourtant depuis leur création en 2009: mettre fin à la domination du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Selon eux, ces institutions internationales sont trop étroitement alignées sur les vues occidentales. Dans le même temps, ce sont ces institutions qui décident des prêts à accorder aux pays et des sanctions à imposer.
L’une des principales réalisations des BRICS est la création de la Nouvelle banque de développement (NDB) en 2014. Elle a été créée à la demande de l’Inde, mais son siège se trouve à Shanghai. Chaque membre des BRICS contribue à la solidité financière de la NDB, qui en retour aide à financer des projets privés et publics par le biais de prêts. Depuis sa création, la banque a prêté 33 milliards de dollars.
Avec la NDB, les pays du BRICS ont démarré une quête : mettre sur pied un système monétaire indépendant. Lors du sommet, qui se tient du 21 au 24 août au Cap, la création d’une nouvelle monnaie mondiale figure en tête de l’ordre du jour. Actuellement, le dollar américain est « la » monnaie pour le commerce international, mais de nombreux pays réclament une alternative à ce dollar. A noter qu’au niveau local, cette nouvelle monnaie ne remplacera pas les monnaies nationales comme le yuan chinois et le rouble russe, mais elle sera utilisée pour les échanges entre les BRICS.
Le dollar est actuellement la monnaie de réserve privilégiée par de nombreux pays. Les BRICS, qui représentent 40 % de la population mondiale, peuvent-ils contrer cette tendance en créant leur propre monnaie ?
JONATHAN HOLSLAG. L’appel à la “dédollarisation” existe depuis les années 1990. De nombreux pays estimaient que les États-Unis, en tant que détenteur de la monnaie de réserve, le dollar, n’assumaient pas suffisamment de responsabilités en matière monétaire. La crise financière de 2008 a réaffirmé ces préoccupations, et la guerre en Ukraine a fait comprendre à de nombreux pays qu’il était dans leur intérêt politique de diversifier leur monnaie.
“La création d’une nouvelle monnaie mondiale s’avérera difficile pour les BRICS. La raison principale est que les États-Unis constituent le principal marché pour ces pays. Je suis beaucoup plus enclin à croire que les BRICS s’arrangeront pour utiliser le yuan chinois lors des paiements entre eux. Mais bien sûr, ce commerce mutuel ne concerne qu’une petite partie du commerce mondial. Si les BRICS veulent faire avancer le yuan en tant que monnaie mondiale, la monnaie devra d’abord s’apprécier. Pour cela, la Chine devra importer davantage. Ce qui est encore fort peu le cas aujourd’hui.
Vous évoquez très clairement le yuan plutôt qu’une nouvelle monnaie. La position de la Chine est-elle incontournable au sein du groupe des BRICS, malgré le ralentissement de son économie et la montée en puissance de l’Inde ?
HOLSLAG. “Oui, car la différence entre les économies manufacturières chinoise et indienne reste importante. La Nouvelle banque de développement est une sorte d’offensive internationale de charme de la part des Chinois, mais en réalité, ils prêtent beaucoup plus par l’intermédiaire de leur propre banque d’État. Le portefeuille de cette dernière est plus de dix fois supérieur à celui de la NDB.”
“La Chine reste l’acteur le plus important des BRICS, mais le fait que son économie soit en difficulté affecte également la coopération. La Chine, en tant que marché en expansion pour les exportations des BRICS, s’impose moins comme une évidence. En outre, elle souhaite renforcer son industrie dans de nombreux secteurs, ce qui complique la tâche des autres pays.”
Quarante pays sont candidats à une adhésion aux BRICS. Ils peuvent directement renforcer la NDB dès leur adhésion. Cela permettrait au groupe des BRICS de s’agrandir considérablement.
HOLSLAG. “L’attitude des BRICS à l’égard de l’Occident devient de plus en plus négative. En même temps, on remarque que les pays en développement ont encore quelques réserves à considérer les BRICS comme une alternative. L’Occident reste trop important en termes de commerce, d’investissement et d’aide au développement. Les BRICS sont une promesse, mais ces dernières années, on a pu constater que le changement régulier de pouvoir (qui était très visible dans les années 2000) a cédé la place à un nouvel équilibre dans lequel la part des BRICS, dans l’économie mondiale, augmente plus lentement.
“La position de l’Occident sur la scène internationale s’est affaiblie, mais les États-Unis se sont économiquement et militairement renforcés ces dernières années. Cela ne signifie pas pour autant que les États-Unis peuvent dormir sur leurs deux oreilles maintenant que la croissance des BRICS ralentit, et parce que l’Occident a perdu du terrain. La frustration des BRICS à l’égard de l’Occident ne cesse de croître. Par conséquent, si 40 pays frappent à la porte des BRICS, ils peuvent se développer. Mais il y a une différence entre croître en nombre de pays et disposer d’un pouvoir et d’une influence réels”.
Quel est, selon vous, l’avenir des BRICS dans l’ordre mondial ?
HOLSLAG. “Nous avons vu plus de partenariats se développer entre les pays dans le passé, il y a définitivement une fragmentation de la gouvernance internationale et une détérioration de la coopération internationale. Je m’attends à ce qu’une lutte pour la domination ait lieu dans les 10 à 20 prochaines années. Les BRICS en seront certainement un acteur, mais il n’est pas certain que ce groupe en sorte vainqueur. Les États-Unis pourraient tout aussi bien s’imposer dès l’année prochaine, s’ils parviennent à garder leur sang-froid lors des élections présidentielles.
“Pour l’instant, je considère le sommet du Cap comme un symbole, mais sous d’une forme imparfaite. Poutine n’est pas physiquement présent au sommet, mais en raison du mandat d’arrêt international lancé contre lui, il y participe par vidéo interposée. Le fait qu’il demande une présence physique pour cette raison sape le message de puissance que les BRICS veulent transmettre”.
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