Tinne Van der Straeten (Groen): “Une introspection écologiste s’impose”

Tinne Van der Straeten , ministre fédérale de l'Energie. BELGA PHOTO HATIM KAGHAT
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La ministre fédérale de l’Energie a lancé le coup d’envoi de la première phase du chantier de recherche nucléaire Myrrha. Elle dit ne pas changer de cap, mais reconnaît que la défaite des verts aux élections pose des questions auxquelles il faudra répondre.

Le coup d’envoi du chantier Myrrha a été donné, ce mardi à Mol, en présence de la ministre fédérale de l’Energie, Tinne Van der Straeten (Groen). Myrrha est le premier réacteur de recherche au monde, piloté par un accélérateur de particules de 300 mètres de long. La première phase, baptisée Minerva, est financée, à hauteur de 558 millions d’euros. Le coût projet Myrrha, au total, s’élèvera à davantage que le 1,8 milliard envisagé initialement. En marge de cette pose de première pierre, la ministre écologiste a répondu aux questions de quelques journalistes francophones.

Ce n’est pas naturel pour vous de défendre un tel projet nucléaire, si?

Ce n’est pas la première fois que je viens à Mol, je suis venue plusieurs fois me faire l’avocate des projets qui sont développés au Centre belge de recherche nucléaire (SCK CEN). On ne peut pas prétendre le contraire.

Mais vous mettez pas mal de questions au développement du nouveau nucléaire…

Cela reste le cas et je l’ai répété ce mardi encore. Mon point de vue initial a toujours été de dire que la technologie nucléaire posait des problèmes en terme de déchets, de sécurité, de risque de prolifération ou de coût de développement. Selon moi, pour que cette technologie trouve sa place dans le mix énergétique du futur, ces aspects négatifs doivent être effacés. J’ai participé récemment à une mission économique en Norvège, une des plus grandes sociétés de consultance actives dans ce domaine nous a quand même dit que les SMR étaient là aussi pour maintenir les capacités pour les armes nucléaires en France ou au Royaume-Uni. Nous avons décidé d’injecter cent millions d’euros pour envisager la construction de tels SMR, c’est au secteur de nous démontrer qu’il peut répondre à ces demandes.

La première phase du projet Myrrha est financée, cela aurait-il du sens qu’un prochain gouvernement finance les phases suivantes?

On a toujours dit que la première phase ne serait pas remise en cause: elle concerne l’accélérateur et, dans tous les cas, elle est indispensable pour les radio-isotopes médicaux. Pour les autres phases, un financement international sera nécessaire. Aucun projet nucléaire ne peut être financé par un pays seul. Tous les projets actuels sont co-financés. Ce n’est pas encore le cas, mais cela peut venir. Un des mes premiers actes en tant que ministre a été de créer l’ASBL qui doit permettre d’attirer ces financements.

Le prochain gouvernement pourrait investir davantage et évoque la possibilité d’une nouvelle centrale. Cela vous semble envisageable?

D’après ce que je sais, il n’y a pas encore de nouveau gouvernement, il y a des partis qui négocient. Il n’y a pas encore de formateur, pas de note, juste des rêves. J’agis toujours en tant que ministre, mon département apporte des solutions pour sécuriser l’approvisionnement énergétique.

Les vainqueurs des élections sont tous des partis pro-nucléaires. N’avez-vous pas peur qu’ils détricotent votre action et qu’ils reviennent sur la loi de sortie de nucléaire de 2003?

La loi de 2003, ce n’est qu’un petit élément d’un ensemble. Aujourd’hui, nous posons la première pierre du projet Myrrha, alors que la loi de 2003 est toujours d’application. J’ai toujours dit que cela n’empêchait pas de continuer la recherche, ni même de construire un réacteur de démonstration. S’ils veulent bricoler avec la loi de 2003, libre à eux, mais tout projet présenté devra être crédible en terme de prix, de délai, de sécurité… Ceux qui affirment vouloir construire une centrale nucléaire pour sécuriser l’approvisionnement des prochains hivers rêvent debout.

Cet été, on pourrait être contraint de devoir arrêter des parcs éoliens ou photovoltaïques en raison d’une surproduction, selon Elia, mais on ne dit rien pour le nucléaire, votre réaction?

C’est catastrophique. Un des problèmes actuels, c’est que nous avons une tranche de 4GW nucléaire aujourd’hui. Quand elle sera réduite à 2GW, le problème sera moindre. Mais ce n’est pas idéal de devoir arrêter l’éolien ou le solaire. Il nous faut davantage de flexibilité, ce qui viendra avec les batteries et une meilleure gestion des réseaux. Dans le mix énergétique futur, si on veut du nucléaire, ce devront être des petites unités qui seront flexibles en elles-mêmes. Tout cela indique aussi le fait que le renouvelable est toujours en croissance, surtout le solaire avec la stratégie européenne après la guerre en Ukraine.

Vous aviez annoncé que vous porterez plainte contre le président du MR, Georges-Louis Bouchez, qui critiquait votre action. Où cela en est-il?

Georges-Louis Bouchez avait dit que j’avais manipulé les dossiers et que j’avais menti, ce sont des accusations qui sont très graves. Cela nuit à ma réputation. Tout n’est pas permis. Depuis, j’ai constaté qu’il avait adouci son discours, qu’il ne parlait plus d’une commission d’enquête dirigée contre moi personnellement, mais sur la politique énergétique des vingt dernières années. Il a même dit à la télévision qu’il ne remettait pas en cause mon intégrité. Après les élections, je vais profiter de ce calme pour consulter mes avocats.

Les résultats des écologistes aux élections n’ont pas été bons. Comment analysez-vous cela?

Le résultat d’Ecolo me fait beaucoup de mal, même si j’ai moi-même été élue sur une liste commune et je remercie tous les électeurs pour cela. Ce résultat doit nous amener à une introspection. On assiste à une même tendance en Belgique, mais aussi aux Pays-Bas, en Allemagne et dans les élections européennes: cela ne laisse pas beaucoup d’espoir pour les années à venir. Nous aurons des gouvernements avec beaucoup d’austérité: cela m’inquiète.

Il y a un risque d’un recul sur les dossiers climatiques?

Oui. Ce sera une très grande erreur. Les partis de droite ont positionné la crise du climat comme une crise du comportement: en luttant contre le réchauffement, on ne pourra plus faire ceci ou cela. Mais c’est précisément pour conserver vos acquis qu’il faut mener cette lutte contre le réchauffement. Si on n’investit pas aujourd’hui, les coûts seront encore plus importants dans le futur.

Les élections sont-elles un échec pour l’écologie politique?

Ce n’est pas encore clair dans ma tête, il faut vraiment une introspection. Laissez-moi le temps que la poussière de ces élections retombe.

Votre rôle, vous le voyez dans l’opposition ou hors de la politique?

La politique reste un levier important. Je resterai là pour mener à bien cette transition énergétique.

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