Face à un système devenu incontrôlable, le gouvernement wallon promet de remettre à plat les primes à la rénovation. Un chantier colossal qui vise plus de clarté, de soutenabilité budgétaire, mais qui suscite aussi de vives critiques.
La promesse est ambitieuse que nécessaire : construire d’ici octobre 2026 un “régime global de soutien à la rénovation” en Wallonie. Un système repensé de fond en comble, capable de réconcilier impératifs budgétaires, objectifs climatiques européens et attentes des ménages. C’est en tout cas l’engagement pris ce jeudi par la ministre wallonne de l’Énergie et du Logement, Cécile Neven (MR), en présentant les fondations d’une réforme d’envergure.
Une réforme nécessaire après une dérive spectaculaire
Car le constat est sans appel : le régime actuel des primes à la rénovation, devenu pléthorique (plus de 120 dispositifs), a “dégénéré”, selon les mots mêmes du ministre-président Adrien Dolimont (MR). En 2023, les montants ont été augmentés de 40 % par rapport à 2019. Résultat : un trou budgétaire de 674 millions d’euros est attendu en 2025, dont 322 millions en arriérés de dossiers et 352 millions de dépassement.
Ce dérapage, Bruxelles l’a aussi connu avec son système Renolution, suspendu dans la douleur faute de moyens. En Wallonie, la ministre a voulu éviter un moratoire brutal, mais a néanmoins imposé un coup de frein net dès février, avec une réduction moyenne des primes de 60 % et une période transitoire jusqu’en septembre 2026. Un régime temporaire décrié par l’opposition et le secteur, mais présenté comme un nécessaire retour au réalisme.
Cinq piliers pour reconstruire une politique cohérente
Le nouveau régime, en cours d’élaboration avec le Haut Conseil Stratégique et le Centre d’Études en Habitat Durable, repose sur cinq axes structurants :
- Changer de paradigme : sortir de la logique exclusivement subventionnelle pour mobiliser d’autres leviers (prêts, fiscalité, obligations…).
- Structurer l’accompagnement : garantir à chaque ménage un accompagnement personnalisé, allant de l’information à la gestion complète du projet.
- Réviser les critères d’accès : recentrer les aides autour de trois critères principaux : capacité de financement, statut du ménage et nature du bâtiment.
- Simplifier en profondeur : un outil numérique d’éligibilité et une offre plus lisible devraient voir le jour.
- Stabiliser le cadre : planification à long terme et prévisibilité des mesures pour éviter les stop-and-go.
Six leviers pour éviter les effets d’aubaine
Concrètement, six outils sont proposés pour structurer ce nouveau paysage à partir d’octobre 2026 :
- Un Rénopack renforcé, articulant prêts et primes selon les revenus, avec priorité aux logements énergivores.
- Un réseau intégré d’opérateurs d’accompagnement, harmonisé sur tout le territoire.
- Des incitants fiscaux à l’étude, pour compléter les aides existantes.
- Une modification du certificat PEB, avec audits obligatoires avant et après travaux.
- L’introduction d’obligations de rénovation progressives, notamment lors de ventes ou locations.
- Une meilleure articulation avec les politiques régionales connexes (urbanisme, formation, salubrité…).
Le secteur dans la tourmente, les critiques fusent
Mais cette transition ne se fait pas sans douleur. Depuis février, les entreprises de rénovation voient leurs carnets de commandes se vider. Selon une enquête d’Embuild Wallonie, un quart des projets ont été annulés, plus d’un tiers revus à la baisse et un sur cinq reporté. « Ce n’est pas uniquement la baisse des aides qui freine, c’est surtout l’incertitude », martèle la fédération.
Même son de cloche chez l’opposition, où Ecolo fustige une réforme “brutale, déloyale et anti-sociale”. La députée Céline Tellier a pointé à de nombreuses reprises le court délai laissé aux ménages engagés sous l’ancien régime pour sécuriser leurs dossiers. « On pénalise les familles et on met une pression insensée sur les entreprises du bâtiment », affirmait-elle, au printemps.
Un virage risqué, mais assumé
Dans ce contexte tendu, la ministre Neven revendique une ligne de conduite claire : éviter les effets d’aubaine, calibrer les aides aux capacités réelles de la Région, et surtout mobiliser “les bons outils, au bon moment, pour les bons publics”, selon sa formule. Autrement dit : rationaliser sans abandonner.
Reste que l’atterrissage est délicat. Le secteur est fragilisé, les citoyens désorientés et la transition écologique en attente de clarté. Si les intentions affichées semblent cohérentes avec les recommandations européennes, leur mise en œuvre concrète — concertation, simplification, accompagnement, stabilité — sera décisive pour espérer renouer la confiance.