Vincent Verbeke (Engie) : “En 20 ans, sur le nucléaire, on a perdu notre chemise”
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Juste avant l’accord de gouvernement, Vincent Verbeke, le CEO d’Engie Belgium, a remis les points sur les i : Engie referme son chapitre nucléaire. La prolongation de Tihange 3 et Doel 4 n’est qu’une parenthèse. Un nouveau bras de fer se prépare avec l’Arizona, qui a désormais confirmé ses intentions. Et il s’annoncera encore plus difficile à remporter. Doel 1 doit s’interrombre, dès ce vendredi, à 21h45.
Large sourire et visiblement bien préparé, Vincent Verbeke et son équipe de communication nous accueillent dans la tour Engie, à deux pas de la gare du Nord, juste en face du parc Maximilien. Les quelques journalistes assis dans une étroite salle de réunion sont prêts à assaillir le CEO de questions sur le nucléaire, mais le Carolo, ingénieur de formation, tient d’abord à recadrer la stratégie de son groupe et à dresser ses priorités pour 2025.
Cette stratégie, cela ne surprendra personne, ne se dirige pas vers le nucléaire. Vincent Verbeke l’a répété encore une fois, si ce n’était pas assez clair. Engie est tourné vers le renouvelable pour offrir à ses clients “une énergie abordable et fiable”. L’avenir du groupe tourne autour “de l’électron et des molécules décarbonées”, et la maison mère y met les moyens : 4 milliards d’euros sont sur la table d’ici 2030, “dont 2 milliards sont déjà validés”, entame celui qui est le CEO d’Engie Belgium depuis un peu plus d’un an.
“La Belgique est un pays fondamental pour Engie, c’est d’ailleurs le deuxième pays du groupe worldwide. En Belgique, on est les leaders du marché sur le gaz et l’électricité. Tant pour le B to B que le B to C.”
Renouvelable, flex et clients
Les priorités pour 2025 sont connues. Engie participera à la première enchère pour l’île énergétique Princesse Elisabeth, “et nous comptons bien la remporter”, sourit Vincent Verbeke. À terme, la capacité éolienne offshore du groupe passera à 1GW. L’intention est également de doubler la production d’éolien terrestre (500 MW) et d’en faire quasiment autant pour la capacité des panneaux solaires (150 MW). Ainsi, Engie veut parvenir à passer d’une capacité installée de plus de 700 MW en énergies renouvelables à 2,5 GW d’ici 2030, l’équivalent de deux gros réacteurs nucléaires.
La deuxième priorité du groupe se situe au niveau de ce que le country manager appelle “la flexibilité”. On y retrouve, par exemple, le parc à batteries de Vilvorde (200 MW). Un autre va suivre à Kallo (100 MW), à proximité du port d’Anvers. Engie mise aussi sur la nouvelle centrale au gaz de Flémalle, Les Awirs (875 MW). “Il s’agira de l’une des centrales au gaz les plus efficaces au monde, s’avance le CEO, avec un rendement de plus de 63% et une très grande flexibilité.” Elle pourra alimenter plus d’un million de ménages en électricité, l’objectif étant d’aboutir “au quatrième trimestre 2025”. Enfin, cette année encore, les travaux d’agrandissement de la centrale de pompage-turbinage de Coo doivent également se terminer.
Le troisième pilier de la stratégie d’Engie repose sur ses clients. Car une grande partie de la flexibilité de consommation d’électricité se situe tant chez les entreprises que les ménages. Pour l’industrie, Engie veut, par exemple, installer des batteries sur site. Concernant les ménages, “le déploiement du compteur intelligent est essentiel pour permettre des offres flexibles au meilleur prix”. Un appel du pied aux gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) wallons. “Il faut absolument simplifier la manière dont sont échangées les données. C’est un élément important de la transition”, conclut Vincent Verbeke, sur ce chapitre.
Le nucléaire, une non-priorité encombrante
Au cours de notre entretien, le CEO d’Engie Belgium répétera au moins à dix reprises que le “nucléaire n’est plus dans les priorités du groupe”. Pour autant, Engie n’en a pas fini avec le nucléaire. “Actuellement, 2.000 personnes sont occupées dans nos centrales”, insiste le Carolo. Notamment pour mettre en œuvre la prolongation pour 10 ans de Tihange 3 et Doel 4. “Tout le monde en parle comme si c’était déjà fait, mais c’est un projet titanesque. Le plus grand chantier énergétique jamais fait en Belgique. On y est occupé jour et nuit.”
Dans l’ordre, Engie arrêtera les deux réacteurs aux dates initialement prévues, c’est-à-dire au 1er septembre 2025 pour Tihange 3 et au 1er octobre 2025 pour Doel 4. Ensuite, l’objectif reste de relancer les deux réacteurs au 1er novembre 2025, le temps de recharger les combustibles et de réaliser de petits travaux. Le gros du chantier se déroulera durant les étés 2026, 2027 et 2028 où les deux réacteurs seront mis à l’arrêt.
Et pour le reste ? Tout se déroulera comme prévu. Engie “poursuivra le décommissionnement de Doel 3 et Tihange 2” et “mettra un terme définitif à Doel 1 et 2 et Tihange 1”, respectivement le 14 évrier 2025, le 1er décembre 2025 et le 1er octobre 2025.
4 + 4
Évidemment, l’Arizona ne l’entend pas de cette oreille. Et on sait désormais vers où le prochain gouvernement fédéral veut aller. “C’est la stratégie 4 + 4”, explique Mathieu Bihet (MR), le tout nouveau ministre de l’Énergie. L’exécutif vise d’abord la prolongation de 4 GW de nucléaire dans le mix énergétique. Cela concerne les deux plus jeunes réacteurs, Doel 4 et Tihange 3, qui seraient prolongés de 10 années supplémentaires, et les trois plus vieux réacteurs nucléaires. Le problème, c’est que Doel 1 doit s’arrêter ce vendredi. L’exécutif n’abandonne pas l’idée de le prolonger, tout comme Doel 2, mais ce sera difficile.
Par contre, il y a un peu plus de marge de manœuvre concernant Tihange 1, car ce réacteur a l’avantage d’être partagé entre Engie et EDF, dont la stratégie est résolument pronucléaire. Le groupe français est entré dans le capital en 2019 avec une participation de 50% sur ce réacteur.L’Arizona vise ensuite 4 GW de nouvelles capacités nucléaires. Rien n’est encore précisé à ce stade, mais l’exécutif ne fait pas une croix sur un nouvel EPR et des réacteurs de plus petites tailles (SMR), même s’ils n’ont pas encore fait leurs preuves. Une enveloppe de 300 millions d’euros est d’ores et déjà prévue pour développer cette technologie en 2027, 2028 et 2029.
Interrogé sur les intentions du gouvernement concernant les plus jeunes réacteurs, Vincent Verbeke botte en touche. “Vous l’avez tous vu : cela a pris énormément de temps pour trouver un accord équilibré sur la prolongation de Doel 4 et Tihange 3. Mais le coût effectif n’est toujours pas connu. Il ne sera fixé qu’à la fin des travaux. On parle d’un montant compris entre 1,6 et 2 milliards d’euros pour les deux réacteurs.”
“Des travaux colossaux”
Quant aux plus vieux réacteurs, “c’est encore tout autre chose. Ce sont des dames qui ont 50 ans. Elles ne sont pas aux normes et ne peuvent pas continuer à tourner. Ce sont des travaux colossaux. Si on parle de 2 milliards pour les plus jeunes réacteurs, il faudra beaucoup plus d’argent pour Doel 1, Doel 2 et Tihange 1. À un certain moment, il faut se demander si c’est raisonnable sur le plan économique. Contrairement à Doel 4 et Tihange 3, il n’y a pas de continuité d’opération. Ils doivent s’arrêter. Les relancer prendrait au moins cinq ans. Il faut imaginer ce que cela peut représenter comme coût.”
Mais on insiste. Pas même pour Tihange 1 ? “L’encre n’est pas encore sèche pour Tihange 3 et Doel 4 que vous me parlez de nouvelles prolongations. Ces projets sont impensables”, s’emporte le CEO d’Engie Belgium.
Et céder les réacteurs nucléaires à EDF ? “Mais de quoi parle-t-on ? Ce n’est pas sérieux…” Abandonner les normes post-Fukushima, qui ne sont pas en application dans un certain nombre de pays nucléaires ? “Posez la question à l’Agence fédérale de contrôle nucléaire. Ce n’est pas à nous de répondre.”
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L’encre n’est pas encore sèche pour Tihange 3 et Doel 4 que vous me parlez de nouvelles prolongations. Ces projets sont impensables.” – Vincent Verbeke, CEO d’Engie Belgium
Le bras de fer
Jeu, set et match ? Pas si vite. Vincent Verbeke assure que le groupe a toujours pris ses responsabilités, mais recadre le débat. “Il ne faut pas inverser les rôles : en Belgique, de 2003 à 2021, on nous a répété que c’en était fini du nucléaire. Ensuite, on nous a sollicités à minuit moins une et nous avons répondu présent. Nous allons exécuter l’accord. Nous avons toujours été porteurs de solutions. Si le gouvernement veut nous poser d’autres questions, nous y répondrons. Nous n’avons jamais fermé la porte aux questions. Mais je le répète, encore une fois, pour que tout le monde le comprenne bien : le nucléaire ne fait plus partie de nos priorités.”
Entre les lignes, si le gouvernement veut parvenir à ses fins, on comprend qu’il devra se montrer très convaincant. Une logique de négociation s’enclenchera et Engie sera, à nouveau, en position de force. On ne peut pas le reprocher à l’énergéticien, qui a toujours fait preuve de constance dans ce dossier, au contraire de la Belgique. Mathieu Bihet (MR) le reconnaît lui-même : la stratégie de l’entreprise n’est pas une surprise et peut difficilement être contestée.
Taxe nucléaire?
C’est pourquoi la coalition fédérale doit préparer ses armes. Dans la dernière version de la super-note de Bart De Wever, il était prévu de réintroduire la taxe nucléaire. Il s’agit d’une taxe sur les bénéfices, comme on l’a connu par le passé. Cette taxe n’a pas été reprise dans l’accord de gouvernement, mais il pourrait s’agir d’un moyen de pression pour l’Arizona.
C’est toutefois un jeu dangereux pour l’État belge. Rappelons que le Conseil d’État, dans un avis du 9 décembre, a mis en avant le risque d’indemnisations pour Engie en cas de changement de règles du jeu. Des règles fixées au moment des négociations de la prolongation de Tihange 3 et Doel 4. Il n’était pas question d’aller plus loin. Or, le gouvernement fédéral entend abroger la loi de 2003 pour empêcher l’interruption des précédents réacteurs et pour permettre la construction de nouvelles capacités. Le temps presse, Mathieu Bihet en est bien conscient. Le texte de loi qu’il a déposé au Parlement, en septembre dernier, “pourrait aboutir très prochainement”, tente-t-il de se persuader.
Le CEO d’Engie Belgium voit beaucoup plus d’opportunités dans le renouvelable et il n’est pas le seul.
“On a perdu notre chemise”
Quant à ceux qui ne comprennent pas le choix d’Engie d’abandonner le nucléaire, Vincent Verbeke a une réponse tranchée : “Pour le privé, le risque coûts/bénéfices n’est pas tenable. Quand on regarde l’équilibre économique de notre activité nucléaire sur 20 ans, c’est négatif, on a perdu notre chemise.” Ah bon ? “Dans l’opinion publique, il y a une croyance selon laquelle le nucléaire est bon marché, c’est faux. Personnellement, je ne suis pas contre le nucléaire, c’est une très bonne technologie. Mais cela coûte très cher.”
Le CEO d’Engie Belgium voit beaucoup plus d’opportunités dans le renouvelable et il n’est pas le seul. Il est vrai qu’au niveau européen, en 2024, 47% de l’électricité produite provenait de sources renouvelables, pointait récemment un rapport d’Ember. “En 2050, on sera à 85%. Il faut donc accélérer le renouvelable et la flexibilité. On est à 500 GW d’éolien et solaire installés. Fin de cette année, on sera à 600 GW. Tout le monde n’est pas fou autour de la table ! Pourquoi tout le monde le fait, et en particulier Engie ? Parce que c’est le moyen le moins cher pour aller vers ce système décarboné de demain. Les États-Unis, la Chine et l’Inde avancent à une vitesse de dingue sur le renouvelable. Eux non plus ne sont pas fous.”
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