L’annonce par Google d’un investissement de 5 milliards d’euros en Belgique masque une réalité préoccupante : d’ici 2035, les data centers pourraient consommer l’équivalent de 10% de la consommation électrique nationale actuelle. Un défi colossal pour le réseau électrique belge, mais aussi pour les ambitions de décarbonation du pays.
Le géant américain a annoncé investir 5 milliards d’euros d’ici 2027 pour étendre son campus de Saint-Ghislain et renforcer ses capacités en IA. Cet investissement crée 300 emplois supplémentaires et porte le total investi en Belgique à 11 milliards d’euros depuis 2007. Dès 2021, Google avait acquis 52 hectares à l’Ecopôle de Farciennes pour construire trois méga data centers. L’investissement, s’il est accueilli à bras ouverts par les autorités du pays, notamment pour ses créations d’emploi, comporte aussi un défi énorme en termes de consommation et d’approvisionnement énergétiques.
4% de la consommation nationale
En 2024, les centres de données belges ont consommé 3,2 TWh, soit 4% de la consommation nationale d’électricité, le double de la moyenne européenne (2%). Difficile d’obtenir des détails chiffrés précis sur la consommation énergétique des data centers de Google. Mais, selon un rapport du Boston Consulting Group de mai dernier relayé par Le Soir, la puissance installée de ses “campus wallons” montait à 223 MW l’an dernier, soit une consommation annuelle d’un peu plus de 1,9 TWh. C’est près de deux tiers de la consommation de l’ensemble des data centers installés en Belgique et 2,4 % de la consommation électrique totale du pays (80 TWh en 2024). Le data center de Saint-Ghislain consomme, par ailleurs, un million de m³ d’eau de refroidissement par an, selon le dernier chiffre communiqué par l’entreprise. Un enjeu sous-estimé face au changement climatique.
La course aux contrats verts
Face à cet appétit énergétique, Google multiplie les partenariats stratégiques avec les producteurs d’énergie renouvelable via ce qu’on appelle dans le jargon des “Green Power Purchase Agreements (PPA)”. Dans la foulée de l’annonce de son investissement de 5 milliards d’euros, le géant du web a dévoilé de nouveaux contrats pour une capacité installée totale de plus de 110 MW avec trois partenaires.
Luminus lui fournira de l’électricité via quatre parcs éoliens d’une capacité totale de 38,6 MW, pour une production totale estimée de plus de 1800 GWh. Il s’agit du troisième contrat entre les deux entreprises. La livraison de l’électricité commencera au plus tard en 2027. Eneco, nouveau partenaire en Belgique, apportera de l’électricité via trois parcs éoliens d’une capacité installée de 54 MW. Renner a également signé un accord dont la capacité n’a pas été divulguée.
365 MW de nouvelles ressources énergétiques propres en Belgique
Depuis 2010, Google a signé des accords d’achat d’énergie renouvelable en Europe totalisant plus de 4,5 gigawatts (GW). Avec ces récentes annonces, Google soutient 365 MW de ressources énergétiques propres en Belgique. La société dit avoir réduit les émissions énergétiques de ses centres de données de 12 % en 2024, et “ce malgré une augmentation de la demande énergétique”. “En outre, grâce à ces nouveaux accords, nos activités belges devraient fonctionner à 85 % ou presque avec une énergie sans carbone en 2026”, annonce-t-elle. Son objectif étant d’atteindre 100% de neutralité carbone d’ici 2030.
Engie, premier fournisseur
Engie, partenaire historique des GAFAM dans leur stratégie de décarbonation, reste, de loin, le premier fournisseur d’énergie décarbonnée de Google. La société lui fournit depuis juillet 2024 plus de 118 MW. Aucun nouveau contrat avec la société énergétique française implantée en Belgique n’a été annoncé ce mercredi, nous confirme-t-on chez Google et chez Engie.

L’IA, accélérateur de la demande
Le développement de l’IA complique l’équation énergétique. Des organisations telles qu’Odoo, UZ Leuven et AZ Delta en Belgique s’appuient actuellement sur l’infrastructure de Google pour développer et faire évoluer des solutions basées sur l’IA.
“Si les requêtes IA optimisées consomment désormais environ 0,3 Wh – soit autant qu’une recherche Google classique – certains modèles peuvent consommer bien davantage. Google révèle qu’une requête Gemini utilise en moyenne 0,24 Wh (soit neuf secondes de télévision), tandis qu’OpenAI indique qu’une requête ChatGPT consomme 0,34 Wh (le fonctionnement d’un four durant près d’une seconde). Les modèles les plus puissants peuvent quant à eux consommer jusqu’à six fois plus.
Mais ces chiffres masquent l’ampleur globale de l’utilisation massive de l’IA. D’ici 2030, les centres de données européens qui développent l’intelligence artificielle auront besoin de trois fois plus d’énergie, selon une étude du consultant McKinsey. La demande en électricité devrait dépasser en 2030 les 150 térawattheures (TWh), contre 62 TWh actuellement, avance le rapport. Cela signifie que l’IA représenterait environ 5% de l’utilisation totale d’électricité en Europe, contre 2% pour l’instant. D’ici 2035, les data centers pourraient consommer l’équivalent de 10% de la consommation électrique nationale actuelle.
Trois risques majeurs
Dans ce contexte, le rapport du BCG identifie trois grands risques pour le système énergétique belge, dont la saturation du réseau. Les zones déjà tendues (Bruxelles, Anvers, Hainaut) pourraient atteindre leurs limites alors que le renforcement du réseau prendra des années. Il existe aussi la menace d’une pénurie d’électricité bas carbone. L’offre renouvelable reste insuffisante. Google affirme couvrir 84% de ses besoins par de l’électricité décarbonée (nucléaire et renouvelable), mais maintenir ce taux avec une demande croissante sera difficile. Enfin, le risque est aussi une pression sur les prix. Une demande supérieure à l’offre pourrait renchérir l’électricité pour les ménages et entreprises.
Une opportunité à saisir
Malgré les challenges énergétiques, l’investissement de Google dans ses data centers en Belgique offre aussi des opportunités, en créant des milliers d’emplois en plus des 600 déjà existants, et en attirant des projets renouvelables. Pour la Belgique, l’enjeu est double : profiter de ces retombées économiques tout en garantissant une trajectoire de décarbonation réelle. Un équilibre qui nécessitera des investissements massifs dans les énergies renouvelables et la modernisation du réseau électrique.
Les data centers : des gouffres énergétiques
Les data centers sont des infrastructures conçues pour héberger et centraliser des données. Leur usage massif exige un stockage important, une forte puissance de calcul et une consommation énergétique élevée.
Consommation électrique mondiale : En 2024, les data centers représentaient environ 1,5% de la consommation électrique mondiale, soit 415 TWh. À l’horizon 2030, l’AIE prévoit que cette consommation doublera pour atteindre environ 945 TWh/an, soit près de 3% de la demande électrique mondiale.
Émissions de CO₂ : En 2024, les émissions directes liées aux data centers sont estimées à 180 millions de tonnes de CO₂. Ce chiffre pourrait monter à 300 millions de tonnes d’ici 2035 selon certains scénarios. Actuellement, une part importante de l’électricité provient de combustibles fossiles, mais le recours aux énergies renouvelables augmente.
Concentration géographique : Les États-Unis, la Chine et l’Europe concentrent environ 85% de la consommation globale des centres de données.