L’avènement du prochain marché carbone ETS 2, au 1er janvier 2027, commence à secouer le monde politique belge. Du côté libéral, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, en fait l’une de ses priorités politiques et se dit prêt à bloquer la mesure au niveau européen. Au niveau wallon, la ministre de l’Énergie, Cécile Neven, du même parti, se montre plus pragmatique, mais attend des précisions de la Commission.
Nous l’écrivions hier. Le Bureau du plan a fait ses propres calculs sur l’impact de l’ETS 2, le prochain marché carbone qui touchera les secteurs du chauffage des bâtiments et les transports routiers. Le coût supplémentaire estimé pour un ménage belge est de 255 à 415 euros par an sur les facteurs d’énergie.
L’ETS 2 imposera aux fournisseurs de carburants et combustibles fossiles (mazout, gaz naturel, essence, diesel, LPG, etc.) d’acheter des quotas d’émission pour chaque tonne de CO2 générée. Ce coût sera ensuite répercuté dans les prix à la pompe ou sur les factures de chauffage, ce qui équivaut à une taxe carbone.
C’est une évaluation plus optimiste que celle réalisée par le consultant Trinomics qui accompagne la Belgique dans ce dossier. Ce dernier donnait une fourchette comprise entre 365 à 655 euros par an, à partir de 2027, date de l’entrée en vigueur du nouveau dispositif.
Des libéraux prêts s’opposer
Quelle que soit l’estimation, c’est un coût supplémentaire qui commence sérieusement à inquiéter le monde politique. Lors d’une réunion informelle avec la presse, mardi, Georges-Louis Bouchez a fixé la taxe carbone tout en haut de son agenda politique. Selon lui, cette augmentation pourrait annihiler les gains potentiels de la réforme fiscale que prépare le niveau fédéral. Un coup fatal pour les libéraux, estime-t-il.
Vendredi dernier, dans Het Nieuwsblad, le président du MR a déclaré qu’il tentait de former une minorité de blocage au niveau européen autour de l’ETS 2. « Nous sommes déjà en train de rassembler 17 pays autour de nous pour empêcher cela. J’examine même quelles seraient les conséquences si nous ne mettions pas en œuvre cette règle climatique. Les politiciens doivent aussi être des gamechangers. »
Le sujet en débat au Parlement wallon
Le marché et la taxe carbone étaient au centre des discussions, mardi, au Parlement wallon. La députée Céline Tellier (Ecolo) s’interrogeait sur cette sortie du président libéral, alors même que le gouvernement est en train de transposer la directive européenne.
“Cette transposition, entamée lors de la précédente législature, ne signifie pas un assentiment aveugle à ce dispositif“, a rétorqué la ministre wallonne de l’Énergie, Cécile Neven, se disant “totalement consciente des enjeux et impacts” soulevés par l’opposition.
Sans remettre en question l’ensemble du système, comme son président, la libérale attend toutefois que la Commission apporte “des garanties, des aménagements et des améliorations”, sans quoi il faudra “questionner la pertinence du lancement au 1er janvier 2027 [de l’ETS 2] dans les modalités prévues actuellement. La Commission doit clairement être mise face à ses responsabilités dans ce dossier.”
L’incertitude plane
Si ce sujet fait autant débat au sud du pays, c’est parce que les ménages wallons seront particulièrement touchés. Comme l’ont montré les deux études, les ménages wallons utilisent en moyenne plus de mazout, font des trajets plus longs, vivent dans des maisons plus grandes et moins bien isolées et sont globalement plus précaires, le pourcentage de leurs revenus alloués aux carburants pourrait donc être plus élevé.
Des compensations sont prévues par l’Union européenne, notamment au travers du Fonds social pour le climat et des recettes générées par ce marché carbone. Sur la période 2026-2032, la Belgique recevra environ 1,66 milliard d’euros, auxquels s’ajouteront des montants nationaux pour atteindre 2,2 milliards d’euros. Mais répartis sur sept ans et entre toutes les entités du pays, ces moyens seront probablement insuffisants pour tout compenser.
La Wallonie mène la charge
Le problème est qu’il plane une incertitude autour de la tonne de CO2. Le Bureau du Plan se base sur 60 euros la tonne pour établir les coûts supplémentaires sur les factures d’énergie, mais d’autres évaluations misent sur 100 euros la tonne, voire le double.
La ministre dit avoir interpellé la Commission par courrier “pour qu’elle puisse garantir qu’elle mettra tout en place pour garder le dispositif sous contrôle. Ce courrier demandait à la Commission de donner des garanties sur un encadrement strict des prix dans le cadre de l’ETS 2 et la possibilité d’activer des mécanismes correcteurs, si la situation l’exigeait.”
Cette incertitude pose un problème puisqu’elle limite la capacité d’actions des États membres et par extension des entités fédérées et des consommateurs, qui ne savent pas “anticiper les impacts du prix du carbone et dès lors du prix des énergies fossiles lors de l’entrée en application de l’ETS 2”, ajoute Cécile Neven.
Ce courrier a apparemment suscité un écho important au niveau européen et a mené, suite à l’initiative de la Tchéquie, à la rédaction d’un non-paper (un document informel dans le jargon européen) “basé sur les considérations et propositions du courrier“, avance la ministre. Parmi elles, le lancement des enchères anticipées en 2026 afin de réduire l’incertitude des prix pour 2027. Finalement, 18 pays européens se sont joints à l’initiative.
La France pourrait s’y ajouter. Il se sit même en coulisses que nos voisins pourraient rejeter tout le dispositif ETS 2 et pas seulement ses modalités. Comme l’exprime aussi Georges-Louis Bouchez.
Un Plan Social Climat critiqué
En attendant, le Plan Social Climat, présenté fin juin par le gouvernement wallon, comme l’exigeait la Commission européenne, a été fortement critiqué par l’opposition, qui le juge “complètement insuffisant” pour compenser les hausses de prix attendues.
“Le gouvernement wallon s’est contenté d’aligner cinq pauvres bullets points sans plus d’explication“, a notamment taclé l’ancienne ministre de l’Environnement, Céline Tellier, par ailleurs auteure d’une proposition de résolution en faveur de l’ETS 2. La députée y voit “une opportunité pour la transition climatique”, pour autant qu’elle s’accompagne d’un soutien aux ménages les plus précaires.
Ces cinq priorités, censées venir en aide aux ménages et aux micro-entreprises “sont en cours de finalisation“, a précisé Cécile Neven, qui attend toutefois que la part wallonne du Fonds Climat soit totalement arrêtée. La ministre a par ailleurs rappelé que la taxe carbone ne toucherait pas que les ménages les plus précaires, mais tout le monde. Autrement dit : des compensations seraient également prévues pour la classe moyenne.