L’État belge va-t-il devoir porter le poids du dérapage de l’île énergétique ?
L’île énergétique Princesse Elisabeth continue d’animer les débats à la Chambre. Derrière le dérapage budgétaire de 2,2 à 7-8 milliards d’euros, se pose la question de qui doit supporter ce coût ? Elia, le gestionnaire de réseau à haute tension, a insinué qu’il ne devait pas forcément reposer uniquement sur les factures. Sur l’État belge, alors ? Cela porterait le coût sur tous les Belges et plus seulement sur les consommateurs. “C’est une question de choix politique”, a lancé Elia en commission.
Hier soir, à la veille de la commission parlementaire, Elia a décidé de reporter la signature des contrats dits DC (courant continu) avec ses fournisseurs. C’est cette partie de l’île énergétique qui a vu les estimations de coût exploser. Le gestionnaire de réseau à haute tension se montre soudainement plus prudent et attendra une nouvelle évaluation de la Creg. Il devra également présenter des alternatives aux députés. Probablement en janvier.
Un juste rappel de l’utilité de la presse et du travail parlementaire : si rien n’était sorti sur le dérapage budgétaire de l’île énergétique, les contrats auraient sans doute été signés en l’état, faisant grimper sérieusement les factures d’électricité.
Un coût potentiellement important
Un coût qu’Elia, le régulateur des prix de l’énergie, est venu à nouveau préciser en commission. Il maintient ses chiffres : si l’île devait coûter 7 milliards d’euros, cela reviendrait à 27 euros plus cher par an et par ménage à l’horizon 2030. Une somme relativement modeste, mais qui vient s’ajouter au doublement des tarifs de transport d’électricité qui interviendra début 2025.
Pour les gros consommateurs d’électricité, les montants peuvent prendre des proportions beaucoup plus importantes. Pour eux, les tarifs devraient augmenter en moyenne de 3,46 euros par MWh, alors qu’ils s’élèvent aujourd’hui à 4,46 euros par MWh. Pour une entreprise qui consomme 500.000 MWh par an, le coût supplémentaire serait par de 1,7 million d’euros par an. Pour les PME, c’est beaucoup plus flou.
Qui devra supporter le coût ?
Désormais, on pourra choisir notre avenir énergétique en connaissance de cause. Même si le timing est serré, estiment les députés. Le mieux aurait été d’agir tout de suite, dès mai dernier, quand la ministre a eu vent du dérapage de 7 à 8 milliards d’euros. Il reste maintenant à espérer que les fournisseurs acceptent de reporter les contrats qui devaient normalement être signés pour la fin de ce mois de novembre.
En tout cas, Elia maintient que son projet d’île énergétique, capable de rapatrier à terme 13 TWh d’électricité de la mer du Nord, reste compétitif par rapport aux alternatives. Le gestionnaire a par ailleurs rappelé que l’île énergétique ne devait pas nécessairement se faire au détriment d’autres formes d’énergie. Du nucléaire, pour prendre un exemple dans l’actualité. “Nous sommes face à un défi majeur pour les prochaines décennies, a rappelé Frédéric Dunon, CEO d’Elia, en tentant d’élever le débat. Il ne s’agit plus d’une simple variable d’ajustement pour combler un pic d’énergie, mais des besoins globaux en électricité “.
Ces besoins en électricité vont être gigantesques. “Cela va de toute façon coûter très cher, prévient le CEO. La question, c’est : est-ce que la facture est le seul et bon moyen pour payer la distribution et le transport d’électricité ? La réponse n’est pas facile. C’est un choix politique. Mon impression, c’est que si on ne résout pas cette question, la transition énergétique va devenir de plus en plus compliquée.” Notamment au niveau de son acceptation par les consommateurs.
Un enjeu qui dépasse la Belgique
De son côté, la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten (Groen), rappelle qu’elle “n’a jamais signé de chèque en blanc à Elia”. Et qu’une analyse coûts/bénéfices reste nécessaire pour voir si on maintient ou non la partie DC de l’île énergétique. Une analyse que la Creg attendait depuis des années, soit dit en passant, pour pouvoir exercer son contrôle. Il n’est donc jamais trop tard pour se réveiller dans ce dossier.
La ministre de l’Énergie précise encore que la Belgique n’avance pas seule sur ce marché. C’est tout un continent qui a décidé de se tourner vers l’électricité. Et le marché DC est particulièrement tendu, car il est dominé par seulement trois acteurs : Siemens, Hitachi et GE. À cet égard, Alexander De Croo a envoyé un courrier à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pour vérifier s’ils ne profitaient pas de leur position dominante.
Pour Tinne Van Der Straeten, le prix de l’électricité et du transport d’électricité est un enjeu qui dépasse largement la Belgique. “On ne pourra pas résoudre tout cela seul. C’est illusoire. Le débat n’en qu’à ses balbutiements et reviendra pendant des années : comment arriver à des prix les plus accessibles possibles ?”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici