La Belgique bientôt plaque tournante du transport de CO2 et d’hydrogène?

Pascal De Buck, CEO de Fluxys: "Nous voulons jouer un rôle central dans le paysage belge de l’énergie en 2050.” © PHOTOS FRANKY VERDICKT
Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Si Fluxys doit sa croissance au transport de gaz naturel, le groupe ne veut pas disparaître avec ce combustible fossile. «Notre stratégie est placée sous le signe de la transition énergétique. Le transport de CO2 et d’hydrogène, nos nouveaux fers de lance, répondent aux besoins de l’industrie belge», explique son CEO Pascal De Buck.

“Nous ne voulons pas être devenir le goulot d’étranglement de la transition climatique. Tous nos investissements font le lien avec la transition énergétique. Nous voulons toujours jouer un rôle central dans le paysage belge de l’énergie en 2050”, affirme Pascal De Buck, CEO de Fluxys.

Le groupe, qui emploie 1.300 personnes, ne se contente pas d’exploiter l’infrastructure belge de gaz naturel: il détient également un portefeuille de participations dans des réseaux étrangers. Chiffre d’affaires, bénéficie et dividende sont en grande partie réglementés et donc assez prévisibles. L’entreprise apporte aussi une contribution à l’économie belge par le biais de ses services de transit, surtout vers notre grand voisin allemand (lire ci-dessous).

A court terme, la grande priorité reste la sécurité d’approvisionnement de l’économie belge. “Notre devise a toujours été de renforcer nos capacités d’entrée de l’énergie. Et nous poursuivons cette politique, comme le démontrent les investissements que nous avons consentis dans l’augmentation de la capacité du terminal GNL de Zeebrugge. Cette extension avait été décidée avant la guerre en Ukraine mais le conflit n’a fait que renforcer son intérêt stratégique”, poursuit Pascal De Buck. La prochaine étape est l’élargissement des activités dans l’optique de la transition énergétique.

“Aujourd’hui, nous ne transportons que du gaz naturel et du biogaz naturel, déclare Pascal De Buck. A court terme, nous allons y ajouter du gaz naturel synthétique, du CO2 et de l’hydrogène. Nous voulons proposer une capacité de transport de 30 millions de tonnes de CO2 et de 30 TWh d’hydrogène à l’horizon 2030.”

TRENDS-TENDANCES. Revenons à la crise énergétique de l’an dernier. L’hiver assez doux et les généreuses importations de GNL des Etats-Unis ont-ils permis d’éviter le pire?

PASCAL DE BUCK. Oui, et nous avons également la chance de nous trouver en amont de la chaîne logistique. Le gaz naturel qui arrive à Zeebrugge via le terminal GNL et les pipelines en provenance de Norvège, du Royaume-Uni et de France doit traverser la Belgique. De plus, nous ne disposons actuellement pas d’une capacité de transit suffisante pour réacheminer la totalité de ce gaz naturel vers l’Est. Nous investissons d’ailleurs dans notre capacité de transport vers l’Est en doublant la ligne entre Zeebrugge et Bruxelles.

“A longue échéance, un réseau de CO2 offshore est indispensable.”

Cette offre relativement abondante sur le marché belge a maintenu les prix du gaz naturel en Belgique à des niveaux nettement plus faibles qu’aux Pays-Bas et en Allemagne pendant la crise énergétique. Au plus fort de la crise, l’écart a même atteint 40% par mégawatt-heure. Aujourd’hui, il a disparu. Concernant les prochains hivers, il est difficile de se prononcer aujourd’hui. En Europe, la consommation de gaz naturel a baissé de 15%. Une partie de cette baisse est structurelle mais il est déjà acquis que l’abandon du charbon au profit du gaz dans la production d’électricité en Allemagne va accroître la demande.

La demande de GNL se redresse également en Chine et en Asie en général. Les problèmes dans les centrales nucléaires françaises restent un point d’interrogation. Plus la production nucléaire française est faible, plus la demande de gaz naturel est élevée. Du côté de l’offre, la situation restera tendue pendant plusieurs années. Il y a énormément de capacité de production supplémentaire dans le pipeline. Par exemple, le Qatar veut porter sa capacité GNL de 77 à 124 millions de tonnes par an. Mais ces volumes n’arriveront sur le marché mondial qu’à partir de 2026.

Comment s’articule la stratégie de Fluxys en matière de CO2 et d’hydrogène?

Nous voulons positionner la Belgique comme la plaque tournante du transport de CO2 et d’hydrogène en Europe occidentale. Nous voulons évacuer le CO2 produit dans les centres industriels en Belgique et en Allemagne vers des lieux de stockage aménagés dans des gisements de gaz vides dans la mer du Nord. De l’hydrogène et des variantes dérivées d’hydrogène seront transportés dans l’autre sens. Via Zeebrugge, Anvers et Gand, nous voulons apporter cet hydrogène dans les centres industriels en Belgique, puis le transporter vers la Ruhr en Allemagne. L’objectif est de disposer de possibilités de transport sur les grands axes et d’avoir accouplé notre réseau au réseau allemand d’ici 2030.

La récente acquisition d’une participation de 24% dans notre collègue allemand Open Grid Europe (OGE) revêt dès lors une importance stratégique tant pour Fluxys que pour l’industrie belge (le prix de l’opération n’a pas été communiqué mais est estimé à 1 milliard d’euros, Ndlr). OGE transporte du gaz naturel sur un réseau de 12.000 km au centre et dans le nord de l’Allemagne et investit lourdement dans le transport de CO2 et d’hydrogène. Ce qui s’inscrit totalement dans notre stratégie visant à développer un réseau transfrontalier. Pour la fin de la décennie, nous accouplerons le réseau d’hydrogène belge au réseau allemand. Nous étudions le même exercice pour le CO2.

L’industrie belge est-elle déjà demandeuse de capacités de transport de CO2 et d’hydrogène?

La demande de capacité d’évacuation de CO2 augmente rapidement dans l’industrie. La Belgique émet encore environ 100 millions de tonnes de CO2 par an, dont 16 millions de tonnes en provenance de processus industriels difficiles à décarboner. Cette industrie – pensez à la chimie, au ciment, à la chaux et au verre – doit réduire ses émissions en captant et en évacuant le carbone qu’elle produit. Nous allons développer notre infrastructure en fonction de l’emplacement de ces grands producteurs de CO2 (voir carte ci-dessous). Nos projets tiennent également compte des grands volumes de CO2 provenant des pays voisins. Nous étudions également les possibilités d’aider l’industrie qui ne peut pas être reliée à ce réseau. Une option consiste à évacuer ce carbone par navire ou par train. Mais ces solutions seront évidemment limitées en termes de volume.

© National

La prochaine étape est la construction d’un pipeline reliant Zeebrugge à des gisements gaziers épuisés en Norvège où le CO2 pourra être définitivement stocké…

Notre priorité reste le développement du réseau belge mais à plus longue échéance, un réseau de CO2 offshore est effectivement indispensable. Il n’y a aucun sens à évacuer le CO2 si on ne dispose d’aucune capacité de stockage. Les principales capacités de stockage seront plutôt disponibles d’ici la fin de la décennie. Ce réseau est surtout développé par des collègues étrangers mais nous n’excluons pas une participation minoritaire dans le projet. Pour justifier cet investissement, nous avons besoin de gros volumes de CO2 en provenance de notre industrie et de l’étranger.

Le captage et l’évacuation de CO2 se mettent en place, mais qu’en est-il de l’hydrogène?

La demande d’hydrogène progresse plus lentement mais une enquête auprès de l’industrie nous apprend que nous pouvons déjà attendre une demande substantielle dans la période 2025-2030. Il n’y a aucun sens à ce que Fluxys soit seul aux manettes. Nous avons besoin de partenaires dans l’industrie. Comme je l’ai déjà dit, nous allons doubler la ligne entre Zeebrugge et Bruxelles. Ce pipeline ne pourra pas uniquement transporter du gaz naturel, mais aussi de l’hydrogène. Le terminal GNL de Zeebrugge pourra également être utilisé comme terminal d’hydrogène. Dans le développement de ces réseaux, nous recherchons un maximum de synergies afin de minimiser les frais de transport. Plus nous parvenons à regrouper le transport de CO2 et d’hydrogène dans une seule infrastructure, plus nous pourrons opérer de manière efficace. Ces nouveaux réseaux seront toujours une combinaison de pipelines nouveaux et existants.

Quel budget représentent ces projets?

Nous prévoyons d’investir 2,8 milliards d’euros sur la période 2023-2032, parallèlement à l’acquisition de la participation dans OGE. Un quart de ces investissements iront au renforcement du réseau de gaz naturel, 30% à l’infrastructure de CO2 et 33% à l’infrastructure d’hydrogène. La numérisation ne cesse également de gagner en importance dans notre métier. Vu l’intégration et l’interchangeabilité croissantes des électrons et des molécules, les deux systèmes d’énergie doivent pouvoir dialoguer. Il sera possible de financer ces investissements avec nos cash-flows propres.

“Il y aurait une certaine logique dans une fusion entre Fluxys et Elia.”

Les investissements dans le renforcement du réseau de gaz naturel classique, comme l’extension du terminal de Zeebrugge, sont-ils rentables dans le contexte de la transition climatique?

Le délai d’amortissement de ces investissements a été raccourci afin d’en garantir la faisabilité financière. Moyennant quelques adaptations, le terminal de Zeebrugge pourra également recevoir de l’ammoniaque. Il est d’ailleurs toujours entièrement réservé dans le cadre de contrats à très long terme, jusque loin dans les années 2040. En tout cas, nous sommes prêts à convertir notre infrastructure en fonction de ce qu’exigera la transition énergétique.

Dans le nouveau système énergétique, électrons et molécules sont de plus en plus complémentaires. Une fusion de Fluxys et d’Elia, le gestionnaire du réseau haute tension, constitue-t-elle une prochaine étape logique?

(Il rit) On peut y voir une certaine logique, oui… Nous collaborons déjà et nos actionnaires sont en partie les mêmes. Nous sommes convaincus que le nouveau système énergétique devrait être vu comme un grand ensemble, contrairement au passé quand les approvisionnements en gaz naturel et en électricité vivaient plutôt chacun leur vie. Un exemple: l’Europe veut constituer une capacité de 300 gigawatts en mer du Nord d’ici 2050. C’est très amitieux. Mais allons-nous ramener cette énergie sur la terre ferme sous la forme d’électrons, ou en partie sous la forme de molécules? Car on pourrait également envisager de convertir en hydrogène une partie de l’excédent d’énergie éolienne offshore sur place. Nous sommes convaincus que ce sera une combinaison des deux, sans qu’on puisse encore déterminer la combinaison qui apportera le prix de revient le plus avantageux ou la plus grande sécurité d’approvisionnement. Des analyses prospectives devront le déterminer.

“Le transit de gaz naturel, un revenu d’appoint non négligeable”

L’an dernier, Fluxys Belgique a enregistré un chiffre d’affaires récurrent de 673 millions d’euros, à la base d’un bénéfice de 83 millions d’euros et d’un dividende brut proposé de 1,4 euro par action. Des résultats stables et assez prévisibles car étant la conséquence du cadre réglementaire. La forte hausse des prix du gaz naturel et l’augmentation des volumes traités n’ont pas eu d’impact significatif sur ces résultats réglementés.

Fluxys Belgique a également transporté beaucoup plus de gaz naturel vers les pays voisins l’an dernier. Surtout en Allemagne où la demande de capacité de transport a beaucoup augmenté. “A un certain moment, on nous a demandé de mettre de la capacité à disposition via un système d’enchères. Nos pays voisins ont ainsi payé leur capacité de transit au prix fort”, explique Pascal De Buck. Ces revenus ne sont pas destinés aux actionnaires de Fluxys mais parqués sur un compte distinct qui affiche actuellement un solde de 747 millions d’euros.

“Le régulateur décidera de leur affectation: investissements dans le réseau, baisse de tarifs de transport, etc., poursuit Pascal De Buck. Nous avons déjà baissé nos tarifs de 10%. En principe, c’est temporaire mais il est probable que cette baisse des tarifs soit maintenue au cours des années à venir. Avec cet argent, nous avons également payé une cotisation de solidarité de 300 millions d’euros à l’Etat.”

Comme le gaz naturel en provenance de Russie semble être un chapitre clos pour l’Europe, la demande allemande de gaz naturel provenant de l’Ouest, et donc de capacités de transit à partir de la Belgique, va rester importante. Pascal De Buck: “L’Allemagne construit une série de terminaux GNL mais ils seront plutôt complémentaires parce qu’ils ne pourront compenser qu’en partie l’effondrement des importations de gaz naturel russe. Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous jouons un rôle fondamental dans l’approvisionnement de l’Allemagne en gaz et cela ne changera pas au cours des années à venir. Cela reste donc une belle source de recettes complémentaires pour notre pays.”

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