Des éoliennes flottantes pour décupler l’offshore
Il y a quatre ans, Ocean Winds, une joint-venture associant l’énergéticien français Engie et le portugais EDP Renewables, activait la première éolienne flottante du projet Windfloat Atlantic. D’autres suivront. Quel bilan tirer de cette initiative?
Après une grosse demi-heure de navigation, nous arrivons devant les trois monstres de mer. La première chose qui impressionne est la taille des éoliennes (près de 190 m depuis la surface de l’eau jusqu’au bout de la plus haute pale), le silence relatif malgré le vent et surtout leur stabilité. Notre embarcation tangue au gré des vagues, mais les mâts et les plateformes des turbines ne vacillent pas d’un millimètre.
Nous sommes au Portugal, à Viana do Castelo, à une heure de route au nord de Porto, non loin de la frontière espagnole. Vues du large (à 18 km de la côte, pour être précis), les collines du rivage nous paraissent petites et comme drapées d’un voile gris. C’est là qu’en 2019, Ocean Winds (OW), joint-venture entre Engie et EDP Renewables (qui avait lancé le projet, à l’époque), a mis en service la première éolienne flottante.
C’était un 31 décembre et ce fut une véritable course contre la montre, se souvient le directeur d’OW pour l’Europe du sud, José Pinheiro: si l’opération n’était pas bouclée avant la fin de l’année, un financement européen de 30 millions d’euros, demandé en 2014 et avec lequel ce projet a officiellement commencé, tombait à l’eau. Les deux autres éoliennes flottantes ont rapidement suivi.
En 2020, les deux géants ont mis en commun leurs projets et actifs d’éolien offshore, flottant comme fixe (dont, entre autres, le parc belge SeaMade, d’une capacité près de 500 MW). C’est donc OW qui gère tout ce qui est éolien offshore pour ces deux groupes. En trois ans, la capacité des projets terminés, en construction ou ayant obtenu les droits de développement est passée de 4,5 à 16,6 GW.
Ile flottante
La particularité du projet Ocean Winds est que les éoliennes sont fixées sur une plateforme flottante. Ce qui est rare dans le secteur de l’éolien offshore, dominé par les turbines posées dans les fonds marins. Ici, au large des côtes portugaises, ces trois éoliennes sont fixées sur un coin d’une structure métallique en triangle développée par Principle Power (dans laquelle OW a pris une part de 40%, il y a quelques mois).
Les quelques chiffres qui suivent sont impressionnants: les trois colonnes de la plateforme sont hautes de 30 m et la distance entre chacune d’elles est de 56 m. Le tout pèse 2.500 tonnes. Les pales des éoliennes, de type Vestas 164, font 80 m de long, avec un diamètre de rotation de 164 m et une puissance de 8,3 MW chacune.
La structure flottante, comme décrit plus haut, est parfaitement stable. Et cela grâce à un dispositif de ballast intégré dans les colonnes. Connecté à la “tête” de la turbine, il pompe ou retire de l’eau entre les colonnes de manière que le mât reste tout le temps droit, vertical au vent. Les pieds de la structure sont également lestés. Ils sont chacun arrimés au fond marin avec une ancre (soit à 100 m sous la surface). Le dispositif résiste sans problème à de fortes tempêtes, comme le montrent les vidéos des caméras de surveillance. Néanmoins, lorsque le vent atteint plus de 90 km/h, l’éolienne est progressivement stoppée.
Une vitrine commerciale
Les trois éoliennes sont connectées à un même câble électrique. Celui-ci est enterré à une profondeur d’un mètre sous le fond de la mer. “Il y avait des parties rocheuses présentes sur la trajectoire du câble, nous explique José Pinheiro. Là, nous avons dû le recouvrir avec des rochers pour le protéger.” Il ajoute que la connexion entre les éoliennes et le câble avait été un exercice particulièrement délicat: contrairement aux flotteurs et aux éoliennes qui sont montées à quai (à Lisbonne et à Ferrol) puis transportés, cette connexion s’est effectuée en mer. Il nous montre ensuite un radar, situé sur la plateforme la plus éloignée des côtes. Celui-ci sert à détecter des mouvements d’oiseaux: si besoin, les éoliennes peuvent être ralenties ou arrêtées pour laisser passer un vol d’oiseaux migrateurs.
Ce projet pilote sert surtout de vitrine à Ocean Winds. Bien qu’il soit rentable et ait fourni 78 GWh en 2022, alimentant 25.000 foyers, il reste modeste en taille. Un deuxième, toujours composé de trois éoliennes (de 10 MW chacune cette fois) sera déployé l’année prochaine en Méditerranée, dans le golfe du Lion. Les constructions des plateformes flottantes devraient commencer vers le mois d’octobre, dans un port proche (la proximité des différentes opérations et les retombées locales sont d’ailleurs un élément capital du business model d’OW).
“Nous avons la technologie la plus mature, poursuit José Pinheiro. On entend souvent que l’éolien flottant n’est pas encore prêt… mais notre technologie l’est.” Ocean Winds se veut pionnière dans ce domaine et se base sur son expérience riche de 13 ans pour candidater à des appels d’offres. Et la sauce prend. Des projets gigantesques ont été signés: 1,3 GW en Corée du Sud (décision d’investissement finale attendue en 2025), 2,3 GW en Ecosse et encore 2 GW en Californie. Le premier pourrait avoir une taille de 130 éoliennes de 10 MW chacune, par exemple (pour donner une image de la taille, mais les spécifications techniques ne sont pas encore connues).
Aujourd’hui, OW est en passe d’enclencher la vitesse supérieure et de passer à la prochaine étape, qui est la phase commerciale et industrielle. Dans tout type de secteur, cette étape est éminemment importante. “La courbe d’industrialisation va faire baisser les prix, comme c’était le cas pour l’éolien terrestre et le solaire”, nous explique Sergio Val, directeur de la section européenne du renouvelable chez Engie. L’éolien flottant est aujourd’hui “deux à trois fois” plus cher que le fixe en termes de prix au MWh indiqué dans les appels d’offre. A terme, le secteur devrait aussi devenir plus compétitif, ce qui joue également sur le prix.
Les pistes du flottant
La capacité installée de l’éolien offshore flottant n’est que de 200 MW aujourd’hui, selon Sergio Val. Mais dans les années à venir, ce secteur devrait monter en puissance. “Pour 2050, la France veut installer 50 GW d’éolien offshore, explique Dominique Moniot, directeur d’Ocean Winds pour la France. Quarante GW au moins, selon le gouvernement, mais davantage serait possible, selon nos estimations. Plus de la moitié devrait être du flottant. Certaines estimations tablent même sur deux tiers.”
Nos voisins ont aujourd’hui un seul et unique parc offshore actif. Plusieurs autres sont en construction (dont deux chantiers d’éolien fixe d’OW de 500 MW chacun) mais le pays est loin derrière d’autres pays comme la Belgique, les Pays-Bas ou le Danemark. Pour rattraper son retard, Paris misera sur le flottant. Par exemple, un appel d’offres pour un parc de 270 MW au sud de la Bretagne sera lancé en automne.
C’est que la différence fondamentale entre le flottant et le fixe réside au niveau de la profondeur des fonds marins. Les fondations d’éoliennes peuvent être creusées dans le sol jusqu’à environ 50 m sous la surface. Pas au-delà. “Or, en Méditerranée, la profondeur augmente très vite”, notent les deux responsables d’Ocean Winds. Les hauts-fonds de la mer du Nord ne devraient donc pas voir du flottant de sitôt: la profondeur n’est pas suffisante, même à 50 km des côtes.
Impact moindre
Autre avantage: on peut installer les parcs offshore plus loin des côtes, ce qui limite les conflits d’usage avec des parties prenantes. Pour le projet dans le golfe du Lion, par exemple, OW ne s’est vu opposer aucun recours (grâce à énormément de concertations en amont, aussi). Un fait très rare. L’impact sur les fonds marins est également moindre puisqu’il n’y a pas de construction sous-marine. Le désavantage, comme indiqué plus haut, réside aujourd’hui principalement du côté du prix. Néanmoins, avec la transition énergétique qui va bon train, surtout depuis la guerre en Ukraine, l’éolien offshore flottant pourrait avoir son rôle à jouer. D’ici à 2050, la production du renouvelable devrait être multipliée par six.
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