Du centre de tri à l’usine de recyclage, le voyage circulaire du sac bleu
Qu’advient-il des déchets PMC glissés dans le nouveau sac bleu? Trends-Tendances a suivi de près leur trajet circulaire au départ du centre de tri flambant neuf de Sitel, à Engis, jusqu’à leur recyclage dans une usine du Limbourg.
Un pot de yaourt jeté dans le sac PMC (plastique, métal, cartons à boissons) reviendra-t-il dans votre frigo sous la forme d’un nouveau pot de yaourt ? La réponse risque de vous étonner, voire de vous décevoir. La matière hétérogène issue du recyclage de ces contenants sera plutôt utilisée pour fabriquer des cintres pour votre garde-robe ou des bacs à fleurs pour votre jardin. “Aujourd’hui, il n’est pas encore possible en Belgique de recycler un pot de yaourt en polystyrène en un nouveau pot de yaourt car la législation actuelle limite les possibilités de réintroduire ces recyclats dans le contact alimentaire. La bouteille en PET de soda recyclée en une nouvelle bouteille est un cas particulier”, nous explique Mik Van Gaever, chief operating officer de Fost Plus. La société privée finance et coordonne la collecte sélective, le tri et le recyclage des déchets d’emballages ménagers en Belgique.
Recyclage chimique
La future usine “Plastic2Chemicals” de l’entreprise anversoise d’Indaver permettra, dans le courant 2024, de recycler un pot de yaourt en une matière première d’une plus grande pureté grâce au recyclage chimique. “Le polystyrène et le polystyrène extrudé pourront être transformés en matières premières secondaires pour la fabrication de nouveaux emballages, y compris des pots et barquettes destinées aux denrées alimentaires. Le produit final aura les mêmes caractéristiques que le matériau vierge”, commente Mik Van Gaever. Pour l’heure, de nombreux autres types de matériaux glissés dans le sac transparent sont déjà transformés en bouteilles, en fibres textiles, en tapis, en jouets, etc. Fost Plus a invité Trends-Tendances à suivre le trajet de ces déchets. Le timing n’est pas anodin. La visite de ces coulisses est organisée à l’approche du renouvellement pour cinq ans de son contrat de gestion par la Commission interrégionale des emballages (CIE).
40.000 tonnes de PMC par an
Niché dans la vallée industrielle d’Engis (Huy), le centre ultramoderne de Sitel est en service depuis mars dernier. Il est le fruit d’un partenariat public-privé entre Fost Plus, Intradel, Idelux et le fond Noshaq. Sur une superficie de 36.000 m2 pour un investissement de 53,5 millions d’euros, l’usine a une capacité théorique totale de 40.000 tonnes de PMC par an. En une heure, elle peut traiter 6.000 sacs bleus des habitants de la province de Liège et d’une partie du Limbourg et emploie une cinquantaine de personnes.
Depuis 2018, le nombre de kilos de PMC collectés par an par personne en Belgique est passé de 15 à 23 kilos. Les centres qui traitaient les sacs limités aux bouteilles en PET, aux emballages métalliques et aux cartons de boissons étaient devenus obsolètes. Ils n’avaient plus les capacités suffisantes pour faire face à cet afflux supplémentaire. D’autant que le nouveau sac bleu accueille depuis sa mise en circulation sur tout le territoire belge à l’automne 2021 de nombreux nouveaux types de matériaux impossibles à trier dans les anciens centres. Pour faire face à ces contraintes techniques, la construction de cinq nouvelles installations de tri était une réelle nécessité. Outre l’usine d’Engis, deux autres sont déjà actives en Wallonie (Charleroi et Ghlin) et deux en Flandre (Willebroeck et Evergem), pour un investissement moyen de 30 millions d’euros par unité.
Aimants géants et “windshifters”
Petite plongée dans ce labyrinthe logistique impressionnant. Le centre d’Engis comprend 264 convoyeurs différents pour une distance cumulée de trois kilomètres, nous explique Laurent Marchal, le directeur du site. A l’intérieur, une odeur âcre émanant des effluves des milliers de déchets de toutes tailles déversés par les sacs bleus éventrés nous prend à la gorge. Pots de yaourt, raviers de beurre, bouteilles de lait, flacons de shampoing, canettes de bière, tubes de dentifrice, barquettes de charcuterie, emballages fins, sachets de chips, capsules de café… défilent à toute vitesse (3 mètres par seconde) sur un enchevêtrement de tapis roulants de différentes tailles disposés sur différents niveaux. Le ballet des déchets ballottés dans de grands tambours rotatifs criblés de trous qui les sélectionnent par taille est hypnotique. Des séparateurs aérauliques (aussi appelés windshifters) permettent d’aspirer les emballages légers. “L’un des principaux défis de ces centres de tri PMC de nouvelle génération est de réussir la séparation entre les plastiques plats et légers, comme les films ou les sacs bleus, et les plastiques volumineux comme les flacons ou les bouteilles”, commente Laurent Marchal.
Dans cette vidéo, les déchets sont triés dans un grand tambour rotatif qui les sélectionne par taille. (source: Sitel)
Des aimants géants attirent les boîtes de conserve et autres emballages en acier hors du flux. Le tri optique, avec une lumière proche de l’infrarouge, permet de différencier les déchets par type de matériau et les éjecte du tapis grâce à des jets d’air comprimé. Un séparateur à courants dit “de Foucault” génère un champ magnétique qui capte les emballages en aluminium (canettes, aérosols, capsules, etc.), tandis qu’un autre, balistique, distingue les corps plats des corps creux et permet de récupérer des films plastiques qui ont échappé à un premier tri. Une série de tris optiques (27 au total) sélectionne les flux de plastique dur, par type de matériau et par couleur. A la fin de cette chaîne, on arrive à 16 fractions de déchets: cinq types de PET (opaque, bleu, incolore…), le polyéthylène des films, le polystyrène des pots de yaourt, le polyéthylène haute densité des bouteilles de lait, le polypropylène des raviers de beurre, les cartons à boissons ou encore l’acier et l’aluminium.
650 balles de monomatériau par jour
Ce tri automatisé à quasiment 100% permet d’obtenir des degrés de pureté des matériaux de 90 à 95 %, selon Fost Plus. Cependant, cette qualité n’est pas suffisante pour répondre aux normes imposées (97% pour le PET). Une intervention humaine est encore nécessaire pour un contrôle final. Des opérateurs supervisent les 16 tapis déroulants et en retirent les intrus (jouets, couches, petits électroniques, etc.) ou les déchets qui ne se retrouvent pas dans le flux adéquat. Selon Fost Plus, environ 10 à 15% des erreurs de tri sont attribuables aux citoyens. Environ 18% de résidus nécessitent encore un surtri. Les déchets sont ensuite pressés en balles de monomatériau d‘un mètre cube. Environ 650 sont confectionnées chaque jour. Elles seront vendues et expédiées chez des recycleurs. De l’ouverture du sac PMC à la balle pressée, une dizaine de minutes se seront écoulées.
Fost Plus entend aussi nous démontrer la circularité des détritus en Belgique. Laurent Marchal nous indique l’exemple le plus flagrant: l’usine BST Wallonie située à quelques mètres qui recycle l’acier récolté. Ces nouveaux centres de tri sont complétés par six installations high-tech de recyclage des matériaux en plastique. Trois centres sont déjà opérationnels (Houthalen, Beringen et Charleroi), trois autres seront finalisés dans le courant 2024 (Lommel, Neufchâteau et Indaver Anvers).
En avant la circularité
Pour illustrer ce cercle vertueux, direction l’usine d’Ecoo Group, à Houthalen-Helchteren dans le Limbourg, à une petite centaine de kilomètres d’Engis. Active depuis 1989, elle a une capacité de recyclage de 35.000 tonnes par an de plastiques mixtes et autres films, soit de la matière de moins bonne qualité, dont 16.800 tonnes proviennent du sac bleu.
En pénétrant dans le grand hangar strié de nombreux tapis charriant les déchets, nos narines sont à nouveau envahies par la même odeur peu agréable, agrémentée ici d’un fumet de plastique brûlé. Sur deux lignes, dont une toute nouvelle opérationnelle depuis janvier 2021, les installations d’Ecoo permettent de trier, réduire, laver, sécher et fondre en une nouvelle matière première les plastiques résiduels. A partir de ces granulés bruts (“de qualité constante”, spécifie son CEO, Wim Van Den Bossche), de nouveaux objets durables sont créés. Le catalogue comprend des bordures et du mobilier de jardin, des bacs à compost, des bancs publics ou encore des îlots directionnels aussi solides que du béton.
Le centre de recyclage ultramoderne d’Ecoo Beringen va, lui, un pas plus loin. Il est le premier en Belgique à recycler les films de polyéthylène (PE), utilisés notamment pour les sacs d’emballages ménagers, en de nouveaux films et sachets. Les sacs-poubelles de la marque Folia vendus chez Aldi, par exemple, sont fabriqués à 100% de ce r-PE (polyéthylène recyclé) belge. Un argument marketing – virant parfois au greenwashing – devenu incontournable. L’usine recycle quelque 42.000 tonnes de ces matériaux par an, dont 25.000 proviennent du sac bleu. “La qualité des matières premières recyclées est proche de celle des plastiques vierges”, vante Nathalie Verhaert, project & marketing manager d’Ecoo.
La Belgique, championne d’Europe
Grâce à ces installations performantes et à son système de tri et de collecte de déchets uniformisé, la Belgique peut se vanter des meilleurs taux de recyclage d’Europe. Fost Plus avance des chiffres assez impressionnants. L’an dernier, 95% des emballages mis sur le marché par ses membres (environ 4.800, dont Colruyt, Danone, Unilever, Coca-Cola, etc.) ont été recyclés. Pour les PMC, cela représente 17,4 kg par habitant. La généralisation des sacs bleus élargis a permis de faire passer le taux de recyclage des emballages plastiques de 52 à 61 %. Il est de 94% pour l’aluminium et de 70% pour les cartons de boissons. 81% de ces emballages ont été recyclés en Belgique, le reste a été envoyé dans des pays limitrophes (10% aux Pays-Bas, 4% en France, 3% en Allemagne).
Des chiffres trompeurs ?
Mais les chiffres “spectaculaires” de Fost Plus sont remis en question, et notamment par l’organisation environnementale Recycling Netwerk Benelux (RNB). Elle n’hésite pas à les qualifier de “trompeurs” et “surestimant considérablement les performances du système”. “Sur la base de notre compréhension des données de 2021, nous calculons que le taux réel de recyclage des emballages municipaux PMC est plus proche de 59 % que de 64,8 % comme le prétend Fost Plus”, explique à Trends-Tendances Maxine von Eye, consultante indépendante qui a décortiqué ces chiffres pour RBN. “Il faudrait recycler 18.000 tonnes de PMC supplémentaires pour atteindre réellement 64,8 %. Ce qui représente pas moins de 900 millions de bouteilles en plastique”, précise Chloé Schwizgebel, porte-parole de l’organisation. L’argument de RNB repose sur le fait que les taux de recyclage de Fost Plus sont calculés uniquement sur le tonnage de ses membres, et non sur l’ensemble des emballages municipaux en Belgique, ce qui contrevient, selon elle, à la méthode de calcul de l’Union européenne. “Le nouvel agrément de Fost Plus devrait inclure des règles strictes en matière de collecte et de communication des données”, estime l’ONG.
Des recherches menées par nos confrères de Knack ont également révélé que ce taux de recyclage était une boîte noire: il n’est pas vérifiable et personne ne le contrôle vraiment. Des critiques balayées par Fost Plus: “Le résultat de recyclage de nos membres est un rapportage conforme aux nouvelles règles européennes, il n’est pas surévalué”, nous assure Mik Van Gaever qui renvoie vers le rapport final de la CIE dans lequel toutes les données chiffrées sont publiées.
“Le nouvel agrément de Fost Plus devrait inclure des règles strictes en matière de collecte et de communication des données”
Recycling Netwerk Benelux
“Le recyclage se nourrit du jetable”
Car ces taux croissants de recyclage ne doivent pas occulter un problème de base: la mise en circulation continue d’emballages à usage unique et de plastique vierge. De l’avis de la militante écologiste Flore Berlingen, “le recyclage se nourrit du jetable et contribue à perpétuer son utilisation”. Dans son ouvrage Recyclage: le grand enfumage (éd. Rue de l’échiquier, 2020), l’ex-dirigeante de Zero Waste France déplore que “le recyclage permet de ne pas remettre en question les intérêts économiques qui lui sont liés”.
Valerie Bruyninckx, porte-parole de Fost Plus, assure de son côté que “la réduction des emballages est une priorité pour ses membres”. Elle souligne une baisse de 5% de la masse d’emballages en un an et pointe les efforts des industriels pour travailler avec des plastiques plus légers et proposer des alternatives plus facilement recyclables. Exemples à l’appui: Colruyt a remplacé récemment ses barquettes noires de viande et de poisson par des barquettes grises afin de faciliter leur repérage dans la chaîne de tri optique. Le hard discounter a aussi annoncé sa volonté de passer à des barquettes en mousse entièrement circulaires par le biais de la future usine de recyclage chimique d’Indaver.
Nous misons sur une stratégie holistique de l’emballage qui va plus loin que le recyclage.
Mik Van Gaever, COO de Fost Plus
Aller plus loin que le recyclable
La diminution des emballages, imposée notamment par une nouvelle législation européenne, entraînera inévitablement une réduction des déchets à recycler dans les centres financés par Fost Plus et dont les contrats à long terme courent sur neuf ans. La société s’adapte à cette nouvelle donne. Son COO nous annonce miser sur “une stratégie holistique de l’emballage qui va plus loin que le recyclage”. “Les emballages réutilisables joueront un rôle de plus en plus important à l’avenir. Mais, on aura besoin d’une chaîne logistique et d’une approche intégrale derrière pour que cela fonctionne à large échelle. Fost Plus se voit idéalement placé pour jouer un rôle important là-dedans, confie Mik Van Gaever. C’est un projet qui est dans les cartons parce qu’il fait partie de notre demande de nouvel agrément. Comme cela existe déjà pour les bacs de bière, nous pourrions plancher sur des projets pilotes avec des emballages réutilisables pour les légumes ou les fruits, par exemple.”
Nouveau sac bleu: 6 erreurs de tri à éviter
Laurent Marchal, directeur de l’usine de tri Sitel à Engis, livre quelques bonnes pratiques à suivre lors du remplissage du nouveau sac bleu qui accueille de nombreux nouveaux types d’emballages.
- Ne pas imbriquer les plastiques les uns dans les autres, pour une meilleure visibilité de la machine de tri.
- Ne pas insérer de plastiques à l’intérieur d’autres emballages (comme des boites de conserve).
- Laisser les bouchons sur les bouteilles. Sinon, ils ne sont pas triés et finissent à l’incinérateur. Une séparation sera effectuée chez le recycleur lors du processus de broyage des bouteilles PET.
- Vider complètement les contenants. Si les bouteilles sont trop lourdes et trop denses, elles ne pourront pas être “soufflées” d’un tapis de tri.
- Ecraser les bouteilles dans la longueur. Aplaties en boule, elles auront tendance à rouler sur le tapis.
- Retirer complètement le film plastique des barquettes de charcuterie. Les deux matériaux se trient différemment.
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