Bientôt un contrechoc pétrolier comme en 1986 ?

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Si la baisse du pouvoir d’achat de cette dernière année a pu faire penser aux noires années 1970, notre pays pourrait bientôt connaître les bienfaits du contrechoc pétrolier qui a suivi. Soit une redite des années fastes de la deuxième moitié des années 1980.

Le contrechoc pétrolier de 1986 pourrait faire son grand retour dans les prochains mois. Celui-là même qui a ressuscité le capitalisme et achevé le communisme selon Branko Milanovic, spécialiste des questions relatives aux inégalités, notamment de revenus, dans une analyse pour Atlantico. Il va surtout être le symbole des années prospères qui vont clôturer les années 1980.

Qu’est-ce le contrechoc pétrolier ?

À partir de décembre 1985, la récession économique mondiale avait entraîné une chute des cours poussant l’Arabie Saoudite et le Koweït a déclenché dès l’automne 1986 une guerre des prix sans merci. Ils vont produire à plein régime et inondèrent le monde de leur pétrole brut. Or l’Europe s’est, à ce moment-là, déjà massivement détournée du pétrole pour se tourner vers l’énergie nucléaire et le gaz naturel. La conséquence de la politique erratique des pays de l’OPEP et les changements directionnels en matière d’énergie des pays d’Europe ne se sont pas fait attendre. Après 13 années de prix élevés, on assiste à un effondrement des prix. Le baril passe ainsi de 25 dollars à la fin 1985 à moins de 10 dollars en juillet 1986. Ce qui va permettre, pour simplifier à l’extrême, qu’une grosse partie de l’argent qui servait jusque-là pour se déplacer ou se chauffer va pouvoir être utilisé ailleurs. Et cela va donner un réel coup de fouet à l’économie. Pour l’Occident et la Belgique, l’année 1986 signe ainsi le retour d’une certaine prospérité après une décennie qui a vu une flambée de l’inflation et un appauvrissement collectif.

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Ce contrechoc de 1986 fut d’ailleurs aussi un succès pour les Saoudiens. Grâce au rebond de l’économie mondiale, et du prix divisé par deux, la demande en pétrole va repartir. Leurs revenus pétroliers vont ainsi fortement progresser les deux années suivantes. Une bénédiction pour l’Arabie Saoudite et ses capacités de production inutilisées.

Une année 2022 comme une décennie de crise

Si l’année dernière a pu ressembler à la crise des années 1970 et du début des années 1980, le contrechoc pétrolier risque lui de ne pas se faire attendre pendant 13 ans.

Depuis la fin de l’année dernière, le prix du gaz est en chute libre. Il est aujourd’hui quatre fois moins cher qu’il a trois mois. De quoi offrir une grande bouffée d’air au pouvoir d’achat puisque les salaires ont été indexés de 10%, mais les dépenses du Belge ne sont plus forcément de 10% supérieur. Ce qui fait dire à Stijn Decock, journaliste au Standaard que nous vivons un contrechoc pétrolier.

Les dernières prévisions de la Banque Nationale semblent en effet anticiper une augmentation du pouvoir d’achat. Notre économie aura au final terminé l’année sur une croissance de 3,1% et devrait, selon les prévisions de la Banque Nationale (BNB) présentées voici quelques jours par le gouverneur Pierre Wunsch, éviter la récession cette année. Et l’OCDE table sur une croissance de 0,5% en 2023, et de 1,1% en 2024. Un ralentissement, donc, mais pas une récession. Il y a quelques mois encore, la BNB tablait pourtant sur une contraction au premier trimestre 2023. Aujourd’hui, elle table déjà sur une croissance trimestrielle de 0,4 % (1,6 % en rythme annuel). Cela est principalement dû à une augmentation de la consommation. Merci donc aux consommateurs!

Quelques bémols tout de même

Il y a tout de même un gros bémol à ce possible retour du contrechoc pétrolier : le marché du pétrole n’est plus celui qu’il était en 1986 et ni même celui qu’il était avant la guerre en Ukraine. 

Si l’OPEP va effectivement perdre son pouvoir de marché après le contrechoc pétrolier de 1986, il va cependant être relancé en 2016 par la création de l’alliance « OPEP+ ». Soit les Pays de l’OPEP, plus 10 autres pays producteurs dont la Russie. À partir de cet instant, ces pays vont reprendre progressivement en main le marché pétrolier. Enfin c’était le cas jusqu’à la guerre en Ukraine et les sanctions. Alors qu’il était devenu un axe crucial du marché avant la guerre, l’OPEP+  “n’est plus ce qu’il était” il y a un an, selon l’analyste Jim Burkhard, responsable de la recherche sur le pétrole pour S&P Global Commodity Insights.

Depuis le 24 février 2022, le marché du pétrole est en effet profondément bouleversé. Il devenu plus fragmenté et plus incertain, sans doute pour longtemps, avec des prix moyens plus élevés à l’avenir.  L’Europe s’est, pour l’essentiel, sevrée des exportations russes, qui ont été redirigées vers l’Asie, et leur a substitué du brut venu de plus loin, Moyen-Orient et Etats-Unis principalement. L’Asie, et la Chine et Inde en particulier, achète son pétrole bon marché auprès d’une Russie contrainte, tandis que les pays ayant choisi de s’en passer paient leur or noir plus cher. “Désormais, le prix du pétrole dépend de son (pays d’) origine, pas de sa qualité.” En moyenne, le pétrole doit voyager davantage pour aller jusqu’à l’acheteur, “à flotte constante”, rappelle également Torbjorn Tornqvist, président du négociant Gunvor Group, lors la conférence sur l’énergie CERAWeek, à Houston (Texas). Dès lors, “les tarifs du fret maritime ont donc augmenté et restent élevés”.

Le marché est aussi tendu puisque “les capacités excédentaires, que ce soit pour le pétrole ou le gaz, sont très faibles. Avec un marché morcelé et sous tension, “on aura encore des cycles” avec d’importantes variations des cours, à la baisse comme à la hausse, prévient Jim Burkhard. “Mais le centre de gravité sera autour de 70 ou 80 dollars le baril, ce qui est plus élevé que ce qu’on a vu ces 20 ou 30 dernières années.”

En conclusion, si comme s’est réjoui Pierre Wunsch de la BNB, «nous avons gagné la première guerre du gaz”, l’avenir reste incertain et les problèmes à résoudre sont nombreux. Au-delà du prix de l’énergie, il y a par exemple, « la perte de compétitivité causée par l’indexation automatique des salaires, la faible activation d’une partie de la population (surtout en Wallonie), le manque de main-d’œuvre, la maigreur des gains de productivité, la question énergétique (non seulement le coût des énergies fossiles plus élevé qu’avant, mais aussi le coût de la transition), sans parler des finances publiques», comme le signale notre journaliste Pierre-Henri Thomas.

Le contrechoc pétrolier de 2023, s’il arrive, risque donc de ne pas être aussi net que celui de 1986.

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