Avec la chute de Northvolt, le marathon pour produire des batteries en Europe commence
Alors que les voitures électriques peinent à se vendre, voilà une nouvelle tuile pour la transition du secteur : la difficulté des Européens à développer la fabrication de batteries. Pour y parvenir, il faudrait de meilleurs financements.
L’image de la nouvelle Europe des batteries était belle : une usine sous la neige, proche du cercle polaire, à Skellefteå, en Suède. C’est le cœur d’une start-up géante de 6.000 personnes, Northvolt, qui devait rivaliser avec les champions chinois fournissant 80% du marché des batteries pour voitures électriques.
Fin novembre, elle était sous la procédure américaine du chapitre 11 pour éviter la faillite et se restructurer. Northvolt avait attiré 15 milliards d’euros de financement. C’était un modèle pour une série de start-up en France et en Allemagne. Il ne lui restait que 30 millions d’euros à l’automne.
La seule entreprise…
“C’est aujourd’hui la seule entreprise européenne qui fabrique des cellules pour batteries”, relève Julia Poliscanova, senior director, vehicles & emobility supply chains, au think tank européen Transport & Environment (T&E). Les cellules sont les éléments clés pour alimenter les véhicules électriques (*). Elle craint que la défaillance de Northvolt soit un mauvais coup pour les projets européens. Alors que le marché est assuré avec l’échéance 2035, où seules les voitures zéro émission seront autorisées à la vente dans l’UE.
“Il manque une politique industrielle à la hauteur, de l’endurance et du leadership”, soutient Julia Poliscanova. Elle avance que, sur tous les projets d’usines de batteries annoncés en Europe, plus de 60% sont remis en question. “C’est d’abord la conséquence des subsides fantastiques consentis aux États-Unis avec l’Inflation Réduction Act, et la tentation d’acheter des batteries en Asie, en Chine par exemple, où les tarifs sont bas”, ajoute-t-elle.
D’autant que les taxes sur les batteries importées de Chine sont négligeables : 1,3%. “Or, nous avons un marché attractif en Europe. Il faut une politique qui requiert et soutient la production européenne de batteries”, affirme Julia Poliscanova.
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Northvolt désavoué
La crise Northvolt intervient malgré un financement important, un carnet de commandes de 50 milliards d’euros et des projets d’usines en Allemagne et au Canada.
La production, démarrée en 2022, aurait dû atteindre aujourd’hui 10% du marché européen. Or Northvolt ne parvient pas à produire les quantités escomptées, décevant un client comme Scania (VW Group). Et en juin dernier, BMW a annulé une commande de 2 milliards d’euros. Un désaveu public qui est tombé au moment où Northvolt cherchait à se refinancer.
L’action des constructeurs
Le secteur semblait pourtant bien parti. Les constructeurs européens ont d’abord acheté des batteries asiatiques (CATL, Chine ; LG Energ et SK, Corée). En suite ils ont cherché à sécuriser et maîtriser leur approvisionnement.
De son côté, le VW Group a parié sur Northvolt, comme premier actionnaire, et y a misé 1,4 milliard d’euros. Il a aussi créé PowerCo en Allemagne. Stellantis, lui, a fondé ACC, à parité avec Mercedes Benz et TotalEnergie/Saft, avec l’ouverture d’une première usine dans le nord de la France. Renault a investi dans une start-up grenobloise, Verkor, qui a ouvert une usine à Dunkerque et a signé un partenariat avec le chinois Envision AESC. Ce dernier achève une usine située à Douai, sur le site où sont assemblées les R5, Mégane et Scenic électriques. Volvo et Northvolt devaient co-investir dans une usine de batteries, Novo Energy, en Suède. Mais le constructeur suédois a annoncé qu’il prendrait le contrôle total de Novo Energy, informant Northvolt qu’il exercerait son droit de rachat d’actions en raison d’une violation du pacte d’actionnaires. Northvolt n’aurait pas respecté ses obligations financières.
Ces projets bénéficient de subsides nationaux à hauteur de 30% des investissements. La Belgique n’a attiré aucune de ces usines géantes. Prudent, BMW développe lui-même les cellules des batteries pour ses modèles électriques, mais n’investit pas dans la production. Il sous-traite notamment à CATL ou Samsung. Northvolt aurait pu être le troisième sous-traitant s’il avait pu tenir les délais.
“Pour les constructeurs automobiles, le moteur à combustion était l’élément à valeur ajoutée important, tandis que pour les modèles électriques, la technologie des batteries est le nouvel élément qui permet de se distinguer”, explique Jean-Marc Timmermans, senior business group leader manufacturing à la fédération Agoria. Il a travaillé trois ans dans la recherche sur les batteries (VUB).
L’UE est très forte dans le soutien à la recherche mais faible pour le financement de la phase de montée en puissance.
Julia Poliscanova
Les raisons d’une chute
Northvolt a entrepris trop de projets en même temps, trop de types de cellules différents, pour rattraper la concurrence asiatique. Et ne parvenait pas à produire suffisamment de cellules de qualité, souffrant d’un taux de perte élevé (scrap rate). Ces éléments expliquent la situation actuelle de Northvolt.
“Un fabricant chinois comme CATL obtient un taux de 95% de cellules de qualité, mais en Europe, vous pouvez avoir un niveau de perte de 50% au démarrage, ce qui augmente le coût, un problème pour une activité à faible marge si ce taux persiste, mais cela prend du temps”, détaille Julia Poliscanova. Les producteurs asiatiques possèdent une avance d’au moins cinq ans sur le sujet, souvent grâce à un financement public patient. Le savoir-faire accumulé leur permet, pour chaque nouvelle usine, une montée en puissance rapide.
Pour sa gigafactory dans le Nevada, Panasonic, pourtant expérimenté, a rencontré pendant trois ans des problèmes de qualité et subi des pertes financières (2017 à 2021), avant de permettre à Tesla, co-actionnaire de l’usine, de connaître une ascension spectaculaire.
Les ennuis de Northvolt se sont aggravés en raison de la stagnation du marché automobile. Et à cause du changement de cap des constructeurs, qui s’intéressent de plus en plus aux batteries LFP (lithium, fer, phosphate), moins chères, alors que les projets européens misent sur la technologie NMC (nickel, manganèse, cobalt), plus performante mais plus coûteuse.
Un retard temporaire
Cette lente montée en puissance est normale pour un nouvel acteur du secteur. L’Europe compte des fabricants très avancés. “Pensons, par exemple, à Varta (Allemagne), Saft (France), FAAM (Italie) ou Leclanché (Suisse), tous des fabricants européens de cellules de batteries hautement technologiques, compétents, actifs dans la technologie lithium-ion, voire dans les technologies de prochaine génération telles que les batteries solides”, note Jean-Marc Timmermans.
Les batteries pour voitures recourent à des cellules plus grandes. Les éléments constitutifs, anodes et cathodes, sont des feuilles en cuivre ou aluminium qu’il faut revêtir de composants. “Pour les batteries de grande taille, où la surface à revêtir est étendue, ce contrôle représente un défi supplémentaire, continue le spécialiste. La moindre variation dans la composition (homogénéité) ou l’épaisseur peut entraîner des variations internes de densité de courant et de potentiel électrique. Cela peut, d’une part, accélérer le vieillissement des cellules individuelles et, d’autre part, créer des déséquilibres entre les cellules dans le système de batteries.”
Le défi des projets européens est de rattraper ce retard d’expertise. “Rattraper ce retard en termes de savoir-faire et d’expérience dans le processus de production, ainsi que son industrialisation et optimisation, nécessite du temps et des investissements importants”, affirme Jean-Marc Timmermans. L’Europe est mal organisée pour financer cette période difficile. La nouvelle Commission, consciente du problème, vient de lancer un appel à projet pour améliorer la fabrication de cellules. Elle a trouvé un financement d’un milliard d’euros, IF24, mais elle est consciente qu’il faudra en faire bien davantage.
L’Europe doit rattraper son retard en termes de savoir-faire et d’expérience dans le processus de production, ainsi que son industrialisation et son optimisation.
Jean-Marc Timmermans
Les portes de sortie
“L’UE est très forte dans le soutien à la recherche”, note Julia Poliscanova. Elle est aussi forte pour établir des règles. “Mais faible pour le financement de la phase de montée en puissance. Il faudrait disposer d’un financement bien plus adapté”, précise encore Julia Poliscanova. T&E évalue à 50 milliards d’euros le montant de financements publics nécessaires pour soutenir cette industrie d’ici 2030, sous forme de subventions, de prêts ou de garanties. “Disposer en Europe d’une industrie de batteries est critique, sinon vous n’aurez pas ici d’industrie automobile sûre et résiliente”, conclut Julia Poliscanova.
(*) Une batterie est constituée de cellules, où de l’énergie chimique est convertie en énergie électrique. Il n’y en a qu’une dans un pile AAA ou une batterie de téléphone, assez petite. Il y en a beaucoup, et des grandes, dans les batteries de voitures, souvent assemblées en modules, montées en série pour assurer une puissance électrique importante.
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