Voici la révolution énergétique scénarisée par Engie

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Olivier Mouton

Le géant énergétique français insiste sur la nécessité d’utiliser tous les leviers possibles au niveau européen pour atteindre l’objectif de décarbonation en 2050. L’alliance entre l’électron et la molécule est privilégiée. Mais attention au cadre réglementaire… et au soutien social.

“La transition énergétique ne sera un succès que si on l’appréhende avec pragmatisme.” Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, pose des mots et des chiffres sur le chantier de l’Europe pour atteindre l’objectif de décarbonation en 2050. Son entreprise, acteur clé en France et en Belgique, a présenté le 12 juin dernier, pour la première fois, son scénario pour la révolution énergétique en cours. Et cela déménage.

Catherine MacGregor © Belgaimage

Les ambitions nécessaires sont vertigineuses: un quadruplement des efforts de réduction de CO2, la production de 80% d’électricité supplémentaire, des capacités de flexibilité (batteries, centrales thermiques décarbonées, etc.) multipliées par quatre, une réduction de consommation d’énergie de 34% en dépit d’une croissance démographique de 12%… Pour y arriver, il ne peut être question de dogmatisme: tous les leviers doivent être activés.

“Compétitivité et robustesse du système doivent être les deux mots clés”, insiste Catherine MacGregor. Le coût de l’énergie pour les particuliers et les entreprises doit rester maîtrisé, au même titre que le coût global de la transition. Car là aussi, les chiffres sont impressionnants au niveau européen: 40 milliards d’euros par an pour les infrastructures électriques et 6 milliards pour la flexibilité.

“Nous croyons en l’alliance de l’électron et de la molécule.”

“Face aux aléas physiques, climatiques et géopolitiques, nous devons penser la souveraineté énergétique différemment, insiste la directrice générale d’Engie. Nous croyons à l’Europe de l’énergie avec une vision partagée et un cadre régulatoire.”

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“Nous croyons en l’alliance de l’électron et de la molécule”, poursuit Catherine MacGregor. Si l’électrification massive et l’accélération du renouvelable sont des évidences, Engie propose un mix pour accompagner l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque et garantir l’approvisionnement: gaz décarboné, hydrogène, biomasse, puits carbone, etc.

Le nucléaire est également de la partie, mais à la marge, il ne fait plus partie des axes stratégiques de la maison. Avec cette vision déployée par le géant énergétique français, on comprend mieux aussi celle mise en œuvre pour la Belgique où les centrales thermiques ont été privilégiées. Ce n’est pas non plus pour rien que les négociations entre l’opérateur et l’Etat fédéral s’éternisent au sujet de la prolongation de deux réacteurs…

Renouvelable en hausse, hydrogène en explosion

Calculé sur base de 15 pays européens interconnectés, le mix énergétique envisagé par Engie comprend quatre leviers principaux.

Premier axe: sobriété et efficacité. “Avant toute chose, pour tenir les engagements européens en matière climatique, il est nécessaire d’intensifier les efforts en matière de sobriété et d’efficacité énergétiques afin de tendre vers une réduction de 34% de la consommation d’énergie à l’horizon 2050 et, en particulier, massifier la rénovation performante des bâtiments”, expliquent Nicolas Lefevre-Marton et Pierre-Laurent Lucille, respectivement responsable stratégique et économiste en chef d’Engie.

Précision importante: le scénario d’Engie n’intègre pas d’option de décroissance, il est élaboré en tenant compte d’une augmentation démographique de 12% et d’une croissance annuelle moyenne de 1,3%. Un scénario dans lequel les économies fossiles décroissent, mais où la production d’électricité est quasiment doublée.

“Seules les énergies renouvelables peuvent sécuriser rapidement et à moindre coût nos besoins grandissants.”

Deuxième axe: éolien et photovoltaïque. “Alors que la demande d’électricité va presque doubler d’ici 2050, les énergies renouvelables devront couvrir 78% de la demande en 2035 et jusqu’à 90% en 2050, précisent les analystes d’Engie. Cela signifie concrètement que la production européenne d’électricité éolienne et solaire doit être multipliée par 3,5 d’ici 2035 et par 6 à l’horizon 2050. Le développement massif des énergies renouvelables est indispensable car elles seules peuvent sécuriser rapidement et à moindre coût les besoins grandissants liés à l’électrification des usages.”

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Troisième axe: les molécules. Elles représenteraient un tiers du mix imaginé par Engie: “L’hydrogène décarboné et les molécules produites à partir d’hydrogène (e-molécules) joueront un rôle clé dans les transports et pour certains usages industriels. La demande d’hydrogène et de e-molécules – portée par les besoins de décarbonation de la mobilité lourde et de l’industrie – sera multipliée par 8 d’ici 2050 (75% pour les transports et 25% pour les secteurs industriels les plus difficiles à décarboner, comme l’acier). Près de la moitié de cet hydrogène sera produit localement.”

C’est la plus forte hausse attendue de toutes les sources envisagées. Les centrales thermiques décarbonées et le bio- méthane joueront un rôle clé pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables et permettre la production de ces molécules. Ironiquement, sans doute, Engie souligne que la forte hausse des renouvelables pourrait être une “assurance” contre le retard du développement du nucléaire nouvelle génération en France. C’est, il est vrai, son concurrent EDF qui est à la manœuvre dans ce domaine… “On parle d’une hausse de 60 GW en 2035. C’est ambitieux. Mais les filières du renouvelables considèrent que c’est possible.” Les coûts additionnels sont “limités” à 2 milliards d’euros par an.

Quatrième axe: dans ce mix, 19% seront encore assurés par la biomasse, la géothermie, etc. “Tous les leviers seront nécessaires pour y arriver”, martèlent encore Nicolas Lefevre-Marton et Pierre-Laurent Lucille.

Le transport avant les bâtiments

Ces scénarios ont été déclinés par secteur. Pour l’industrie, par exemple, l’efficacité énergétique représenterait une baisse de consommation de 27%, les énergies renouvelables représenteraient 40% du tout (contre 20% aujourd’hui) et les molécules, via le gaz décarboné, 27%.

Les molécules vertes représenteront le vecteur principal de la décarbonation des transports. Celle-ci devrait être plus rapide que le verdissement du secteur bâtiment, plus lourd et moins rentable dans un premier temps. “L’accélération du taux de rénovation passera de 0,3% à 1,5% par an d’ici 2050, soulignent les auteurs de l’étude. Cela nécessitera, là encore, une pluralité de solutions.” Chaudières à biogaz, convecteurs, pompes à chaleur, poêles à granulés, réseaux de chaleur…

Nicolas Lefevre-Marton et Pierre-Laurent Lucille insistent aussi, beaucoup, sur les pompes à chaleur hybride. “Ce mélange de chaudière performante et de pompe à chaleur est le mix idéal pour éviter les problèmes quand le système électrique est sous pression”, disent-ils. Garantir la stabilité du réseau malgré les variations horaires et saisonnières, ce sera un must.

“Ce que démontre notre étude, c’est que toutes les infrastructures seront nécessaires, ajoutent le responsable stratégique et l’économiste en chef. Pour l’électrification massive, on parle bien sûr des réseaux et d’un investissement considérable que l’on estime à 40 milliards d’euros par an dans les 15 pays européens étudiés, avec tout le nécessaire qui doit être fait pour acheminer les énergies renouvelables.” En Belgique, les projets en cours pour transporter l’énergie produite par l’éolien offshore – dont la Boucle du Hainaut en Wallonie – tardent. Mais une certitude, déjà: ces infrastructures et le renforcement du réseau provoqueront une augmentation prochaine de la facture d’énergie.

“Pour le gaz et les molécules, la dynamique sera différente, précisent les responsables d’Engie. Nous sommes essentiellement dans l’optique d’une conversion d’infrastructures existantes, notamment pour les adapter à l’hydrogène.” La facture annuelle s’élèverait ici à 6 milliards par an.

“Nous ne sommes pas dans un concours de beauté, nous devons accélérer la filière.”

“Pour réussir cet effort massif, nous adressons, en tant qu’acteur énergétique, une série de recommandations, complète Claire Waysand, secrétaire générale d’Engie. La première consiste à permettre l’accélération du développement des énergies renouvelables. Cela nécessite de stabiliser le cadre d’investissement, de faciliter et accélérer le raccordement aux réseaux, ainsi que l’obtention des permis.” Le phénomène “nimby” (Not in my backyard) reste un extraordinaire ralentisseur de ce développement…

En ce qui concerne l’hydrogène, le cadre réglementaire européen doit être finalisé, mais Engie souhaite une clause de revoyure rapide. “L’Europe veut parfois se montrer plus parfaite que les Etats-Unis, mais elle doit faire preuve de pragmatisme, insiste Claire Wayand. Nous ne sommes pas dans un concours de beauté, nous devons accélérer la filière.”

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La palette des énergies choisies doit être large et l’horizon dégagé pour qu’elles soient mises en œuvre. C’est aussi le credo de l’eurodéputé français Pascal Canfin (Renaissance), spécialiste reconnu de ces questions et qui était également invité à la présentation d’Engie. “Il ne faut en aucun cas les opposer, dit-il. Nous sommes dans une logique d’addition et pas de mise sur le côté pour des raisons idéologiques.” Pas question de se priver du gaz ou du nucléaire pour accompagner le caractère intermittent des énergies renouvelables….

“Attention au retour de bâton”

Cette vision pragmatique doit également se préoccuper de l’acceptation de cette transition vertigineuse. “Il y a beaucoup de choses à digérer, constate Pascal Canfin. Il faut faire en sorte que ce soit praticable, c’est une des conditions de réussite. Nous sommes très soucieux d’avoir le retour de terrain des acteurs économiques.” Voilà la raison pour laquelle les législations doivent être revues régulièrement.

PASCAL CANFIN
Pascal Canfin © BelgaImage

Pas question, cela dit, de parler de “pause” comme l’avait fait le président français, Emmanuel Macron, et notre Premier ministre, Alexander De Croo. “J’ai expliqué combien cette parole était malheureuse, glisse le député. On est très loin de la pause.”

Attention, surtout, au décrochage de la population. “Il y a un vrai risque de fragilisation de la société, reconnaît l’eurodéputé. Du point de vue technologique, on peut mener une telle révolution comparable à la révolution industrielle. Mais on ne la réussira pas sans le soutien social. Or, en ce moment, on perçoit les premiers retours de bâton en Europe.”

Un souci auquel le monde politique doit veiller. Tout en soutenant les acteurs économiques. “Chez Engie, nous sommes très enthousiastes à l’idée de mener ce chantier, conclut Catherine MacGregor. Nous avons aligné notre entreprise et nos 96.000 collaborateurs de façon structurelle par rapport à ce défi. Cela nous parle d’autant plus que cela permet une rencontre entre le global et le très local.”

L’ascension de la montagne est entamée. Elle ne sera pas sans risques. Car elle bouleversera en profondeur les réflexes des particuliers, des entreprises et des investisseurs.

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