Le secteur des énergies renouvelables engrange très peu de surprofits

Pour faire face à la crise énergétique, certains voudraient taxer les surprofits des fournisseurs d’énergie. Pour cela, le regard se tourne vers le secteur des énergies renouvelables notamment. Seulement voilà, contrairement à la croyance populaire, il n’y a pas énormément de bénéfices excédentaires à y trouver.

Pour atténuer quelque peu les effets de la crise énergétique, l’idée de taxer les bénéfices excessifs des entreprises énergétiques revient régulièrement sur la table. Le gouvernement belge a d’ailleurs lancé lundi une proposition en ce sens. À cette fin, elle s’adresse notamment aux exploitants de centrales nucléaires et aux producteurs d’énergie renouvelable. Les coûts fixes de ces entreprises sont faibles et, compte tenu des prix records qu’atteint l’électricité actuellement, ces entreprises engrangent des bénéfices comme elles n’en ont jamais eus auparavant, selon toute vraisemblance.

Toutefois, la réalité n’est pas aussi tranchée, comme le révèle un tour d’horizon des tendances dans le secteur des énergies renouvelables. “La perception que les fournisseurs d’énergie emmagasinent des bénéfices faramineux, grâce aux actuels prix élevés de l’électricité, est très tentante mais il faut fortement la nuancer “, déclare Dirk Van Evercooren, directeur général de l’Organisation pour l’énergie durable (Organisatie voor Duurzame Energie – ODE) en Flandre.

Assurer le financement

La production et la vente d’électricité renouvelable ne sont pas du tout conçues pour permettre des surprofits. “Je vends l’électricité que je produis, à l’avance, par le biais de contrats à long terme et à des prix prédéterminés”, explique Kris Truyman de KT Projects. Il gère deux petits parcs éoliens et vend l’énergie produite aux fournisseurs d’électricité.

De nombreux producteurs vendent leur énergie par le biais d’accords d’achat d’énergie, ou AAE. Il s’agit de contrats à long terme dans lesquels ils vendent leur énergie future à un ou quelques clients. Il peut s’agir de fournisseurs qui revendent alors cette énergie à leurs propres clients, ou de gros utilisateurs finaux tels que des entreprises.

C’est également le cas chez Eneco, producteur et fournisseur d’énergie renouvelable. “Nous sommes en train de développer un parc éolien sur le Maasvlakte. Il n’est pas encore opérationnel, mais l’électricité a déjà été vendue il y a un an et demi aux prix en vigueur à l’époque”, explique Ron Wit, directeur de la transition énergétique chez Eneco. “Avant d’investir dans un nouveau parc, nous vendons cette électricité à l’avance sur la base des prix pratiqués au cours de la période en question. La durée de ces contrats varie en fonction de la taille du projet. Pour les très grands projets, nous essayons d’obtenir 10 ans, mais souvent c’est moins.”

La principale raison de la vente d’électricité, par le biais d’AAE, longtemps à l’avance, est le financement. “Si je ne pouvais pas mettre à l’avance ces contrats sur la table, je ne pourrais pas obtenir le financement des banques pour développer mes éoliennes”, explique Kris Truyman.

“Pour obtenir le financement voulu, les producteurs d’énergies renouvelables doivent donner une certaine sécurité aux banques. C’est pourquoi la grande majorité d’entre eux vendent l’électricité à l’avance à des prix déterminés”, indique également Dirk Van Evercooren. “Les prix de l’électricité fournie aujourd’hui peuvent même avoir été fixés il y a des années. Peu de producteurs d’énergies renouvelables obtiennent les prix élevés du marché d’aujourd’hui pour leur électricité.”

Ces contrats à long terme sont une forme de gestion des risques, estiment les producteurs. “Vouloir en tirer le maximum en termes de prix serait imprudent”, déclare Kris Truyman. “C’est une bonne gestion du risque que de vendre à long terme. Vous n’avez pas vraiment d’avantages, mais pas de mauvaise surprise non plus”, le rejoint Ron Wit.

Les contrats à long terme offrent également une sécurité aux acheteurs de cette énergie renouvelable. “Avec les prix actuels, on pourrait presque dire que les acheteurs de ces contrats d’énergie sont les gagnants. Ils paient beaucoup moins que s’ils devaient acheter leur électricité sur le marché actuel”, explique Dirk Van Evercooren.

Des gouffres financiers au lieu de montagnes de profits

La vente de l’électricité qui sera produite plus tard est basée sur des estimations de ce que l’énergie solaire et éolienne produira pendant la durée d’un tel contrat, mais ces estimations ne correspondent évidemment pas à la quantité réelle d’électricité produite. Il existe alors deux options pour combler cet écart entre la production estimée et la production réelle. “Je vends cette puissance future avec une petite remise, une sorte de tarif forfaitaire. Cela compense les déséquilibres potentiels entre les estimations et la production réelle”, explique Kris Truyman.

D’autres producteurs prennent le risque de combler eux-mêmes cette différence. S’ils ont promis 10 mégawattheures via des contrats à long terme pour une certaine période, mais qu’ils ne peuvent en livrer que 9 en raison d’un ensoleillement décevant ou de manque de vent, ils achètent eux-mêmes le mégawattheure restant sur les marchés à court terme, appelés marchés spot. Avec les prix élevés d’aujourd’hui, les marges bénéficiaires s’en trouvent considérablement réduites.

Les sources d’énergie renouvelables, photovoltaïque ou éolienne, ne sont tout simplement pas prévisibles au mégawattheure près. “En 2021, par exemple, il y a eu 20 % de vent en moins que la moyenne. Cette année-ci ce n’est pas beaucoup mieux. Si vous prenez ce risque, vous devez alors acheter les mégawattheures manquants au prix d’aujourd’hui, avec une perte garantie en raison des prix beaucoup trop élevés”, déclare Dirk Van Eevercoren. “Il y a des producteurs qui voient maintenant des gouffres financiers s’ouvrir, plutôt que des montagnes de profits”, ajoute Kris Truyman.

Par exemple, Eneco connaît des pénuries dans certains parcs éoliens de notre pays. “Nous avons enregistré des pertes très importantes en raison d’une quantité de vent décevante, ce qui nous a obligés à acheter des quantités supplémentaires sur le marché spot à des prix élevés”, explique Ron Wit. “Pour l’ensemble de notre portefeuille en Belgique, nous avons dû acheter pour plus cher que nous n’avons pu vendre la surproduction, donc en net cela s’est soldé par une perte.”

A l’inverse, il existe en effet des producteurs qui produisent plus que ce qu’ils ont vendu à l’avance. Ils profitent alors des prix élevés.

“Vous avez trois types d’acteurs parmi les producteurs. Ceux qui ont vendu toute leur production, à des prix suffisamment rémunérateurs, laissent le risque de déséquilibre à leurs acheteurs et s’en satisfont. Vous avez ceux qui doivent combler eux-mêmes les déficits par le biais des marchés au comptant. Et puis il y a les quelques heureux élus qui peuvent vendre une partie de leur production excédentaire aux prix record actuels alors que leurs coûts de production restent très bas”, explique Kris Truyman.

“Pour chaque aubaine, il y a un revers. On ne peut pas généraliser pour l’ensemble du secteur des énergies renouvelables. Il faut considérer tous les joueurs et leurs situations individuelles séparément”, déclare Dirk Van Evercooren.

Pour une société énergétique intégrée comme Eneco, qui produit et fournit de l’électricité, l’histoire des bénéfices excédentaires n’est pas non plus tout noir ou tout blanc. “Nous ne sommes pas contre l’imposition des bénéfices excédentaires, mais encore faut-il qu’ils y en aient. Nous avons à la fois des pertes et des profits tout au long de la chaîne. Il faut additionner tout cela et considérer l’entreprise dans son ensemble”, explique Ron Wit. “Les bénéfices excédentaires se trouvent principalement chez les grands producteurs de gaz et de pétrole”.

Pour les parcs éoliens offshore, le tableau est mitigé en termes d’excédents de bénéfices, selon la CREG, le régulateur de l’énergie. Différents mécanismes de subvention s’y appliquent, de sorte que certaines exploitations ont une chance de réaliser des bénéfices exceptionnels grâce aux prix record actuels et d’autres non. Pour les premiers, le CREG recommande d’adapter le système de subventions de manière à ce que ces bénéfices soient partiellement écrémés.

Point de basculement pour le marché de l’électricité

Dirk Van Evercooren, de l’ODE, souligne encore que le secteur des énergies renouvelables n’est pas le problème. “Il s’agit d’une crise de l’énergie fossile et les énergies renouvelables en sont la solution, pas la cause. L’Agence internationale de l’énergie le dit aussi”.

Les marchés de l’électricité bénéficient également d’une offre importante d’énergies renouvelables. “Le fait qu’une grande partie de l’énergie renouvelable ait été vendue à l’avance à des prix plus bas contribue à maintenir les prix du marché un peu plus bas. Sinon, ces acheteurs de renouvelables à long terme contribueraient maintenant à faire monter les prix”, ajoute-t-il.

L’un des rares points positifs de ces prix record est qu’ils rendent les investissements dans les énergies renouvelables très attractifs. “Les prix actuels sont faramineux. Les spéculateurs doivent se retirer du marché afin que les prix se stabilisent mais restent à un niveau suffisamment élevé pour que les investissements dans les énergies renouvelables restent rentables”, déclare Dirk Van Evercooren. “Il ne serait pas juste que les prix du gaz retombent aux niveaux de 2019. À de tels niveaux, la concurrence entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables est faussée et le secteur des énergies renouvelables a besoin d’être soutenu afin de bénéficier d’une stabilité suffisante pour les investissements à long terme.”

“Il y a toutes les raisons de penser que les prix de l’électricité vont fortement baisser dans les années à venir si toutes ces fermes d’énergies renouvelables commencent à produire en masse. Puis vous obtiendrez même un prix si bas que l’investissement dans ces projets ne semblera plus aussi intéressant et que la sécurité d’investissement disparaitra”, explique Ron Wit d’Eneco.

Avec l’équilibre actuel entre les énergies fossiles et les renouvelables, les marchés de l’électricité sont à un point de basculement. “Nous sommes dans une période où les énergies renouvelables se développent en abondance, mais ne sont pas encore assez importantes pour couvrir la demande à tout moment”, déclare Dirk Van Evercooren. “Le solaire et l’éolien restent une source variable, donc vous aurez toujours besoin d’une petite proportion de sources non variables comme les centrales au gaz pour le moment, sachant qu’elles fonctionneront très peu dans quelques années. C’est pourquoi les centrales au gaz devraient également être subventionnées, car si on laisse faire le marché, tout le monde investira dans les énergies renouvelables.”

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