Dès 2027, une taxe carbone européenne doit normalement s’appliquer au chauffage des logements et au carburant des véhicules. Quels sont les objectifs de cette réforme ? Qui va payer ? Pourquoi suscite-t-elle autant de tensions politiques ? On fait le point en six questions.
Le mécanisme européen ETS 2, surnommé “nouvelle taxe carbone”, suscite une levée de boucliers. Il vise à faire payer les émissions de CO2 liées au chauffage et au transport routier, en renchérissant progressivement le prix des carburants fossiles. Une mesure climatique structurante, mais socialement explosive. À deux ans de son entrée en vigueur, l’incertitude domine. Voici ce qu’il faut savoir pour mesurer les enjeux du dispositif et les débats qu’il soulève.
1. Qu’est-ce que le marché ETS 2 ?
Pour comprendre cette nouvelle taxe carbone, il faut d’abord comprendre ce qu’est le système ETS 2. L’acronyme “ETS” signifie Emissions Trading System, soit un système d’échange de quotas d’émission. Il s’agit d’un outil créé par l’Union européenne pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique.
Depuis 2005, l’ETS 1 s’applique déjà aux grandes industries polluantes, comme les aciéries, les cimenteries, les compagnies aériennes ou les producteurs d’électricité. Ces entreprises doivent acheter des droits d’émettre du CO2 sur un marché dédié. Moins elles polluent, moins elles doivent acheter de quotas. Cela les incite à investir dans des technologies plus propres.
À partir de 2027, ce mécanisme va s’étendre à de nouveaux secteurs via l’ETS 2 : le chauffage des bâtiments et le transport routier. Cela signifie que les fournisseurs de carburants fossiles – comme le mazout, le gaz, l’essence ou le diesel – devront aussi acheter des quotas pour chaque tonne de CO2 générée par leurs produits. Ce coût sera mécaniquement intégré dans le prix de vente, donc répercuté sur les factures des consommateurs. C’est ce qu’on appelle une taxe carbone indirecte. Elle ne s’applique pas directement aux ménages, mais les touche via leurs dépenses énergétiques.
2. Qui est concerné par cette taxe carbone ?
Contrairement à l’ETS 1 qui ne visait que de grandes entreprises, l’ETS 2 concerne pratiquement tout le monde. Chaque citoyen utilisant un véhicule thermique (voiture à essence ou diesel) ou se chauffant avec des combustibles fossiles (mazout, gaz naturel) verra ses dépenses augmenter. Cela touche aussi les microentreprises – artisans, commerçants, chauffeurs, livreurs – qui dépendent encore de ces énergies.
Les fournisseurs – TotalEnergies, Engie, Eneco, etc. – devront acheter des quotas d’émission pour couvrir la pollution engendrée par les produits qu’ils vendent. Ils incluront alors ce coût dans leurs prix, et ce sont les clients finaux qui paieront la note, que ce soit à la pompe ou sur la facture de chauffage.
Le dispositif vise à créer un signal-prix : plus vous consommez d’énergies fossiles, plus vous payez. Ce qui doit inciter à consommer moins ou à opter pour des alternatives plus propres. Cela suppose cependant que ces alternatives soient accessibles, ce qui est loin d’être le cas partout.
3. Combien cela pourrait-il coûter aux ménages ?
C’est l’un des points les plus sensibles. Selon les estimations du Bureau fédéral du Plan, le surcoût annuel pour un ménage belge varierait entre 255 et 415 euros par an si le prix du CO2 s’établit à 60 euros la tonne en 2027. Pour les ménages utilisant le mazout, la facture pourrait être plus salée encore. Trinomics, un cabinet mandaté par l’UE qui accompagne la Belgique, évoque une fourchette allant de 365 à 655 euros par an.
Le surcoût annuel pour un ménage belge varierait entre 255 et 415 euros par an si le prix du CO2 s’établit à 60 euros la tonne en 2027.
Le coût dépendra du prix du CO2 sur le marché, qui reste très incertain. En 2027, il pourrait tourner autour de 60 euros, mais certains experts anticipent une hausse rapide. D’ici 2030, le prix pourrait atteindre 200 euros la tonne. À ce niveau, le surcoût annuel grimperait facilement à 1.000 voire 1.200 euros pour certains ménages.
Un tarif de 60 euros la tonne se solderait par une hausse de 16% sur la facture de gaz naturel, de 21% sur le prix du mazout, et de 10 à 11% sur l’essence et le diesel. Cela représente un budget non négligeable, surtout pour les ménages qui n’ont pas la possibilité de changer rapidement leurs habitudes de consommation.

4. Pourquoi les Wallons seraient-ils plus touchés ?
Les Wallons sont structurellement plus exposés à la taxe carbone que les Flamands ou les Bruxellois. Plusieurs facteurs l’expliquent :
- Une plus grande part de la population vit en milieu rural, avec peu d’alternatives à la voiture.
- Les logements sont souvent plus anciens, plus grands et moins bien isolés.
- Une forte proportion des ménages se chauffe encore au mazout.
- Le niveau de revenu est plus faible en moyenne.
Résultat : les Wallons dépensent une plus grande part de leurs revenus pour se chauffer ou se déplacer. Selon le Bureau du Plan, 3,8% de leurs revenus partent en moyenne dans les combustibles de chauffage, et 3,7% dans les carburants. La combinaison des deux crée un risque élevé de précarité énergétique.
Sans mesure d’accompagnement, 15% des ménages précaires verraient leurs dépenses de chauffage augmenter de plus de 1% de leurs revenus, et 4% de plus de 2%. Trinomics estime même que 23% des ménages wallons pourraient basculer dans la précarité énergétique à cause de l’ETS 2.
Face à cela, plusieurs dispositifs de compensation sont prévus. Notamment un Fonds social pour le climat, doté de 65 milliards d’euros à l’échelle européenne, dont 1,66 milliard pour la Belgique. On pense aussi à des nationales et régionales (tarif social énergie, primes à la rénovation, chèque mazout…). Mais ces montants seront répartis sur sept ans et entre toutes les régions. Beaucoup d’élus jugent les compensations insuffisantes.
5. Pourquoi tout le marché de l’énergie sera-t-il influencé ?
Même si l’ETS 2 cible directement le chauffage et les carburants, ses effets se feront sentir bien au-delà. Par exemple, les logements équipés de chaudières hybrides ou de pompes à chaleur couplées au gaz pourraient voir leur facture d’électricité augmenter indirectement.
Plus fondamentalement, l’impact ne se limite pas aux énergies fossiles. L’augmentation générale du coût de l’énergie peut se propager à l’ensemble du marché. Par exemple, les fournisseurs d’électricité peuvent répercuter leurs propres hausses de coûts (liées au gaz pour certaines centrales) sur les tarifs électriques.
Le mécanisme de l’ETS 2 accentue cette tendance : chaque année, le nombre de quotas disponibles diminuera de 5,38%. Cette raréfaction progressive crée une pression mécanique à la hausse sur le prix du carbone. Sauf intervention de la Commission européenne pour injecter des quotas supplémentaires et stabiliser les prix, le coût climatique de nos consommations continuera donc de croître.
À cela s’ajoute un défi structurel : la transition massive vers l’électrique pour le chauffage et la mobilité suppose un réseau capable de supporter la demande. Or, les gestionnaires de distribution alertent déjà sur les limites actuelles. Adapter et renforcer les infrastructures pourrait coûter plusieurs milliards d’euros en Belgique, et ces investissements seront inévitablement répercutés sur les factures des consommateurs.

6. Une entrée en vigueur en janvier 2027 ?
Sur le papier, le calendrier est fixé : l’ETS 2 doit entrer en vigueur le 1er janvier 2027. Le Parlement européen a voté et la mesure doit être transposée dans les législations nationales. Mais politiquement, les choses ne semblent pas encore être totalement figées. Le dispositif fait l’objet d’une forte contestation dans plusieurs États membres, dont la Belgique.
Georges-Louis Bouchez (MR) a fait du combat contre la taxe carbone l’une de ses priorités. Il affirme vouloir réunir une minorité de blocage au niveau européen pour empêcher son application. Selon lui, cette augmentation pourrait annihiler les gains potentiels de la réforme fiscale que prépare le niveau fédéral. Un coup fatal pour les libéraux, estime-t-il. “J’examine même quelles seraient les conséquences si nous ne mettions pas en œuvre cette règle climatique. Les politiciens doivent aussi être des gamechangers”, lançait-il récemment dans Het Nieuwsblad. Surtout dans un contexte de “pause environnementale”, demandée de plus en plus pressement par libéraux.
Au Parlement wallon, le débat est aussi vif. Cécile Neven (MR), la ministre de l’Énergie, ne rejette pas en tant que tel le mécanisme, mais elle demande un cadre plus balisé. Elle a interpellé la Commission européenne pour obtenir un mécanisme de plafonnement du prix du CO2 et la possibilité d’activer une “valve de sécurité” si les prix s’emballent. Elle évoque un possible report si les conditions ne sont pas réunies.
Une clause de sauvegarde
En pratique, la directive européenne prévoit déjà une clause de sauvegarde. Si les prix de l’énergie sont trop élevés en 2026, l’entrée en vigueur peut être repoussée d’un an, à 2028. Plusieurs États y sont favorables. La Belgique est parvenue à réunir 18 pays pour mettre la pression sur la Commission européenne. Cette dernière doit apporter “des garanties, des aménagements et des améliorations”, exige la ministre, sans quoi “on irait droit dans le mur”. La libérale redoute un “effet gilet jaune” qui serait contre-productif pour la cause climatique. Il se dit que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pourrait lâcher du lest, avec un report de la taxe carbone. Mais tôt ou tard, le nouveau marché ETS 2 s’appliquera.