Le prix du diesel va-t-il exploser à partir du 5 février ?
À partir du 5 février, il y aura un embargo européen sur les produits pétroliers raffinés russes. Est-ce que cela va faire exploser les prix à la pompe ? Réponse en 5 points.
Qu’est-ce que cet embargo européen ?
En juin, dans le cadre du sixième train de sanctions, l’UE a décidé d’un embargo progressif sur ses importations de pétrole et de produits pétroliers, à quelques exceptions près. L’embargo sera total à partir du 6 février. Concrètement l’Union européenne a décidé d’interdire les importations de diesel et d’autres produits pétroliers raffinés russes à partir du 5 février 2023. L’Europe avait déjà interdit les importations de pétrole russe le 5 décembre.
L’idée derrière ces mesures est d’assécher la manne financière que représentent les produits pétroliers pour la Russie. Selon Oleg Ustenko, le conseiller économique du président ukrainien Volodymyr Zelensky, les Russes recevaient toujours près de 700 millions (d’euros) par jour de leurs énergies fossiles” en novembre. Pour rappel, la Russie est le deuxième plus gros exportateur au monde de pétrole et était, en 2021, le deuxième fournisseur d’or noir aux pays de l’UE.
L’Europe est-elle encore fort dépendante du diesel russe ?
Jusqu’il y a peu, elle l’était ; les raffineries russes produisant beaucoup de diesel pour le marché européen et particulièrement pour la Pologne et l’Allemagne. On estime qu’environ 45 % des importations totales de diesel pour l’Europe provenaient de Russie.
L’embargo ayant été annoncé depuis l’été, les compagnies pétrolières ont néanmoins pris leurs précautions et ont fait des stocks. Malgré une légère hausse en janvier, la part du marché du diesel russe a baissé de 25%. Le marché a aussi eu le temps de trouvé des alternatives telles que les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Inde, les États-Unis et même la Chine (même si certains craignent qu’il s’agisse de diesel russe). Le plus grand gagnant de cet embargo devrait cependant être le Moyen-Orient.
Cet embargo aura-t-il un effet sur le prix à la pompe?
Même si c’est difficile à prévoir, probablement que non. Ou il n’aura qu’un effet modéré. Pour preuve, la fédération des combustibles Energia note que même après l’embargo sur le brut russe, qui a pris effet en décembre, l’offre et la demande se sont rapidement rééquilibrées et n’a eu qu’un impact limité sur les prix.
Selon Olivier Neirynck, porte-parole de la Brafco, la fédération des distributeurs de carburants et de combustible, interviewé par Sud Presse, “actuellement, nous sommes sous la barre de 10 % pour le Diesel russe. La logistique va continuer à s’adapter dans les prochaines semaines. Les stocks sont pleins et les dépôts nous permettent de voir venir jusqu’à la fin février”.
Par ailleurs, les raffineries implantées sur le sol belge ont été adaptées pour pouvoir traiter du brut en provenance d’autres pays que la Russie et produisent plus de diesel que ce qui est consommé dans notre pays. Et avec le port d’Anvers qui est une plaque tournante du commerce international, la Belgique n’aura aucun mal à diversifier son approvisionnement.
Enfin, la demande sera aussi moins importante dans les prochains mois, les voitures diesel étant moins présentes qu’il y a dix ans et les caves à mazout (c’est issu du même produit de base) devant être moins remplies au printemps et en été. Enfin les prix du diesel sont aujourd’hui plus bas qu’ils ne l’étaient pendant la majeure partie de l’année 2022.
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Pour de nombreux observateurs, l’interdiction entraînera donc surtout une modification des flux commerciaux. L’Asie se fournissant en Russie et le Moyen-Orient fournissant l’Europe. Si les coûts de transport augmentent par la force des choses, le consommateur ne devra que très peu en sentir les effets avec un surcoût estimé à 1 ou 2 cent par litre. Plus que l’embargo, ce qui risque d’avoir un réel impact sur le prix du diesel, c’est si le gouvernement décide de ne pas prolonger la baisse des accises après le 31 mars.
Est-ce que les embargos marchent ?
La réponse est clairement oui. Au point que l’UE envisage d’instaurer un plafonnement des prix, comme il existe déjà pour le brut (lire plus bas), pour le diesel et d’autres produits finis exportés de Russie vers des pays tiers. Cela empêcherait la Russie de continuer à gagner de l’argent grâce au raffinage du diesel.
Lauri Myllyvirta, analyste du Centre for Research on Energy and Clean Air, soulignent que la Russie dépend fortement du secteur du transport naval européen pour faire transiter ses énergies fossiles. “Au moins 50% des exportations se font à bord de bateaux possédés par des sociétés de l’Union européennes ou sont assurés au Royaume-Uni ou en Europe”, si bien que les Européens disposent d’un éventuel moyen de pression “énorme”, a-t-il remarqué. Le pétrole acheminé par voie maritime représente environ 90% du pétrole russe importé en Europe.
Un petit bémol toutefois. Si la Russie engrange moins d’argent avec ses exportations d’énergies fossiles, la Turquie devient une route détournée pour exporter du pétrole russe vers l’UE. Il s’agit d’une “faille” dans les sanctions, met en garde le Centre for Research on Energy and Clean Air (CREA), basé en Finlande. La Turquie a en effet augmenté ses importations de brut de Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. Et les exportations de produits pétroliers de Turquie vers les ports européens et américains ont bondi de 85% en septembre-octobre comparé à la période juillet-août, indique le rapport du CREA. “Alors que l’UE va bannir les importations de brut de Russie, cette faille pourrait devenir importante”, souligne encore le CREA.
Quel sera l’impact de la décision de Moscou d’interdire toute exportation à partir du 1er février pour les pays plafonnant leur prix ?
La Russie va, elle, interdire à partir du 1er février la vente de son pétrole aux pays étrangers qui utilisent le plafonnement du prix de l’or noir russe, fixé début décembre à 60 dollars par baril par l’Union européenne, le G7 et l’Australie. Dans les faits, ce plafonnement européen a pour conséquence que seul le pétrole vendu par la Russie à un prix égal ou inférieur à 60 dollars peut continuer à être livré. Au-delà de ce plafond, il est interdit pour les entreprises de fournir les services permettant son transport maritime (fret, assurance, etc.).
En réaction, dans un décret signé par le président russe Vladimir Poutine, à partir du 1er février “la livraison de pétrole et de produits pétroliers russes à des personnes morales étrangères et autres particuliers est interdite” si ceux-ci utilisent le prix plafond. Le décret précise que cette mesure est prévue pour une durée de cinq mois, “jusqu’au 1er juillet 2023”. Seule “une décision spéciale” de Vladimir Poutine lui-même pourra permettre la livraison de pétrole russe à un ou des pays qui ont mis en place le prix plafond est-il indiqué toujours dans ce même décret.
Cette décision ne devrait cependant pas avoir de “signification pratique” selon le gouvernement allemand, puisque le pays et l’Europe se préparent déjà depuis le début de l’été à remplacer le pétrole russe. Selon les dirigeants européens, 90% des exportations de pétrole russe vers l’UE avaient déjà arrêté d’ici à la fin de cette année pour protester contre l’offensive russe en Ukraine.
L’annonce de cette décision russe fin décembre n’aura pas été une surprise pour le marché. Selon Matt Smith, analyste du marché des matières premières chez Kpler, “on pouvait s’y attendre, vu tout ce que les Russes ont déjà dit au cours des derniers mois et ce qu’ils ont fait avec le gaz naturel, en refusant de vendre à la Bulgarie et à la Pologne car ces pays ne payaient pas en roubles”, a ajouté l’analyste. Selon lui, l’application de cette interdiction aura donc un impact limité, car “les gros acheteurs de brut russe comme l’Inde ou la Chine n’appliquent pas le prix plafond” et l’achètent en dessous des 60 dollars le baril. “Cela va resserrer un peu l’offre, mais pas tant que cela”, a encore commenté Matt Smith.
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