Des fonds belges durables… qui ne le sont vraiment pas tant que ça
Selon une nouvelle étude de Financité, l’immense majorité des fonds disponibles en Belgique, labellisés comme “durables”, investissent dans au moins un actif qui n’est pas “socialement responsable”. Plus de la moitié d’entre eux investissent dans des activités climaticides.
Investir pour un monde plus juste et plus vert ? Une ambition assumée dans le monde des entreprises et de la finance, avec des scores ESG (éco-responsable, socialement responsable et de bonne gouvernance) par exemple.
Avec cet intérêt croissant, des fonds dits durables ont vu le jour. Mais le sont-ils vraiment ? C’est la question que se pose l’association Financité. Spécialisée dans la finance responsable et solidaire, elle est connue par la Fédération Wallonie-Bruxelles et fait de la recherche et de l’éducation en la matière.
Listes noires
En Belgique, 402 fonds sont considérés comme durables, selon l’Article 9 de la législation européenne en la matière, analyse Financité dans la 18e édition de son Rapport annuel sur l’investissement socialement responsable en Belgique. Ces fonds pèsent, ensemble, 22,04 milliards d’euros. Pour 295 d’entre eux, l’association a pu avoir les détails sur la composition des portefeuilles. Ces derniers pèsent un total de 20,7 milliards d’euros.
En règle générale, ces fonds durables représentent un peu plus de 3% de tous les fonds.
Financité analyse ces fonds via quatre thématiques : comment se positionnent-ils par rapport aux :
- droits fondamentaux (entreprises et/ou États cités en violation de principes contenus dans une ou plusieurs des conventions internationales ratifiées par la Belgique),
- à ce qui est “climaticide” (énergies fossiles, dans la déforestation et qui n’ont pas ratifié les Accords de Paris),
- au nucléaire (possession d’armes nucléaires et violation du traité de non-prolifération, production et commerce de combustible nucléaire, construction ou possession de centrales nucléaires, sauf si plan de sortie de l’atome dans les 5 ans),
- aux armes de guerre (sous-munitions, phosphore blanc, etc.) ?
Il s’agit en fait de listes noires, agrégées via une multitude d’autres listes établies par des acteurs de la finance. De nombreux actifs, présents dans les fonds, s’y retrouvent.
Manquements importants
Dans la première catégorie, 235 des fonds, soit 80% des 295 passés au crible, “ont investi dans au moins un actif de la liste noire droits fondamentaux”, note Financité. Un investissement qui pèse un total de 1,6 milliard d’euros. 407 entreprises et 154 États sont mentionnés sur la liste.
Concernant l’aspect climaticide, 172 fonds, soit plus de la moitié (58%) ont investi dans des entreprises ou des États repris sur la liste noire. L’encours est de 433 millions d’euros. 3816 entreprises et 3 États sont concernés. Le critère de “plan de sortie du fossile” n’est pas pris en compte dans cette liste noire, nous précise Charlaine Provost, une des autrices du rapport. Le fait que les entreprises étendent leurs activités dans les énergies fossiles et ou créent des bombes climatiques est cependant pris en compte. 28 fonds ont ainsi investi dans des entreprises “qui posent des bombes climatiques”.
Pour le nucléaire, ce sont 113 fonds (38%) qui investissent dans les centrales ou les armes, pour un total de 374 millions d’euros. S’y trouvent 299 entreprises et 34 États. 69 entreprises parmi elles sont actives dans les armes nucléaires. Dans le monde de l’énergie, il y a débat si l’atome pollue ou non. D’un côté, il y a la question des déchets radioactifs, mais de l’autre, il y a le fait que la production d’électricité n’émet pas de CO2, contrairement au gaz par exemple. Il y a donc débat sur quelle ressource il faut préconiser, notamment en Belgique.
107 des fonds (36%) investissent dans les armes de guerre. Là, l’encours investi est de 198 millions d’euros. 188 entreprises et 32 États sont concernés.
36 fonds montrent patte blanche
De l’autre côté, seuls 36 fonds montrent patte blanche (13% de ceux analysés). 259 (87%) d’entre eux ont au moins un actif se trouvant sur une des listes noires. Dans le “fonds du panier” comme le décrit Financité, ou les fonds qui ont des actifs présents sur toutes les listes noires, il y a 53 entités, soit plus que celles qui ne se retrouvent sur aucune des listes.
“Ces fonds soutiennent des activités qui ne peuvent pas être qualifiées de socialement responsables : il s’agit d’activités ayant un impact négatif sur le climat, dangereuses pour la vie humaine (armes de guerres) ou encore très sujettes à controverses comme l’industrie nucléaire. L’autorisation ou non de ces activités économiques au sein de nos sociétés n’est pas le sujet principal, ici nous nous interrogeons surtout sur le fait que, en dépit du faible consensus sur leur plus-value pour résoudre des problématiques sociétales importantes, elles se trouvent dans des fonds prétendument socialement responsables”, en conclut le rapport.
Et d’ajouter : “Ces résultats sont bien loin de la promesse faite par le label de vérifier que le gestionnaire du produit financier n’utilise pas l’argent pour investir dans des entreprises ou des gouvernements impliqués dans des activités et des pratiques généralement considérées comme très nuisibles.”
Que faire ?
Que doivent faire les investisseurs qui veulent placer leur argent dans un fonds véritablement “durable” ? Pour Charlaine Provost, le plus important est de regarder la méthodologie de la composition de portefeuilles et de faire attention aux seuils de tolérance des exceptions en vigueur. “Si un fonds dit qu’il est attentif aux droits humains, mais qu’il a un certain seuil de tolérance, il pourrait investir dans du travail d’enfants”, explique-t-elle avec un exemple extrême.
Les labels deviennent aussi plus stricts, se réjouit-elle. Le label Towards Sustainability par exemple n’accepte désormais plus les acteurs du fossile qui continuent à étendre leurs activités fossiles. “Mais s’ils ont un engagement à les réduire leurs émissions, alors c’est ok, même si aujourd’hui ils continuent à étendre leurs activités, à lancer de nouvelles exploitations et à créer des bombes climatiques. Certains, comme Total, passent donc encore entre les mailles du filet”, regrette l’autrice du rapport.
Elle ajoute que des gendarmes financiers comme la FSMA font des contrôles des prospectus des fonds, qui doivent mentionner des informations comme les indicateurs d’impact et l’intensité carbone. Ils peuvent rétrograder les fonds inscrits comme “Article 9”.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici